France

Cigarette : Et si la France interdisait totalement de fumer dehors comme à Milan ?

A Milan, la Dolce Vita s’accompagne désormais d’un air pur. Depuis la nouvelle année, il est en effet interdit de fumer dehors si une personne se trouve à moins de dix mètres. Ce qui, dans une ville aussi dense que la capitale de la mode, équivaut à un bannissement quasi-total du tabac dans l’espace public.

Une telle loi serait-elle possible en France, où la cigarette tue chaque année 66.000 personnes ? « Ce serait une mesure efficace », plaide Yves Martinet, président du Comité national contre le tabagisme (CNCT) et professeur émérite de pneumologie. « Plus on réduit l’espace où il est autorisé de fumer, plus l’acte se débanalise ». Natacha, 33 ans et fumeuse invétérée depuis le lycée, admet : « C’est quand tu sors sous la pluie pour fumer ta clope au restaurant que tu comprends que tu as peut-être un problème d’addiction ».

Réduction en France de l’espace pour fumer

Même avis favorable pour Loïc Josseran, médecin et chercheur en santé publique, président de l’Alliance contre le tabac : « On rentre dans une logique de dé-normalisation. En retirant du paysage la consommation de tabac, on incite moins les gens à commencer, ce qui reste la mesure la plus efficace. Et pour ceux qui consomment déjà, l’effet est aussi bénéfique : moins on a la possibilité de fumer, moins on fume ».

Dans les années 2000, la France a instauré une série de mesures pour réduire l’espace fumable du pays. En décembre 2004, il devient interdit de fumer dans les trains. Depuis le 1er février 2007, il est interdit de fumer dans tous les lieux publics, de travail ou les écoles. A partir de 2008, la loi englobe également les restaurants, les cafés, les bars, les hôtels et les discothèques. Depuis novembre 2023, l’interdiction gagne tous les espaces verts, dont les plages.

Des lois aux bienfaits étudiés et démontrés

Les bienfaits ont été étudiés dans de nombreux pays, appuie Yves Martinet. « Suite à des lois similaires à celle de 2007-2008 en France, il a été démontré une diminution de 15 % des infarctus en moyenne ». Plus spécifiquement, en Ecosse, « une diminution des admissions en urgence des enfants pour asthme sévère a été constatée ».

Selon une étude de Santé Publique France, avant la loi de 2007, 41,1 % des non-fumeurs déclaraient qu’il était « strictement interdit » de fumer chez eux. Cinq ans après, ils étaient 61 %. L’effet est similaire chez les fumeurs, passant de 23 % en 2006 à 39,5 % en 2012 à ne pas tolérer qu’on clope chez eux. Natacha, un autre aveu ? « Même quand je suis seule chez moi, je fume à la fenêtre désormais ». L’occasion pour Yves Martinet de se réjouir : « Ces mesures font preuve de leur efficacité : en rendant plus rare l’acte de fumer, on le rend moins socialement toléré dans tous les endroits, même ceux qui ne sont pas compris dans les lois ».

Un sujet sensible en France

Autre victoire, ces lois ont vite été socialement acceptées. Selon la même étude, la part de fumeurs défendant l’idée de l’interdiction de cigarette dans les bars était passée de 29,6 % avant la loi à 78,1 % en 2012, cinq ans après son application. Même envolée pour l’interdiction au lieu de travail (de 42,3 % à 72,5 %). Michael Rochoy, médecin généraliste, se réjouit : « Aujourd’hui, personne n’imagine revenir sur les différentes Loi Evin, ou viendrait défendre l’idée qu’on puisse re-fumer à l’école ».

Mais au moment d’imaginer l’interdiction s’étendre sur tout le dehors du pays, le sujet redevient politiquement sensible. Un tiers des Français fument – contre 20 % des Italiens –, « ce qui rendrait une telle mesure extrêmement impopulaire », soutient Michael Rochoy. Certes, les précédentes lois ont finalement rapidement été acceptées, reste qu’au moment de leur annonce, « elles étaient peu appréciées par les fumeurs. Le gouvernement actuel a un tel défaut de popularité que je les imagine mal lancer une telle loi, le moment politique est mal choisi ». Natacha concède : « Je sais que ce serait une bonne chose dans l’absolu, mais j’avoue que ça me ferait sacrément chier. Surtout avec ce gouvernement ».

Le prix, la solution « historique » en France

Qui plus est, « quand on voit le manque de soutien gouvernemental pour le Dry January, on comprend que la lutte contre les addictions n’est pas la priorité », raille le généraliste. Loïc Josseran voit un autre frein majeur : le lobby du tabac et des buralistes, « très puissant en France, et qui cherche toujours à freiner les politiques contre la cigarette ».

Historiquement, la lutte contre le tabac en France se fait principalement avec un levier : le prix. Le prix des paquets a encore augmenté au 1er janvier, dépassant systématiquement les 12 euros. Un paquet qui avait déjà connu trois hausses de prix en 2024. L’inflation ne devrait pas s’arrêter, puisque la loi prévoit de passer tous les paquets à minimum 13 euros d’ici à 2027. Soit un prix deux fois supérieur à celui pratiqué en Italie. « Le levier sans doute le plus efficace », admet Yves Martinet, « mais qui n’empêche pas d’appliquer en même temps la même règle qu’à Milan. Les leviers antitabac sont évidemment cumulables, et selon l’organisation mondiale de la santé, ils ne sont même jamais aussi efficaces que quand ils sont déployés en même temps ».

Une politique vraiment efficace ?

Une bonne partie du monde part en guerre contre le tabac. Au Royaume-Uni, selon un projet de loi en cours d’adoption, les personnes nées après 2009 ne pourront notamment jamais acheter légalement de cigarette. « Bonne chance pour voir un tel projet en France », se désabuse Loic Josseran. Avant de se montrer plus positif : « Certes, un tiers des Français fument encore, mais la consommation chez les jeunes générations s’effondre totalement », sourit le médecin. En 2000, 41 % des jeunes de 17 ans fumaient quotidiennement. Ils n’étaient plus que 30 % en 2010, et 16 % en 2022, selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives. Même si le bilan reste à nuancer, poursuit Loic Josseran : « Aujourd’hui, il y a beaucoup moins de fumeurs purs mais d’autres pratiques se sont répandus : puff, vapotage, pastille de nicotine… Le tabagisme se déploie différemment ».

Michael Rochoy se veut optimiste : « La loi milanaise va dans le sens de l’histoire et de l’évolution du monde. Elle ne sera sans doute pas appliquée en France cette année, mais finira par être décrétée tôt ou tard. »