C’est quoi la Sape ? Un mouvement stylé et politique au cœur du film « Prosper » avec Jean-Pascal Zadi

Loin d’être un simple courant vestimentaire, la Sape, ou « Société des ambianceurs et des personnes élégantes », est un phénomène culturel né au Congo qui transcende la mode pour toucher à l’identité, à la résilience et à la contestation sociale.
À l’occasion de la sortie du film Prosper, où un loser se voit possédé par l’esprit d’un roi de la Sape, incarné par Jean-Pascal Zadi, 20 Minutes revient sur ce mouvement qui, entre élégance et subversion, s’est imposé comme une expression politique et artistique à part entière.
Aux origines de la Sape : une réinvention culturelle et identitaire
La Sape naît dans le quartier de Bacongo au Congo Brazzaville (République du Congo) , avec ses premières manifestations vers les années 1919-1920, avant de réellement s’affirmer dans les années 1950 avec le retour des anciens combattants coloniaux, ramenant avec eux des vêtements de qualité.
« Les premiers soldats et anciens combattants de retour au pays rapportent avec eux quelques objets de valeur : vêtements de grande qualité ou encore chaussures de grandes marques. » explique Daouda Coulibaly, professeur à l’EDC Paris Business School. « De là commencent les premières formes de parades, de défilés et de compétitions entre jeunes et/ou adultes dans les rues et avenues du Congo-Brazzaville et du Congo-Kinshasa. »
Mais une rivalité existe entre Brazzaville et Kinshasa en République démocratique du Congo sur l’origine de la Sape. « Côté Congo-Brazzaville, on retrouve une partie de la population issue de la communauté de Bacongo que l’on appelle les Laris. La Sape a été pensée et développée dans des valeurs Laris. Par voie de conséquence, le Congo-Brazzaville est considéré comme le vrai point de départ », précise Coulibaly. De l’autre côté du fleuve Congo, la Sape a pris une forme plus individualiste, portée par des figures emblématiques comme Papa Wemba.
Je Sape, donc je suis : une esthétique au service d’un art de vie
Si la Sape impressionne par son exubérance stylistique, elle est avant tout un mode de vie structuré par des codes précis. Les sapeurs s’habillent avec une rigueur extrême, jouant avec les couleurs vives et les accessoires de luxe. « La couleur, c’est la vie, sans elle, il n’y a pas de vie » affirme Jocelyn Armel, créateur et sapeur, sur France Inter. Loin d’être une simple coquetterie, cette esthétique est une manière d’exister et d’être reconnu socialement.
Sous Mobutu (Président de la RDC de 1965 à 1997), la Sape devient un moyen de contestation. « Le Zaïre de Mobutu rejetait l’influence occidentale, mais les Sapeurs ont choisi d’exprimer leur liberté à travers le kitendi (le tissu). La Sape se dresse ainsi contre un régime jugé totalitaire et liberticide », rappelle le professeur. Ce mouvement n’est donc pas seulement une démonstration vestimentaire, mais bien une subversion de l’ordre établi.
Avec l’émigration des Congolais vers la France et la Belgique dans les années 1980, la Sape se réinvente. « La MEC (Maison des Étudiants Congolais) devient le berceau de la Sape en France. C’est à partir de là que le mouvement prend son véritable envol et s’internationalise », raconte Daouda Coulibaly. Cependant, la guerre civile des années 1990 au Congo-Brazzaville plonge la Sape dans une période de déclin, avant qu’Internet et les réseaux sociaux ne participent à son renouveau dans les années 2000.
Une revendication sociale et politique encore actuelle
Derrière l’élégance flamboyante se cache une critique de l’ordre social et économique. À travers leurs vêtements, les sapeurs revendiquent leur droit à l’existence dans des sociétés qui les marginalisent. « La Sape n’est pas et n’a jamais été neutre. Elle est un acte politique, une forme de revendication et une thérapie communautaire », insiste le professeur. « Les Sapeurs sont aussi des « objets d’art mobile » par leurs styles vestimentaires. »
Aujourd’hui, la Sape évolue sous l’influence des nouvelles générations. « Les jeunes sapeurs se réapproprient le mouvement en privilégiant des marques et produits made in Africa et made by Africans. On observe aussi de plus en plus de jeunes Sapeurs qui valsent sur un mélange entre le luxe et le chic abordable », explique-t-il. Mais la Sape n’est plus uniquement masculine : « On note une féminisation croissante du mouvement, les femmes adoptant de plus en plus ses codes vestimentaires ».
Une Sape en pleine mutation
Le film « Prosper » contribue à une nouvelle médiatisation du mouvement. « Le cinéma est un excellent canal de vulgarisation mais aussi de légitimation », note Daouda Coulibaly. Quarante ans presque après Black Mic Mac, du réalisateur Thomas Gilou, « le cinéma français fait à nouveau un clin d’œil au mouvement de la Sape. »
De Brazzaville à Paris, la Sape continue d’évoluer et de se réinventer. Si certains y voient une simple excentricité vestimentaire, elle demeure une réponse politique et sociale aux rapports de domination. Avec les réseaux sociaux, les nouveaux créateurs et une féminisation du mouvement, la Sape semble bien partie pour défier encore longtemps les conventions.