France

C’est quoi ces « backdoors » dans le projet de loi contre le narcotrafic ?

Sorti par la porte (dérobée), il revient par la fenêtre. L’article 8ter de la loi pour lutter contre le narcotrafic revient sur la table. D’abord adopté par le Sénat, puis supprimé en commission des lois, il a été proposé de nouveau lors du passage du texte à l’Assemblée nationale. Il prévoit la création de « backdoors » ou « portes dérobées » dans les messageries cryptées, comme WhatsApp, Signal ou Telegram, une mesure décriée par de nombreux acteurs du secteur.

L’article, déposé par un amendement du sénateur LR Cédric Perrin, demande aux messageries de permettre aux autorités un accès aux échanges privés entre internautes. « La proposition de loi ne contient pas de suggestions techniques, mais enjoint les applications à créer ce dispositif, résume Bastien Le Querrec, juriste pour l’association La Quadrature du Net. De fait, cela impose des portes dérobées, qui donnent un accès aux communications à une personne tierce. Comme si, quand on envoyait un courrier, on envoyait aussi une copie de la lettre à quelqu’un d’autre que son destinataire. » Un dispositif qui « nierait la confidentialité des correspondances », ajoute-t-il.

Un amendement qui risque d’être détourné

L’association de défense des libertés en ligne s’inquiète que ce dispositif puisse être détourné de son usage initial. « Le prétexte pris est celui du trafic de stupéfiants, mais le régime de la criminalité organisée est beaucoup plus large, et a déjà été utilisé contre des mouvements sociaux ou écologiques », avertit Baptiste Le Querrec. En 2023, des militants des Soulèvements de la Terre ont par exemple été mis en examen pour dégradation en bande organisée après avoir dégradé la cimenterie Lafarge de Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône).

D’autres points inquiètent la Quadrature du Net : le partage d’information vers ou depuis les services de renseignement, sans système d’autorisation, la récolte de preuves par drone sans publicité ou encore le recours au renseignement algorithmique en matière de criminalité organisée. Baptiste Le Querrec y voit ainsi « le résultat d’années de tentatives » de lutter contre les messageries cryptées. « C’est un contournement du principe de séparation des pouvoirs, insiste-t-il. Le renseignement devient auxiliaire de justice alors qu’il ne répond pas aux mêmes règles. »

Cet amendement « backdoor » survivra-t-il à l’Assemblée nationale ? De nombreux députés se sont exprimés contre, du RN à LFI. Même Clara Chappaz, secrétaire d’Etat au numérique, avait émis des réserves sur un texte qui pourrait « fragiliser des principes essentiels ». D’autres acteurs comme l’alliance française des industries du numérique, qui compte parmi ses membres Apple, HP, ou Samsung, avaient aussi demandé la suppression de ce passage. En cas d’adoption, il est aussi possible que le Conseil constitutionnel suspende une ou certaines dispositions.