France

Comment Jacquemus s’est imposé comme une maison incontournable du luxe

Loin est le temps où Simon Porte Jacquemus arpentait les rues de Paris avec ses amis, brandissant des pancartes pour faire connaître son nom lors d’une fausse manifestation. Aujourd’hui, le créateur n’a plus besoin de pancartes pour attirer l’attention : chaque lancement de collection est un événement scruté par l’industrie du luxe. Pour célébrer le quinzième anniversaire, Simon Porte Jacquemus réédite quinze robes emblématiques de son univers. Mais au-delà de cet hommage à ses archives, que raconte cette success-story sur l’évolution du luxe ?

Campagne des « 15 ANS » de Jacquemus
Campagne des « 15 ANS » de Jacquemus - Courtesy of Jacquemus

« Cette réédition est un coup de maître qui transcende le simple exercice d’anniversaire. En revisitant ces quinze pièces, Jacquemus ne célèbre pas seulement son passé – il réaffirme la cohérence et l’intemporalité de sa vision », explique Séphora Talmud, consultante en communication mode.

Un storytelling puissant et personnel

Derrière Jacquemus, il y a une histoire intime, celle d’un créateur qui puise dans ses racines provençales et son enfance pour bâtir une marque reconnaissable entre mille. « Le Sud fait partie de mon identité, et de celle de Jacquemus », confiait-il à Numéro. Ce lien transparaît dans les noms de ses pièces (Le Bomba, Le Pitchou, Le Mistral…) et ses défilés spectaculaires en plein air. Son univers est avant tout une émotion, celle d’un été infini, d’un minimalisme solaire qui évoque une mode à la fois brute et poétique. Pour Séphora Talmud, « dans un secteur dominé par l’image, Simon Porte Jacquemus a osé casser les codes et partager de l’émotion brute, intégrant dans son processus créatif et dans son personal branding, son enfance, sa Provence natale, l’hommage à sa mère, à sa famille, à ses racines… »

Et ce récit crée « une connexion émotionnelle rare avec son audience, transformant les clients en ambassadeurs, explique la consultante. Les consommateurs n’achètent pas seulement un vêtement, mais une part de son histoire personnelle ».

Une communication et un marketing innovants

Dès ses débuts sur Skyblog et Tumblr, Simon Porte Jacquemus a su comprendre l’importance de l’image et du digital. Aujourd’hui, son Instagram est une véritable galerie d’art, alternant images léchées et moments de vie spontanés. On y trouve des campagnes ultra-maîtrisées et, à côté, des photos de son mari Marco Maestri, des couchers de soleil capturés à l’iPhone, des extraits de ses inspirations graphiques… « Sa communication a toujours été plus directe et moins descendante que celles des grandes maisons. En transformant son feed en galerie d’art numérique, il a aboli la frontière entre communication et création artistique, offrant une expérience immersive à ses followers », souligne Séphora Talmud.

Au-delà d’Instagram, le créateur innove avec des concepts inédits : boutique 24/24, distributeurs automatiques, pop-ups expérientiels… Ses collaborations avec L’Oréal ou Air France confirment aussi son statut d’ambassadeur du luxe français.

«  Jacquemus sélectionne des partenaires qui amplifient son ADN, Ils le positionnent en tant que créateur incontournable faisant rayonner dans le monde entier non seulement Paris, capitale de la Création, mais aussi le soft power de la France. »

L’équilibre entre accessibilité et exclusivité

Jacquemus a su démocratiser le luxe sans le dévaloriser. Le Petit Chiquito, micro-sac star à 600 euros, en est l’exemple parfait. « Combien de jeunes ont économisé pour s’offrir un Chiquito ? », remarque Séphora Talmud. Cette stratégie attire autant les jeunes générations que les passionnés de mode avertis.

En proposant des pièces à différents prix, Jacquemus parvient à séduire un large public sans perdre en désirabilité. « Cette stratégie de démocratisation sélective a créé un phénomène rare : une marque qui séduit simultanément l’élite de la mode et la nouvelle génération de consommateurs. »

Avec un chiffre d’affaires exponentiel – 100 millions d’euros en 2021, 200 millions en 2022, 280 millions d’euros en 2023 et un objectif à 500 millions pour l’année 2025 selon le Journal du Luxe – Jacquemus prouve que son modèle fonctionne.

Un avenir à définir

Mais alors quel avenir pour la marque ? « Face aux sollicitations perpétuelles, Simon Porte Jacquemus devra trancher entre conserver son indépendance ou rejoindre un grand groupe qui lui offrirait des ressources considérables mais diluerait potentiellement son contrôle créatif », explique Séphora Talmud. Autre enjeu : la durabilité. L’intégration authentique des enjeux environnementaux, sans tomber dans le greenwashing, est essentielle pour pérenniser la marque.

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Loin des schémas classiques, Jacquemus a su imposer sa propre vision du luxe. Reste à voir jusqu’où cette liberté le mènera et comment il saura réinventer son modèle sans en perdre l’essence.