C’est quoi ce simulateur de « retard juste » au travail pour compenser la réforme des retraites ?

«Français, Françaises, puisqu’on nous demande de travailler plus longtemps, nous avons décidé d’arriver plus tard. » Dans cette vidéo créée par intelligence artificielle, on peut voir le « ministre des Retardataires » porter une campagne de retard organisé. La « réforme n° 2932 » devrait ravir cette amie qui envoie « je sors de chez moi » toujours allongée dans son lit et ce copain dont les 115 alarmes planifiées sur son téléphone s’avèrent insuffisantes à le réveiller. Mais aussi et surtout, tous les déçus de la réforme des retraites.
Cette initiative est signée du collectif artistique Zélés, composé de Simon, Marc et Charles-Antoine de Sousa, porteur de ce projet. Elle propose une forme de résistance symbolique au passage en force de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans.
Calculer son « juste retard »
« J’ai essayé de trouver une réponse un peu différente pour reparler de ce sujet, le remettre sur la table, juste avant le 1er mai », jour de la fête du Travail, explique Charles-Antoine de Sousa. « C’est un sujet qui a plusieurs années à présent, beaucoup de méthodes ont été employées pour en parler et il y a eu beaucoup de bruit médiatique autour. Mais là, on sent une forme de lassitude, comme si les gens avaient fini par accepter leur sort. »
Pour compenser le temps de vie « volé » par cette réforme adoptée avec le 49.3, Zélé propose de calculer le nombre de minutes quotidiennes à « reprendre » à son entreprise. Les artistes ont d’ailleurs procédé à des collages dont les QR codes redirigent vers leur simulateur, lareformedesretards.fr, qui permet de calculer le « juste retard ». C’est « une façon symbolique de reprendre ce temps en étant en retard au travail proportionnellement aux années de travail supplémentaire », explique Charles-Antoine de Sousa.
« Entre 30 et 40 minutes » par jour
En renseignant des informations telles que l’âge actuel, l’âge de début de carrière, le temps de travail hebdomadaire, le nombre de jours travaillés par an et les périodes d’inactivité, l’outil propose un retard allant de 5 minutes à une heure, afin qu’il soit à la fois significatif et raisonnable. En transformant un acte quotidien en geste de protestation, cette initiative cherche à sensibiliser et à susciter le débat sur les conditions de travail et le temps de vie. « L’objet permet de prendre conscience de ce que cette perte de temps représente quand on la découpe au quotidien. En moyenne, c’est entre 30 et 40 minutes, mine de rien, c’est beaucoup ! », explique l’artiste.
Évidemment, le retard est différent selon que vous soyez proche ou éloigné de la retraite. « Plus vous êtes jeune, plus vous êtes éloigné de cette retraite, plus ce temps va être étalé chaque jour car divisé en plusieurs années. Mais plus vous êtes proche de la retraite, plus il faut être en retard », simplifie Charles-Antoine de Sousa. En 2024, le collectif Les Glorieuses a invité les femmes françaises à arrêter de travailler le 8 novembre à 16h48, estimant qu’à partir de cet instant et jusqu’à la fin de l’année, elles travaillaient gratuitement. Charles-Antoine de Sousa reconnaît que son projet « aide à matérialiser certaines différences, un peu dans la même lignée » que l’initiative lancée en 2016 pour dénoncer les inégalités salariales.
« A vos risques et périls »
« Allonger les matins » comporte toutefois de vrais risques pour un salarié. « Si vous voulez absolument récupérer des années, c’est à vos risques et périls en effet, ça reste une alternative un peu absurde ! L’objectif n’est pas de faire renvoyer la majorité des Français de leur travail demain », sourit Charles-Antoine de Sousa, insistant sur la visée humoristique de sa démarche.
En effet, des retards répétés peuvent justifier une sanction disciplinaire et même aller jusqu’au licenciement pour faute grave, selon le Code du Travail. La jurisprudence montre bien que des retards fréquents et injustifiés, s’ils désorganisent le service ou nuisent à la production, peuvent être considérés comme une faute grave, notamment s’ils ont donné lieu à des avertissements antérieurs restés sans effet. Ce mode de protestation original comporte donc des risques. Alors si vous décidez de résister de cette façon, méfiez-vous : l’adage du faux ministre « plus qu’un retard, un nouveau départ » pourrait bien s’avérer prémonitoire…