France

« C’est sûr qu’il y a un décalage », Clémence Pernoud révise les best-sellers de sa grand-mère sur la maternité

Un vent nouveau souffle sur le monde de la parentalité. J’attends un enfant et J’élève mon enfant de Laurence Pernoud, deux bibles sur la maternité que connaissent très bien les jeunes parents depuis plusieurs générations, font peau neuve.

Presque soixante-dix ans après les premières parutions de ces best sellers – réédités depuis chaque année – Clémence Pernoud, la petite-fille de l’autrice, disparue en 2009, prend la relève de sa grand-mère.

Elle actualise ainsi les deux nouvelles éditions 2025 parues le 8 janvier chez Albin Michel, et leur apporte une touche de modernité. Elle y développe plus profondément la période si délicate du post-partum ou encore la place du coparent et s’attaque aux injonctions qui assaillent les mères et les familles. Clémence Pernoud a répondu aux questions de 20 Minutes.

Les nouvelles éditions de « J'attends un enfant » et « J'élève mon enfant » (Albin Michel).
Les nouvelles éditions de « J’attends un enfant » et « J’élève mon enfant » (Albin Michel).  - Albin Michel

En quoi ces deux livres avaient-ils besoin d’être dépoussiérés ?

Ils étaient à jour sur beaucoup de choses, il y avait simplement une histoire de réajustement, notamment dans la manière de s’adresser au lectorat avec un peu plus de proximité et d’intimité. Il y avait aussi des sujets de fond qui méritaient selon moi d’être vraiment approfondis comme toute la question du post-partum, l’accouchement, le choix d’allaiter ou non ou encore la présence du papa ou du coparent. La première fois que mon conjoint a lu les livres, il m’a dit qu’ils ne s’adressaient pas trop à lui et que ça le gênait. Il y a eu un gros travail dessus et ce sera aussi le cas les prochaines années.

C’est d’ailleurs la première fois qu’un homme apparaît sur la couverture…

Jusque-là c’était toujours une maman. Dès la couverture, c’était une évidence pour moi qu’il y ait un couple. Il faut s’adresser au coparent, qu’il existe. On s’adresse aussi aux couples homoparentaux, aux mamans solos… A toutes les familles. C’est important de pouvoir soutenir tous les parents.

Il y a aussi la volonté évidente de balayer les nombreuses injonctions liées à la parentalité…

Les injonctions sur les jeunes mamans sont tellement lourdes. Si, en plus, on doit en rajouter dans un livre… L’idée est justement de s’en libérer. J’ai essayé de donner aux parents toutes les informations vérifiées, traitées par la science, la psychologie ou encore la médecine, pour qu’ils puissent ensuite faire leur propre chemin, se trouver en confiance et être rassurés. Le savoir, c’est le pouvoir. Il faut sortir du « Il faut faire comme ça » pour aller vers le « On peut faire comme ça »… Je donne des clés mais aussi des ressources pour aller plus loin sur certains sujets, pour essayer d’avoir des parents apaisés et sereins.

Quels points des ouvrages précédents vous semblaient particulièrement dépassés ?

Le post-partum avait besoin d’un vrai coup de renouveau. Il y avait encore cette injonction d’aller bien après l’accouchement et sur la façon de retrouver son corps. C’était un peu culpabilisant parce qu’il était question de comment est-ce qu’on le récupère, tout de suite. En fait, il n’y a pas de temps précis de récupération, il y a une infinité de possibilités. Et peut-être avons-nous eu une césarienne, une épisiotomie, tout un tas de choses qui font que ça va être d’autant plus difficile pour récupérer. J’ai également mis un questionnaire d’autoévaluation pour dépister les risques de dépression du post-partum. Ça se fait en cinq minutes et permet tout de suite de jauger comment on se sent.

De nouvelles notions ont également fait leur entrée comme le « baby clash », les turbulences que peut rencontrer un couple à l’arrivée d’un enfant…

Ce sont des notions très parlantes et il faut évidemment les employer. On les voit partout et si, moi, je ne les utilise pas, ça n’a pas de sens. J’aborde aussi les périodes du « threenager » et du « terrible two » [deux périodes de bouleversements pour les enfants à l’âge de 2 et 3 ans], que je reformule en « chamboule two ». On met du négatif à un endroit où, pour l’enfant, ça ne l’est pas du tout. C’est génial, il est en train de découvrir un milliard de trucs et c’est hyper positif ! Pour les parents c’est un peu costaud, c’est vrai, mais pour lui ça fait partie du développement.

De nombreux débats autour de l’éducation agitent la sphère de la parentalité, comme celui concernant le time-out face à l’éducation positive. Comment vous positionnez-vous ?

Dans la mesure. Cette petite guerre entre les deux courants est assez étonnante parce que si on va au fond de chaque, ils se rejoignent presque. En réalité, la réponse va être entre les deux. Il faut avoir toutes les informations, tout ce que l’on sait aujourd’hui du développement de l’enfant, les recherches fascinantes en neurosciences sur le cerveau des bébés dès la naissance… Evidemment, il y a des choses à bannir, on sait par exemple que l’enfant jusqu’à 3 ans ne fait pas de caprices. Ça n’existe pas, il essaye juste de gérer ses émotions, sa frustration. L’enfermer, l’engueuler et surenchérir dans la violence ne va pas du tout l’aider, au contraire. Il faut lui montrer que son comportement est valable et l’accompagner. J’aime bien conseiller de se mettre à la place de son enfant, essayer de comprendre ce qu’il se passe dans son corps et son esprit. C’est d’ailleurs valable dans toutes les relations sociales.

Il y a aussi toutes les questions autour du sommeil des enfants, de l’apprentissage de l’endormissement autonome notamment. Qu’en pensez-vous ?

On présente tout ce qui peut aider l’enfant et le parent. D’un jour sur l’autre, on ne va peut-être pas utiliser la même méthode. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des choses établies d’un point de vue physiologique pour l’enfant comme le besoin de rythme, de rituels… Des choses qui vont le sécuriser. S’il a eu une journée un peu difficile, il aura plus besoin d’être rassuré. S’il a passé une bonne journée, on pourra peut-être commencer à s’autonomiser et tenter de s’endormir un peu tout seul. Mais ça dépend aussi de l’âge, des régressions, des évolutions… C’est infiniment fragile et l’idée est de donner toutes les clés en expliquant que chaque famille et chaque enfant sont différents. C’est une histoire d’empathie, d’observation et d’adaptation.

Comment expliquez-vous le succès des livres lancés par votre grand-mère depuis près de soixante-dix ans ?

Elle est tombée enceinte de mon père en 1953, elle a cherché des informations sur le sujet mais il n’y en avait pas. Il y avait un manque, elle ne savait pas ce qu’il se passait dans son corps, ce qu’elle pouvait faire ou devait faire pour être bien, comment allait se passer l’accouchement… C’est quand même effrayant quand on est enceinte ! Comme elle était journaliste, elle est allée chercher les informations. Elle a redonné le pouvoir aux femmes en leur donnant tout ce savoir qu’elle a recueilli. Comme c’était la première, les livres sont devenus une référence. Elle a aussi compris tout de suite qu’il fallait le mettre à jour tous les ans parce que ce sont des sujets en perpétuelle évolution : la science, la médecine, la psychologie, la société, les lois, les aides… Elle a été visionnaire car elle a pensé quelque chose qui répondait à un vrai besoin.

Ces deux livres peuvent parfois être un peu moqués, considérés comme démodés. Comment réagissez-vous à ces critiques ?

Je les entends et je les comprends presque, mais c’est comme toujours lorsqu’on prend une chose qui a soixante-dix ans et qu’on la regarde aujourd’hui. C’est sûr qu’il y a un décalage monstrueux ! Même les éditions des années 1990-début 2000 sont obsolètes. C’est une évidence, mais c’est aussi pour ça que ma grand-mère avait décidé de les remettre à jour tous les ans. Aujourd’hui, oui, il y a un travail un peu plus important parce que la maquette était vieillotte. Elle avait besoin d’être mise au goût du jour et je suis heureuse de pouvoir le faire.

Votre grand-mère a écrit ses ouvrages pour pallier un manque mais désormais les ouvrages sur ce sujet fourmillent dans les rayons des librairies. Comment rester une référence dans ce domaine ?

En gardant ce qu’était la volonté de ma grand-mère et ce qui me tient à cœur : ne jamais être clivant. Et laisser aux parents le choix de faire leur propre chemin au milieu de toutes les possibilités qui existent aujourd’hui. Il faut qu’ils puissent faire le choix de leur propre parentalité, en ayant toutes les informations.

Et comment faire face à la concurrence des réseaux sociaux ?

Je ne parlerais pas de concurrence car ce sont deux choses assez différentes. Je suis très attachée au format livre, surtout pendant la grossesse où on peut prendre plus le temps. Ce sont aussi des ouvrages qui vont rester, il y a un millésime, on peut les garder. S’il y a tout et son contraire sur Internet, il y a aussi des choses très intéressantes, on peut s’en servir, j’en parle dans ces ouvrages. Mais je pense que le livre peut aussi rassurer face à cette immensité d’information. Je travaille également sur une présence numérique qui sera comme une ramification du livre.