France

Comment le mot « gouine » est passé d’une insulte à un « outil contre la honte » ?

«Qu’est-ce que qu’être gouine ? ». Une « homosexuelle », selon le dictionnaire Le Robert, qui précise le caractère « injurieux » du terme, rappelle l’avant-propos de l’ouvrage Gouines, paru aux éditions Points vendredi. A la manière du livre Pédés, sorti en juin 2023 aux mêmes éditions et co-écrit par huit auteurs gays, huit auteurices ont retranscrit, à travers des sujets et des formats différents, ce que représentaient leurs vécus lesbiens derrière le mot « gouine ».

Marie Kirschen et Maëlle Le Corre, les instigatrices et coordinatrices du projet, reviennent pour 20 Minutes sur ce que ce terme signifie pour elles, comment elles ont construit ce livre et pourquoi il était important pour elles de proposer un nouvel ouvrage sur le lesbianisme.

Comment avez-vous eu l’idée de cet ouvrage collectif ?

Marie Kirschen : il y a un an et demi, j’avais repéré que les éditions Points allait sortir l’ouvrage Pédés, avec huit auteurs gays. Je me suis dit que c’était une super initiative et qu’il faudrait à tout prix le faire pour le versant féminin : les lesbiennes. J’étais persuadée que c’était déjà enclenché. J’ai alors envoyé un mail à la maison d’édition pour savoir ce qu’il en était et il s’avère que Maëlle avait eu la même idée, vingt-quatre heures avant. C’est comme ça qu’on a décidé de co-coordonner ce livre.

Qu’est-ce qu’il représente pour vous, ce mot « gouine » ?

Marie Kirschen : Quand on est enfant, dans la cour de récré, on entend les mots « pédés », « gouines » comme des insultes. On comprend que l’homosexualité, c’est mal, puisque c’est ce qu’on utilise pour insulter les gens. Et quand on réalise que c’est de nous dont l’insulte parle, ça peut être une expérience déchirante à vivre. Il y a donc quelque chose de très empouvoirant de se réapproprier ce terme, de pouvoir dire : « Oui, je suis une gouine. Et alors ? J’en suis fière et il n’y a aucun souci avec ça. » C’est un outil très important pour lutter contre la honte, en particulier la honte de soi-même.

Maëlle Le Corre : C’est un mot hyper fort. Quand on le prend à bras-le-corps pour soi, il rend tellement puissante. Ça m’a fait beaucoup de bien de me réapproprier le terme « gouine ». Je l’ai d’ailleurs fait avant de réussir à me dire lesbienne. En tant que jeune bisexuelle, j’avançais tellement dans mes convictions féministes qu’à un moment, le lesbianisme était partout dans ma vie et le terme « gouine » est devenu évident.

Quel est le but de ce livre ?

Marie Kirschen : Comme pour le livre Pédés, il y a cette idée de retourner l’insulte et de pouvoir montrer la multiplicité des voix qui se cachent derrière le mot gouine, avec un ouvrage destiné à tout le monde, accessible à toustes.

Maëlle Le Corre : Certaines personnes vont peut-être se dire : « Ah ! Un livre sur les identités lesbiennes ? Encore et encore du coming out ». Pour nous, l’idée était au contraire de proposer autre chose, de se tourner vers des auteurices dont on savait que le positionnement politique, les convictions et les valeurs allaient sur d’autres terrains.

Comment avez-vous sélectionné les sujets de ces récits ?

Marie Kirschen : On n’a pas donné de consigne en particulier. On a laissé les auteurices libres de parler de ce qu’iels avaient envie et sous la forme qu’iels souhaitaient.

Maëlle Le Corre : C’était un chouette pari parce qu’on se retrouve, par exemple, avec le texte d’Amandine Agić, sur le classisme intracommunautaire dans la communauté lesbienne et queer, assez inattendu car c’est un sujet relativement tabou.

On a eu de la chance parce que c’était assez fluide sur les thèmes abordés, personne n’a dû renoncer à un sujet. Évidemment, il y a des choses qui se répondent dans les textes des unes et des autres mais il n’y a pas de redites qui pourraient donner l’impression que c’est répétitif.

Vendredi, l'ouvrage collectif « Gouines » sort aux éditions Points, avec huit récits et formats différents derrière ce mot dont les auteurices sont Amandine Agić, Meryem Alqamar, No Anger, Marcia Burnier, Noémie Grunenwald, Erika Nomeni et les coordinatrices du projet, Marie Kirschen et Maëlle Le Corre.
Vendredi, l’ouvrage collectif « Gouines » sort aux éditions Points, avec huit récits et formats différents derrière ce mot dont les auteurices sont Amandine Agić, Meryem Alqamar, No Anger, Marcia Burnier, Noémie Grunenwald, Erika Nomeni et les coordinatrices du projet, Marie Kirschen et Maëlle Le Corre. - C. Clavreul / Ed. Points

Marie Kirschen : Il y a aussi des formes littéraires différentes : des textes qui se rapprochent de courts essais, No Anger a fait une lettre à soi-même plus jeune, on a aussi de la poésie.

Comment avez-vous choisi les récits dont vous alliez parler personnellement ?

Marie Kirschen : C’était difficile de faire un choix. J’ai décidé de parler des relations aux ex. Il existe ce cliché qui veut que les lesbiennes restent amies avec leurs ex (ce n’est pas toujours le cas, évidemment). Mais, entre nous, on fait des blagues là-dessus. J’avais donc envie d’y réfléchir. Ça peut paraître léger ou rigolo mais en même temps, ça dit des choses plus profondes sur le type de vie qu’on a envie de mener, le type de liens qu’on crée et des manières de construire nos familles « choisies », qui ne passent pas forcément par le couple et faire des enfants.

Maëlle Le Corre : Moi j’avais envie de parler de la contrainte à l’hétérosexualité, un concept d’Adrienne Rich, et de comment on se construit lesbienne dans un monde d’hétéro. En discutant avec des amies, je me suis rendu compte qu’on était pas mal à avoir ce vécu, qui questionne notre légitimité à se dire lesbienne. J’avais donc envie de retracer tout mon parcours lesbien pour en arriver à la gouine que je suis aujourd’hui.

Pourquoi était-il important de proposer un nouvel ouvrage sur le lesbianisme ?

Marie Kirschen : Pendant très longtemps, en France, il y avait très peu d’essais sur les questions lesbiennes. Quand j’ai fait mon coming out il y a vingt ans, je suis directement partie sur des livres en anglais parce que dans le paysage français, il n’y avait que très très peu de choses. Récemment, on a vu de plus en plus de parutions sur le sujet, de l’essai Le Génie lesbien d’Alice Coffin au livre photo Sapphic Lovers de Léa Michaëlis. Je suis heureuse de voir que Gouines s’inscrit dans ce mouvement de publications sur ces questions-là qui, pendant très longtemps, ont été tues et invisibilisées. C’est super qu’une jeune lesbienne – et pas que – puisse pousser la porte d’une librairie et découvre plusieurs livres sur ces sujets-là et avoir un dialogue entre ces différents textes.