Ces personnes envoient 20 photos de leur gosse par jour.
Le psychologue Robert Zuili décrit un « sentiment de toute-puissance qui nous fait dire « si je ne le fais pas, l’autre le fera, donc autant le faire moi » ». En 2021, les Français ont envoyé en moyenne 140 textos par mois, selon l’autorité de régulation des communications électroniques.
Ce sportif qui se rend toujours à la salle équipé de son trépied pour se filmer, ce camarade qui ne se déplace jamais sans sa partenaire, même lorsque les autres avaient stipulé de venir sans accompagnateur, ce collègue qui vous critique si vous n’avez pas visionné son film favoris…
L’idée de base est simple : s’intéresser à ces comportements agaçants que nous rencontrons au quotidien. Ce « sentiment de toute-puissance qui nous pousse à penser ‘si je ne le fais pas, l’autre le fera, donc autant que je le fasse moi’ « , comme l’explique le psychologue Robert Zuili, auteur de *Pouvoir des liens* (éd. Mango, septembre 2023). Ces petites manies agaçantes sont nombreuses et, surtout, elles nous concernent tous. En effet, « nous sommes tous le relou de quelqu’un ». Aujourd’hui, nous nous penchons sur ces parents qui partagent des photos de leurs enfants toutes les 30 secondes dans les discussions avec leurs amis.
**Le fait relou**
En ce mois de septembre, vous l’avez sûrement remarqué : sur les réseaux sociaux, dans vos échanges entre amis et dans les groupes familiaux WhatsApp, ces photos sont omniprésentes. Les enfants armés de leurs cartables, portant nouveaux classeurs, trousses et cahiers de texte, posent devant la porte de l’école. C’est bien sûr le moment de la rentrée.
Cependant, il est difficile de savoir si le petit Marcel a bien grandi, car vous avez eu l’opportunité de suivre ses aventures tout l’été. Son premier château de sable, son pipi sur la plage, sa petite bulle de salive immortalée par le smartphone de ses parents…
En réalité, cela se produit toute l’année. Lorsque l’on approche de la trentaine et que les premières naissances émergent parmi nos proches, la tendance à partager des preuves de leur existence et de leurs moindres faits et gestes devient aussi naturelle que les rots après un biberon. Et c’est agaçant.
**Pourquoi c’est relou**
Parce que même si nous adorons vos enfants, nous ne souhaitons pas nécessairement suivre chaque petite aventure. Même la plus folle. Parfois, nous préférerions échanger entre adultes, savoir comment vous allez, ce que vous prévoyez pour le week-end ou les vacances, sans que l’on nous bombarde d’images d’un bébé qui fait caca pour la première fois sur son pot. « Une ou deux fois, c’est sympa. Mais quand on reçoit 20 photos alors qu’on n’a rien demandé ou qu’on discute d’un autre sujet, ça m’énerve vraiment », confie Laura, maman depuis six ans.
« Nous vivons dans une société médiatique qui nous submerge d’un nombre exorbitant de messages. Nous sommes constamment sollicités, et cela crée une forme de saturation, y compris face à la surexposition des enfants qui nous sont plus ou moins proches », explique Gérard Neyrand, sociologue et professeur émérite à l’université de Toulouse, spécialisé dans l’analyse des relations familiales.
Nous nous sentons obligés de dire que « oui, oui, c’est trop mignon », ou au minimum d’ajouter un cœur, précise encore Laura. « Parce que c’est ton ami, tu ne peux pas faire le difficile non plus », justifie-t-elle. C’est ce que Gérard Neyrand appelle « la confirmation narcissique », recherchée par celui qui envoie la photo : « C’est une quête de reconnaissance qui peut agacer. »
**Que disent les relous ?**
« On les envoie à ceux qui nous le demandent et à ceux qui veulent les recevoir, et nous recevons beaucoup de retours. Ils sont contents d’avoir reçu les photos, car ils les aiment », se défend Romain, 36 ans, lecteur de *20 Minutes* et visiblement membre de l’équipe des spammeurs. Pour ces parents, c’est difficile de ne pas vouloir valoriser leurs enfants et d’être valorisés à travers eux, explique Gérard Neyrand.
Un autre argument en faveur de ces comportements : notre société place l’individu au centre et élève le statut de l’enfant. Avec l’avènement du numérique et des réseaux sociaux, « nous assistons à une valorisation de soi et de nos relations par la mise en spectacle », dit le sociologue. Par ailleurs, on peut être agacé par ces comportements tout en étant tenté d’agir de la même manière. « C’est paradoxal mais pas contradictoire », souligne Gérard Neyrand.
Capturer des photos de ses enfants est « une impulsion naturelle, une sorte d’addiction au souvenir, à fixer des moments, même en prenant le risque de les exposer sur les réseaux sociaux malgré les dangers que cela implique », ajoute Laura. Certaines personnes, comme Marie, qui a eu des jumeaux il y a six mois, ont établi une technique : « Créer une conversation entre mamans pour s’envoyer autant de photos que possible, sans déranger les autres. »
**Ce que dit la Science**
Attention, car votre enfant, bien qu’encore petit et peu enclin à dire non, est un être humain à part entière avec un droit à l’image. Pour partager des images de lui, vous devez obtenir son consentement, tout comme l’accord du deuxième parent, rappelle la Cnil, citant l’article 372-1 du Code civil. En 2016, une jeune autrichienne a ainsi poursuivi ses parents pour avoir publié quelque 500 photos de son enfance sur Facebook.
Avant d’envoyer une photo de votre enfant ayant mis de la purée de courge sur son visage, demandez-vous combien de messages auront été envoyés au destinataire avant le vôtre. Dans le monde, chaque seconde, 200.000 SMS sont échangés. En 2021, les Français ont envoyé en moyenne 140 textos par mois, selon l’autorité de régulation des communications électroniques, sans compter les échanges sur des applications comme WhatsApp, Messenger ou Signal.
**Comment dire au relou qu’il est relou ?**
Lorsqu’on est le destinataire de ces photos, il est particulièrement difficile d’informer son ami qu’on est en overdose, au risque de lui infliger une « blessure narcissique », prévient le sociologue.
Pour éviter une crise, il est préférable de faire preuve de patience. « Plus l’enfant grandit, moins les parents bombardent », constate Laura. À l’adolescence, les enfants empêcheront eux-mêmes leurs parents de les mitrailler.

