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CNews : « Infos ou désinfo ? Méthode CNews » dans Complément d’enquête

Le nouveau numéro de « Complément d’enquête » a été réalisé en huit mois et a été lancé à partir de février 2025 par la journaliste Lilya Melkonian. D’après l’étude menée par Reporter Sans Frontières (RSF), 39 % du temps de parole de la gauche sur CNews provient de diffusions nocturnes.


Huit mois. C’est le temps qu’il aura fallu pour que ce nouveau « Complément d’enquête » soit diffusé. L’investigation a débuté en février 2025, sous la direction de la journaliste Lilya Melkonian, qui évoque « des heures d’antenne scrutées, revérifiées, recalculées » pour comprendre la montée fulgurante de CNews dans le paysage médiatique français.

Le documentaire débute avec un couple de retraités prenant leur petit déjeuner devant CNews, une chaîne qui a attiré 42 millions de téléspectateurs le mois dernier. Devenue la première chaîne d’information en continu du pays, CNews est maintenant un acteur central, mais aussi un sujet de polémique.

## Un contexte particulier

Ce nouvel épisode arrive alors que France Télévision et le groupe de Vincent Bolloré sont en plein conflit, une semaine après une plainte pour « dénigrement », tandis qu’une commission d’enquête parlementaire sur la neutralité de l’audiovisuel public est ouverte. Cependant, du côté de la rédaction, Lilya Melkonian assure que « le sujet a été lancé bien avant tout cela », précisant que « Complément d’enquête » opère de manière indépendante, éloigné des décisions de la présidence de France Télévisions.

Dernier incident : les « fauteuils rouges » se sont vidés à la dernière minute. Élisabeth Lévy s’est désistée deux heures avant l’enregistrement, invoquant « une question de loyauté » envers CNews. Pourtant, ce mercredi, lors de la séance de visionnage documentaire suivie d’une session de questions-réponses, Lilya Melkonian déclare qu’« il y aura bien quelqu’un jeudi soir » dans le fauteuil rouge. C’est dans ce climat que « Complément d’enquête » présente « La méthode CNews ». 20 Minutes vous offre un aperçu des principales révélations de ce nouveau numéro.

## Un travail très documenté qui démontre les mécanismes de CNews

Pour comprendre comment CNews construit ses récits, le documentaire ne se limite pas aux extraits d’antenne ; il s’appuie sur des perspectives extérieures et des données précises. La sémiologue Cécile Alduy y analyse notamment la couverture du meurtre de la jeune Louise, survenu cet été, et souligne comment le fait divers est immédiatement associé à l’immigration : « Tous les discours diffusés cette semaine sur CNews sont en corrélation avec un discours de droite dure ou d’extrême droite, avec notamment un vocabulaire spécifique qui n’apparaît que dans cette partie du champ politique, comme le terme d’ensauvagement », indique-t-elle.

Les données d’une étude menée par Reporter Sans Frontières (RSF) sur le pluralisme de cette chaîne révèlent beaucoup de mécanismes. Officiellement, CNews se conforme aux temps de parole exigés par l’Arcom. En réalité, la stratégie est sournoise : la majorité des discours de gauche (notamment un discours de 1h20 de François Hollande à peine audible, avec un bandeau indiquant que cette diffusion est pour respecter le temps de parole) est reléguée à des heures tardives, tandis que la droite et l’extrême droite dominent les plages horaires à forte audience. Selon RSF, 39 % du temps de parole de la gauche sur cette chaîne provient de ces diffusions nocturnes. Cette pratique permet d’afficher un équilibre officiel tout en maintenant une ligne éditoriale fortement orientée durant la journée.

## « On ne va plus faire que du muslim, muslim, muslim »

Un aspect marquant de ce nouveau numéro est apporté par certains témoignages. Des figures bien connues défilent sur le plateau, comme l’avocat Gilles-William Goldnadel, l’ancien secrétaire d’État socialiste André Vallini ou le député macroniste Karl Olive, mais le témoignage à visage découvert de Damien, ancien reporter pour la chaîne, éclaire leurs pratiques. « Qu’il existe une chaîne de droite en France, ça ne me choque pas. Ce qui m’a dérangé, c’est quand on m’a demandé des choses qui allaient heurter ma déontologie journalistique et mon éthique », explique-t-il. Il décrit comment certains sujets étaient jugés prioritaires : « On ne va plus faire que du muslim, muslim, muslim », lui aurait-on dit avant la campagne présidentielle.

En abordant l’affaire Jean-Marc Morandini (condamné à deux ans de prison avec sursis pour corruption de mineurs), Axel, victime du présentateur à 15 ans, témoigne : « Il m’a demandé de lui envoyer une photo de moi nu », raconte-t-il en montrant les messages sur son téléphone. Aujourd’hui encore, il voit son agresseur à l’antenne de CNews malgré sa condamnation en appel. Il qualifie cette situation de « choc », persuadé que « le business a été privilégié à la protection des mineurs ».

## Une chaîne au service de l’idéologie

Qualifier CNews de chaîne de droite n’étonne plus vraiment. Cependant, le documentaire démontre comment, au fil des années, cette orientation s’est muée en une véritable colonne vertébrale idéologique. Selon la journaliste Ariane Chemin, le tournant idéologique se produit lors de la présidentielle de 2022, avec Éric Zemmour comme candidat. « Ce qui est frappant quand on écoute Éric Zemmour, c’est combien ce qu’il dit est personnel, unique, différent, comme l’illustre cette façon de crier Vive la République et surtout vive la France ! », introduisait Pascal Praud dans une de ses émissions.

Néanmoins, la chaîne continue de repousser l’étiquette de média idéologique. Gilles-William Goldnadel déclare avec force : « CNews n’est pas une chaîne d’opinion », tout en affirmant face caméra pouvoir « absolument dire ce que je veux » sur le plateau. Sous ce franc-parler, il y a Vincent Bolloré. Dans ce numéro, le journaliste Vincent Beaufils explique avoir suivi la radicalisation du leader d’entreprise : « Ses plus proches collaborateurs disent que ce qui l’intéresse, ce sont des médias de combat. Et cela, c’est un nouveau Vincent Bolloré qui est apparu avec l’essor de CNews. »

## L’anatomie d’une (fake) news

Une autre dimension de l’enquête révèle que la première chaîne d’information en continu relaie des informations erronées, n’hésitant pas à désinformer ses téléspectateurs. Parmi les exemples fournis, le documentaire revient sur les accusations portées contre l’association Utopia 56, présentée à l’antenne comme massivement financée par l’État lors d’un débat qui a suivi un sondage CSA – un institut également rattaché au groupe Bolloré – sur l’arrêt des subventions allouées aux associations pro-migrants, alors que ses ressources proviennent de dons privés.

Bien que les fake news prospèrent sans entrave sur CNews, elles servent à entretenir une mécanique bien rodée. À quelques heures de la période de silence républicain (interdiction aux candidats de faire campagne) avant le second tour des élections législatives de 2024, le JDD publie sur X une prétendue information selon laquelle le gouvernement aurait suspendu la loi immigration. Rapidement, cette information est relayée par CNews : « On a tweeté que c’est une fausse information, que ça relevait des méthodes trumpistes. […] Il doit y avoir une différence entre la liberté d’opinion, le pluralisme éditorial et la manipulation de l’information. Là, c’est complètement une fake news », dénonce l’ex porte-parole Prisca Thévenot.

Bien qu’aucun dirigeant ou visage de la chaîne n’ait accepté d’intervenir, Lilya Melkonian précise être restée en contact avec Pascal Praud durant toute l’enquête. Le dialogue s’est révélé très fluide, sans agressivité ni désagrément. « Je maintenais les échanges en espérant qu’il changerait d’avis sur sa participation », explique la journaliste. Bien qu’il n’y ait pas eu de prise de parole de la figure de la chaîne, un constat émerge : les alertes se multiplient, les sanctions tombent, et CNews continue d’appliquer la même méthode, au mépris des règles de pluralisme qui régissent pourtant l’audiovisuel.