Comment la folie du airfryer s’est emparée des cuisines françaises, loin du beurre et du gras ?
Jadis en France, il n’y avait rien de plus simple que de passer pour un maître cuistot. Mettez de l’huile d’olive ou du beurre à foison, ajoutez des oignons et de l’ail, et laissez l’odeur monter. Magie, magie, vos convives s’exclament : « Hum, ça sent déjà si bon », qu’importe le reste des aliments.
Mais cette astuce millénaire risque – hélas – de ne plus être viable longtemps. Car l’airfryer est bien décidé à chasser le moindre pet de gras de notre alimentation. En 2023, les Français ont en acheté un million, selon le Groupement des marques d’appareils pour la maison (Gifam), soit trois fois plus qu’en 2022. La montée de 2024 devrait encore être sous stéroïdes avec un doublement des ventes, selon les prévisions. Un foyer français sur cinq est désormais équipé de cette friteuse sans huile, envoûté par cette promesse : tout, absolument tout, serait cuisinable à la vapeur.
La vague healthy, le goût en plus
Comment, au pays de la gastronomie, du gras et du goût, la cuisson à la vapeur peut connaître un tel succès ? Nathalie Louisgrand, enseignante-chercheuse spécialiste de la gastronomie à Grenoble École de Management, y voit d’abord la mode du healthy : « Il y a l’idée de cuisiner sainement, donc sans matière grasse rajoutée. » Exit le beurre à 717 calories les 100 grammes, tout comme l’huile d’olive – 884 calories, nouveau record battu. (Mangez quand même un peu de tout les loulous, tout est bon à petite dose). « L’idée est qu’avec la cuisson vapeur, on va pouvoir garder du croustillant, et donc du goût, sans avoir les excès caloriques. »
Là où le « healthy » est souvent caricaturé comme sans saveur, voire quasiment indigne de porter le nom de nourriture, le airfryer promet lui de relever encore de la cuisine. Hervé Auclerc, responsable du rayon électroménager du magasin Boulanger de Rosny-sous-bois, abonde : « Le produit est porté en étendard par de nombreux influenceurs, notamment food, et les marques n’hésitent pas non plus à en faire la promotion avec des chefs étoilés. » Philips, leader du marché, a par exemple abattu la carte Cyril Lignac.
Les fanas du airfryer
« Avec un airfryer, vous pouvez faire cuire de tout, et tout en même temps », développe Nathalie Louisgrand. Le modèle à deux bacs, qui permet de cuisiner… deux plats simultanément, est l’un des best-steller de 2023, indique Hervé Auclerc. Ce qui est en contradiction avec deux des qualités revendiquées par l’appareil à la base : un petit prix et une petite taille, histoire de séduire toutes les bourses et de s’inclure dans tous les mobiliers, notamment pour les étudiants.
« Mais le airfryer devient tellement essentiel qu’on finit par prendre le modèle le plus »big possible » et pas le plus pratique », s’enthousiasme Charlène, 32 piges et airfryeuse convaincue depuis 2022. A l’instar de l’Apple-addict ou du maniaque de Dyson, le fana d’airfryer possède ce tic de ne pas seulement profiter de son produit dans son coin, mais d’en faire la promotion à tout le monde. « J’essaie de convertir un maximum d’amis, et ça marche plutôt bien », admet la Toulonnaise.
Pas le temps pour cuisiner, place à la gratification
Une autre qualité à nous vanter, Charlène ? Oui ! L’airfryer cuit vite. « 40 minutes pour du poulet, là où ça prend 1h30 au four », se réjouit-elle encore. Un argument choc à en croire Sandrine Doppler, consultante en marketing : « C’est une alternative à ceux qui n’aiment pas cuisiner ou qui n’ont pas le temps. L’étudiant débordé, la mère de famille qui doit nourrir quatre personnes… »
Tout pour plaire donc, raille l’experte : « C’est dans l’air du temps de la gratification immédiate. Je cuisine un truc sain et avec du goût, sans effort et rapidement. J’obtiens même mon quart d’heure de gloire sur les réseaux sociaux à montrer ma recette trop flash en trente minutes. » En 1990, les Français passait en moyenne 71 minutes derrière les fourneaux par jour, contre 38 minutes en moyenne en 2024, selon l’Insee. Seule 7,7 % de la population y consacre désormais plus de 45 minutes, quand 25 % indique ne jamais cuisiner, une part en hausse constante. « La cuisine telle que nous la connaissions est amenée à disparaître », poursuit Sandrine Doppler.
Plus le temps, plus de gras, plus de beurre, snif. Reste une donnée immuable. Charlène : « A la maison, c’est toujours moi qui cuisine. »