Comment s’organise la surveillance de l’astéroïde YR4, qui menace la Terre ?
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Un petit caillou qui fait grand bruit. Alors que l’astéroïde YR4 a désormais 2,2 % de chances de frapper la Terre le 22 décembre 2032, tous les regards sont braqués sur lui, en particulier ceux des organismes chargés de la défense planétaire. De la Nasa à l’Agence spatiale européenne (ESA), en passant par l’ONU, les différents bureaux sur le dossier tentent de déterminer si l’objet présente une réelle menace selon un protocole bien établi.
Deux groupes de l’ONU sont particulièrement actifs. Le premier, le Réseau international d’alerte aux astéroïdes (IAWN), réunit des experts capables de déterminer le risque, de l’évaluer et de le communiquer. Il est constitué d’un comité de pilotage et d’un grand nombre d’observatoires. L’autre groupe, le Space Mission Planning Advisory Group (SMPAG), réunit les agences spatiales, capables de planifier une mission ou tout du moins une réponse aux risques que le premier groupe pourrait leur communiquer. On y retrouve la Nasa, l’ESA, le Cnes, mais aussi les agences spatiales chinoise, japonaise ou indienne.
Une chaîne coordonnée
Pour YR4, tout a commencé le 27 décembre 2024, quand le télescope d’alerte Atlas, situé au Chili, détecte pour la première fois l’astéroïde. « Dès qu’on découvre un nouvel objet, les données sont transférées au Minor Planet Center (Centre des planètes mineures) et, automatiquement, les probabilités d’impact sont calculées de manière indépendante par trois centres différents », explique Patrick Michel, directeur de recherche au CNRS à l’observatoire de la Côte d’Azur, membre du comité de pilotage de l’IAWN.
D’abord très faibles, ces probabilités augmentent au fil des observations jusqu’à converger, le 27 janvier, vers un risque d’impact de la Terre de 1 %. Un chiffre loin d’être anodin : c’est le seuil défini par le comité de pilotage de l’IAWN pour émettre une notification. La procédure est suivie à la lettre : « La Nasa nous a contactés et, le soir même, les membres du comité de pilotage du Réseau international d’alerte nous réunissions pour savoir où en étaient les connaissances sur cet objet », raconte Patrick Michel. S’ensuit, le lendemain, une notification de l’IAWN au deuxième groupe, le SMPAG, afin que les agences spatiales soient averties.
Surveillance permanente
Vient ensuite le temps des observations, qui doivent permettre de déterminer plus précisément la trajectoire de l’astéroïde et d’affiner les probabilités d’impact avec la Terre. Si les astronomes amateurs ont pu fournir des informations à exploiter, la surveillance passe avant tout par des télescopes terrestres. Dans le cas de YR4, elle est de plus en plus difficile car l’astéroïde, de petite taille, s’éloigne de la Terre et devient de moins en moins visible, au point de disparaître en avril pour ne redevenir observable qu’en juin 2028. « Plus on attend, plus il nous faut des télescopes de grande taille, détaille Patrick Michel. En ce moment, on peut le voir seulement avec des télescopes d’au moins 2 mètres, début mars ça sera au moins 4 mètres, mi-mars au moins 8 mètres. »
Au-delà, seuls les télescopes spatiaux seront en capacité de le voir. C’est notamment le cas du James Webb Telescope, qui observera l’astéroïde début mars et en mai, notamment pour préciser sa taille, actuellement estimée entre 40 et 90 mètres de diamètre. « A chaque nouvelle donnée, les chiffres sont envoyés automatiquement vers le Centre des planètes mineures, puis sont exploités par les trois centres de calcul de probabilité », indique Patrick Michel. Les risques d’impact sont réajustés puis communiqués publiquement, notamment sur des pages dédiées de la Nasa ou de l’ESA.
Une coopération au long cours
Ces données sont suivies de près par les groupes de travail de l’ONU. Une réunion est prévue en avril, quand YR4 ne sera plus observable, « pour faire le point, annonce Patrick Michel. On pourrait décider d’attendre son retour en juin 2028 pour vérifier si la probabilité est toujours la même. A ce moment-là, ça laisserait quatre ans pour lancer une mission pour potentiellement le dévier, si c’est la solution choisie. »
En attendant, « tant qu’il reste une option qui conduit à la Terre, on laissera faire, et on attendra de passer les 10 % pour de nouveau se réunir », poursuit le chercheur, auteur du livre A la rencontre des astéroïdes (éd. Odile Jacob). Idem si la probabilité tombe à 0 %, « pour faire une notification finale ».
Le précédent Apophis
Ce protocole bien défini, utilisé pour YR4, est né en 2013 grâce à Apophis, un astéroïde de 340 mètres de diamètre qui doit frôler la Terre en 2029. Patrick Michel s’en souvient bien : « Les premières estimations donnaient une probabilité d’impact en 2029 de 2,7 %, qu’on a ensuite rapidement éliminée. Mais dans le laps de temps pendant lequel on avait ce chiffre, on se sentait complètement démunis car il n’y avait rien d’organisé. On s’est même dit : « Qui on appelle ? Jacques Chirac, George Bush ? » »
C’est donc après cet « épisode Apophis » que la coordination aujourd’hui en place a été proposée au Comité d’utilisation pacifique de l’espace. Le Réseau international d’alerte aux astéroïdes « a été chargé de définir des critères pour émettre une notification et commencer à développer des actions », raconte le membre du comité de pilotage, et c’est à ce moment qu’a été choisi ce critère d’alerte de 1 % de probabilité pour un objet de 10 mètres dans les cinquante ans.
Un plan pour le futur
Pour la dimension prévention, les télescopes terrestres permettent de repérer les astéroïdes, mais très peu sont en réalité dédiés aux géocroiseurs (les objets évoluant à proximité de la Terre). Le nombre de découvertes devrait cependant exploser avec l’installation de l’observatoire Vera Rubin, au Chili, cette année. Plusieurs missions spatiales doivent, elles, faire l’inventaire de tous les astéroïdes à proximité de la Terre. C’est le rôle de la mission Neo Surveyor de la Nasa, qui sera lancée en 2027 pour cataloguer les objets de plus de 140 mètres de diamètre, dont on connaît seulement 40 %. « Même si les objets de cette taille ne frappent la Terre qu’environ tous les 10.000 ans, faire cet inventaire des 60 % restants permettrait de se tranquilliser », commente Patrick Michel.
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L’objectif de toutes ces missions, selon le directeur de recherche au CNRS : « Qu’on puisse, à terme, offrir aux générations futures un plan qui leur évitera d’improviser ». Un bon moyen de rassurer les inquiets : « Il y a un risque que les dinosaures n’ont pas su gérer, mais on a été assez malins pour prendre toutes les précautions, parce qu’on a la capacité de le gérer. Contrairement à plein d’autres risques naturels, on a les moyens de s’en protéger, il n’y a pas besoin de lever des verrous technologiques ni d’avoir des budgets faramineux », conclut l’expert.