France

« C’est de l’esclavage moderne »… Les livreurs Uber Eats et Deliveroo veulent sortir de la misère

Ils sont agglutinés par dizaines sur les trottoirs. Assis sur leur vélo ou leur scooter, ils passent une grande partie de leur journée à patienter. Les yeux rivés sur leur téléphone à regarder tout et n’importe quoi sur le Web, ils attendent que la sonnerie retentisse pour les alerter. La voilà enfin qui résonne : il y a une commande à livrer. Douze kilomètres aller, idem au retour. Tarif de la course : 6,50 euros. « Une misère » pour ce livreur d’origine afghane. Il refuse.

Quelques minutes plus tard, la même sonnerie retentit. Personne n’a voulu livrer ces tacos d’une grande chaîne française à ce prix. La plateforme Uber Eats a donc choisi de relever le prix à 8 euros. « Une livraison comme ça, ça te prend une heure. On te paye 6 ou 8 euros. Toi, tu as ton essence, ton assurance, ton Urssaf. C’est impossible. » Sauf que cette course finira par être acceptée par un autre livreur, qui enfourchera son scooter pour quitter le centre-ville de Rennes et rejoindre Pacé, où un client lui fera monter plusieurs étages pour avoir son tacos. « Il y en a, il faudrait leur amener tout ça sous la couette », s’agace Joseph Atangana.

Livreur indépendant depuis 2020, cet homme est le porte-parole d’une profession en colère. Lassés selon eux de se faire exploiter par les plateformes comme Uber Eats ou Deliveroo, les livreurs se sont réunis dans les plus grandes villes françaises ce mardi, avec le mince espoir de peser dans les négociations qui se tiennent à Paris et décideront de leur rémunération. « On ne peut plus continuer comme ça. Depuis que j’ai commencé, j’ai perdu 40 à 50 % de mes revenus. Les plateformes laissent les gens dans la précarité, elles alimentent un système d’esclavage moderne ». Les mots du représentant de l’Union des indépendants sont crus.

Une baisse de rémunération de 25 %

Dans toutes les villes françaises, la très grande majorité des livreurs « sont issus de l’immigration ». Certains ne parlent que peu ou pas français, d’autres n’ont pas de papiers. « On n’a pas la culture de la mobilisation donc on se fait littéralement manipuler », regrette celui qui est aussi président des Coursiers autonomes de Bretagne. D’après lui, la rémunération aurait baissé de 25 % en moins d’un an.

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Les raisons de cette crise sont simples à analyser : les plateformes comme Deliveroo ou Uber Eats proposent des tarifs dérisoires pour faire livrer leurs repas. Un job ingrat qui trouve pourtant de très nombreux candidats parmi les plus précaires, qui n’ont « pas vraiment d’autre choix » et investissent dans un vélo ou un scooter pour aller gratter quelques euros ici ou là. « Quand j’ai démarré en 2017, je gagnais très bien ma vie. Je touchais parfois 1.000 euros par semaine. Mais là, c’est n’importe quoi. Je gagne 30 ou 40 euros par jour pour attendre dehors pendant douze heures », témoigne Housseyn. A ses côtés, un homme d’une soixantaine d’années explique avoir gagné 296 euros (avant paiement des charges) pour 41 heures de travail.

Le vélo a disparu

Les deux hommes, comme la très grande majorité des livreurs, ont abandonné le vélo. Housseyn s’est acheté une voiture, ce qui n’est pas toléré par la loi française encadrant le métier. « Tout le monde fait ça. Moi, ça me permet de travailler quand il pleut. Comme il y a moins de livreurs, les prix sont un peu plus élevés ». Rien qu’à Rennes, on compterait « entre 1.000 et 1.500 livreurs » alors que seulement 500 sont déclarés. « Depuis ce matin, je n’ai rien eu », reconnaît Seydou (prénom d’emprunt).

Des livreurs travaillant pour Deliveroo ou Uber Eats se sont rassemblés dans plusieurs villes françaises pour demander une hausse de leur rémunération. Ici à Rennes, le 188 mars 2025.
Des livreurs travaillant pour Deliveroo ou Uber Eats se sont rassemblés dans plusieurs villes françaises pour demander une hausse de leur rémunération. Ici à Rennes, le 188 mars 2025. - C. Allain/20 Minutes

Le problème de la rémunération vient aussi de cette concurrence. Les plateformes ont un tel choix de livreurs capables de travailler pour elles qu’elles peuvent pratiquer des prix très bas. « Il y aura toujours quelqu’un qui prendra », résume Housseyn, fataliste. Ce que demande l’Union des indépendants, c’est qu’un barème minimal puisse être institué. « Au moins 3,20 euros la course et jamais moins d’1 euro le kilomètre », martèle Joseph Atangana. Il aimerait aussi que les géants comme Deliveroo ou Uber Eats révèlent comment ils définissent les rémunérations.

Les dangers sur la route

Son association milite également pour que les nouveaux arrivants puissent bénéficier d’une formation au Code de la route. Plus d’une vingtaine de livreurs ont été tués dans l’exercice de leur métier ces cinq dernières années. Tués pour avoir voulu travailler malgré des conditions déplorables.