« Cocotte-minute » et « guerre des gangs »… La super prison de Darmanin pour les narcos ne convainc pas la pénitentiaire
Enfermer les « 100 plus gros narcotrafiquants » dans « une prison de haute sécurité ». C’est la nouvelle proposition choc du ministre de la Justice pour lutter contre les narcotrafiquants qui poursuivent leurs activités derrière les barreaux, sa priorité depuis sa prise de fonctions. « Nous allons prendre une prison française, on va la vider des personnes qui y sont », a expliqué Gérald Darmanin dimanche sur LCI. Elle sera « totalement isolée, totalement sécurisée, avec des agents pénitentiaires particulièrement formés, anonymisés », a-t-il ajouté. « On va montrer que quand on est en prison et qu’on est un narcotrafiquant, on ne peut pas téléphoner et on ne peut pas avoir une vie agréable ».
Une idée qui surprend Samuel Gauthier. « C’est une annonce de plus, un peu fracassante, de notre ministre », remarque le secrétaire national de la CGT pénitentiaire, regrettant que le garde des Sceaux n’ait pas « consulté » les syndicats avant de l’annoncer. « Regrouper tous les individus au sein d’une même structure, c’est en faire une cocotte-minute. Ce sont des personnes condamnées pour des faits liés au grand banditisme. Cela va faire des étincelles ! On risque d’aller au-devant de graves problèmes pour les détenus parce qu’il y aura des règlements de compte, ils vont s’entretuer. Ils seront en détention classique mais affectés pour les mêmes faits. Ils iront en promenade ensemble, ils se croiseront… Cela risque d’être la guerre des gangs à l’intérieur. »
« Très usant pour les professionnels »
Surtout, surveiller ces « gros profils » nécessitera « des moyens humains » importants. « Ce n’est pas avec ceux qui nous sont alloués aujourd’hui, ne serait-ce qu’en termes de recrutement, qu’on pourra le faire », prévient Samuel Gauthier. « Il faudra mettre les moyens pour permettre aux personnels d’exercer dans des conditions suffisamment sécurisantes », confirme Estelle Carraud, secrétaire générale du SNEPAP-FSU. « Cela peut être très usant pour les professionnels, qui doivent faire preuve d’une grande vigilance », explique-t-elle. Avant d’ajouter : « Cela peut paraître séduisant pour la société de se dire qu’on va réunir toutes les personnes dans un même lieu ultra-sécurisé. Mais la réalité, c’est qu’il existe déjà des établissements pénitentiaires dont la sécurité est adaptée au profil du détenu qui a été évalué. »
C’est notamment le cas du centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe, dans l’Orne. « Ici, on ne travaille qu’avec des profils dangereux », indique Damien Rameau, secrétaire national du SNEPAP-FSU. Surveillant pénitentiaire, il compare la super prison de Gérald Darmanin aux quartiers de prise en charge de la radicalisation, mis en place pour accueillir les prisonniers les plus prosélytes ou potentiellement violents. « Si on ne met pas les moyens qu’il faut, l’endoctrinement peut être rapide. C’est comme si on regroupait des gens qui pensent la même chose et qui vont vers la même direction », avertit-il.
Où iront les détenus de l’établissement « vidé » ?
Les narcotrafiquants détenus dans cette super prison, appartenant à des organisations parfois concurrentes, risqueraient donc « de se faire la guerre entre eux, entre gangs ». « S’ils sont dans le même quartier, le même bâtiment, même s’ils ne sont pas censés se croiser, ils se parleront toujours à la fenêtre, ça fera toujours du trafic et ça générera du conflit quoi qu’il arrive. Il y a les téléphones, ils utilisent des codes qu’on essaie de déceler comme on peut. Ils donnent des ordres à l’extérieur et il y a des menaces sur des familles et des gens qui les entourent. »
Une autre question se pose : où iront les personnes détenues dans cet établissement qu’il faudra « vider » ? « S’ils ont été condamnés à de grosses peines, ils ne peuvent pas être affectés n’importe où car il y a des enjeux sécuritaires », souligne Samuel Gauthier. « Il y a déjà beaucoup d’établissements qui sont bien remplis. Et les plus sécurisés le sont aussi, avec des profils identifiés et évalués comme devant être dans ces lieux-là. Que va-t-on faire de ces détenus-là ? Ou veut-il les transférer ? » s’interroge Estelle Carraud qui regrette, « un effet d’annonce un peu naïf » de la part de Gérald Darmanin. « Il n’y a pas de solution miracle, souffle-t-elle. Il y a un vrai sujet, mais il faut prendre le temps de la réflexion. » Contacté par 20 Minutes, l’entourage de Gérald Darmanin n’a pas donné suite à nos sollicitations.