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Comment les astronomes amateurs pourraient aider à déterminer la trajectoire de l’astéroïde qui menace la Terre

Branle-bas de combat dans le domaine de la défense planétaire. Après la détection, en décembre, de YR4, un astéroïde qui pourrait frapper la Terre le 22 décembre 2032, les scientifiques du monde entier sont mobilisées pour surveiller ce petit objet qui pourrit causer de grands dégâts. Si la probabilité d’impact avec notre planète est à l’heure actuelle estimée à 1,2 % d’après l’Agence spatiale européenne (ESA), de nombreux organismes – comme le Réseau international d’alerte aux astéroïdes (IAWN), sous bannière de l’ONU, et les services dédiés des agences spatiales – travaillent d’arrache-pied pour affiner la trajectoire de YR4 et exclure l’hypothèse d’une collision. Mais les astronomes amateurs, grâce à leurs observations, pourraient eux aussi récolter de précieuses informations qui permettraient d’aider les scientifiques à déterminer l’orbite de l’astéroïde.

L’initiative vient de Franck Marchis, astronome et planétologue à l’Institut Seti (Californie) et cofondateur de Skymapper, un projet qui propose de « tirer parti du pouvoir collectif d’un réseau global de télescopes ». L’idée est, en s’appuyant sur les télescopes connectés Unistellar (dont il est également cofondateur), « que chacun donne un peu de son temps pour participer à une campagne scientifique pour répondre à une grande question scientifique et technologique », pose le spécialiste. Et quoi de mieux qu’un astéroïde qui menace potentiellement la Terre pour mettre en pratique ce projet ?

« Une centaine de petits télescopes » sur une large zone

Dans le cadre d’YR4, le principe est simple. L’orbite de l’objet étant très incertaine, il y a de très faibles chances que les télescopes des observatoires, comme le Very Large Telescope au Chili, arrivent à le repérer pour affiner sa trajectoire. « Ce qu’on propose, c’est donc d’attendre que l’astéroïde passe entre nous et une étoile » et de faire observer cette occultation, prévisible, par les astronomes amateurs et leurs télescopes mobiles, explique à 20 Minutes Franck Marchis. « Comme on a un catalogue qui s’appelle Gaia, créé par l’ESA, on sait la position exacte de l’étoile. Donc quand elle disparaît à cause du passage de l’astéroïde, on connaîtra sa position exacte, ce qui nous permettra d’affiner son orbite et de savoir s’il va frapper notre planète en 2032. »

Si le concept semble simple, l’application reste beaucoup plus complexe, notamment en raison de la taille de l’astéroïde – entre 40 et 100 mètres de diamètre – et de l’incertitude de son orbite. « On sait plus ou moins où il va passer, mais il y a un doute sur l’endroit exact, poursuit l’astronome à l’origine du projet. L’occultation d’une étoile ne se fera que si on est placé exactement le long de l’ombre de l’astéroïde. Si l’astéroïde fait 100 mètres de diamètre, il faudra être dans les 100 mètres, en quelque sorte, de l’événement. » Et c’est là qu’entrent en jeu les astronomes amateurs : « Ce qu’il faudrait, c’est pouvoir avoir une centaine de petits télescopes le long de la zone d’incertitude. Seuls un ou deux d’entre eux détecteraient l’événement et les autres ne le verraient pas, donc on saurait exactement à quel endroit est l’astéroïde. »

Pour ce faire, les astronomes amateurs se déplaceront eux-mêmes pour installer leur télescope. Une fois en place, les « citoyens » pourront faire l’observation eux-mêmes après avoir été briefés sur la marche à suivre, mais le projet Skymapper en développement envisage de « connecter tous les télescopes entre eux grâce à une espèce de cerveau, d’oracle intelligent, qui prendra le contrôle des appareils et qui permettra de faire ces observations », détaille Franck Marchis.

Objectif 2028

Si plusieurs occultations d’étoiles sont prévues en février, les observations seront de plus en plus difficiles ces prochains mois, l’astéroïde se trouvant sur une trajectoire qui l’éloigne de la Terre. Franck Marchis vise donc plutôt 2028, quand YR4 redeviendra visible depuis notre planète, pour mettre en pratique son projet, qui demande encore « du temps, de l’argent et de la logistique », précise le planétologue.

« Il y a des détails qu’il faut qu’on résolve et des paramètres dont il faut tenir compte », comme la question de la diffraction de la lumière qui se produira lors des observations en raison de la petite taille de l’astéroïde, sa composition… « L’idée, c’est vraiment, dès 2028, d’avoir une orbite plus précise et de pouvoir rejeter ou non l’hypothèse de l’impact d’un astéroïde. Ce n’est pas très compliqué, on peut le faire », estime Franck Marchis.

Des tentatives d’observation jeudi 6 février

Si le planétologue et son équipe visent 2028, des astronomes amateurs comptent bien se mobiliser dès jeudi 6 février, date à laquelle l’astéroïde devrait occulter l’étoile TYC 0788-0020-1 pour les observateurs de l’Est du Canada et des Etats-Unis. « Il y a des gens qui vont le tenter. Des astronomes amateurs ont commencé à regarder où sont leurs observatoires par rapport à la bande de centralité, à surveiller la météo, des personnes expliquent où elles vont se placer pour essayer de se disperser le long de cette bande pour maximiser les chances de détection… La communauté des occultations est très active ! » se réjouit Franck Marchis, qui tempère cependant : « La probabilité de voir quelque chose est super faible, mais s’il y a une confirmation, ça en vaut la peine, d’autant que l’observation prendra à peine trois minutes. »

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Une méthode « imaginative » qui pourrait rapidement permettre d’écarter tout risque de collision de l’astéroïde avec la Terre, hypothèse privilégiée à l’heure actuelle par les organismes de surveillance. L’ESA indique ainsi, dans un communiqué, que « la probabilité d’un impact augmente souvent avant de rapidement retomber à zéro après des observations supplémentaires ». Pour Franck Marchis, YR4 est donc surtout un entraînement pour plus tard. « C’est le moment, pour la communauté des astronomes, de vraiment réfléchir à ce qu’on fera quand un astéroïde de plus grande taille sera détecté et frappera la planète, car ça arrivera. Autant s’entraîner maintenant avec YR4, qui est une opportunité, pour les gens de la science citoyenne, de participer à ce genre de campagne. »