France

« Celle-là, tu peux aller chez elle »… Les multiples risques de l’insémination artisanale

Rapide, gratuite, offrant la possibilité de choisir son donneur de sperme et de garder un lien avec lui si on le souhaite… L’insémination artisanale*, consistant à réaliser une insémination en dehors de tout cadre médical avec le sperme d’un donneur souvent trouvé sur Internet, présente selon ses adeptes de nombreux atouts. Mais la liste de risques auxquels s’exposent les personnes y ayant recours est tout aussi longue.

Tout d’abord, cette pratique est illégale en France et pénalement répréhensible. L’article 511-12 du Code pénal dispose que toute insémination faite en dehors du cadre légal est une infraction punie d’une peine maximale de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende. Et si, faute de preuves, cette condamnation est difficilement applicable, il ne s’agit pas du seul danger.

« Beaucoup d’hommes ne sont là que pour avoir des rapports sexuels »

Les motivations de certains donneurs peuvent tout d’abord poser question. Si la plupart des receveuses demandent un don artisanal (une éjaculation dans un pot suivie d’une injection du sperme dans le vagin via une pipette), beaucoup d’hommes souhaitent, eux, faire un don « semi-naturel » ou « naturel » (par pénétration vaginale). Sur un forum spécialisé, Patrick**, un donneur « avec un surpoids à cause de (s)on travail de cadre sup » se disant « très sérieux » et « vraiment disponible », insiste : « je suis souvent contacté pour la méthode artisanale que je ne pratique pas. » Un autre, célibataire n’ayant « pas d’attaches spécifiques », se projette déjà : « Vous êtes libre d’être dans la tenue qui vous met à l’aise, et vous pouvez également m’indiquer si vous préférez que je sois nu ou que je garde le haut. Vous avez le choix d’être passive ou active lors de l’acte. »

Simon, donneur de 25 ans dont l’annonce sur un groupe Facebook précise en gras « méthode artisanale uniquement », a « halluciné » quand il a découvert que « beaucoup d’hommes ne sont là que pour avoir des rapports sexuels ». « Ils sont quand même prêts à avoir un enfant ! »

« Il est hors de question d’échanger mon enfant contre un rapport sexuel »

Si les donneurs ne proposant que du naturel ou du semi-naturel sont faciles à reconnaître (ils doivent, sur la plupart des sites, le dire explicitement dans leur annonce), d’autres sont plus sournois. Le premier homme sur lequel est tombée Sophie s’est d’abord montré favorable à un don artisanal, avant d’ajouter « si on s’entend bien, on fera peut-être la méthode naturelle. » La trentenaire coupe court à la conversation mais l’homme la rappelle plusieurs fois et insiste, arguant que « si tout le monde y prend du plaisir et que tu as ton enfant… » Sophie s’énerve : « Pour moi, il est hors de question d’échanger mon enfant contre un rapport sexuel, quand bien même je me serais bien entendu avec le donneur. »

Certaines femmes tombent sur des hommes encore plus malsains, acceptant un don artisanal avant d’exiger, au dernier moment, d’avoir recours à la méthode « naturelle », leur assurant que celle-ci est plus efficace. « J’ai été ajouté dans un groupe de conversation privée dans lequel des donneurs s’échangeaient des contacts de femmes en disant “celle-là, tu peux aller chez elle” », témoigne Julien, donneur de 25 ans. Face à l’afflux de ce type de témoignages, l’administratrice d’un groupe Facebook a dû réagir. Répondant à une femme demandant s’il y a eu beaucoup de cas, elle explique : « Oui et on a fait le nécessaire, mais je préfère prévenir vu que beaucoup de donneurs insistent pour la méthode naturelle en disant que l’artisanale ne fonctionne pas. »

« Si je leur refusais l’artisanal, je trouverais ça malvenu »

Sébastien fait partie des hommes persuadés que la méthode artisanale est moins efficace. Il assure toutefois qu’il « essaie d’avoir une approche morale ». « Si je leur refusais l’artisanal, je trouverais ça malvenu. Pour un couple de lesbiennes, je trouve ça tout à fait normal », estime-t-il. Avant d’ajouter « si elles sont hétéros, quand elles ont le choix, elles prennent un donneur qui fera des beaux enfants selon elles. Elles vont donc en général ne pas avoir de problèmes à avoir un rapport sexuel avec cette personne. »

Les donneurs ne sont pas non plus épargnés par les situations délicates. Sébastien en sait quelque chose. Il a fini au commissariat l’année dernière. « C’était le premier couple hétérosexuel que j’aidais et le mari voulait que ça se fasse de manière naturelle. J’ai opté pour la semi-naturelle. » Deux ans plus tard, la police le convoque et évoque cette rencontre. « J’ai appris que la femme était sous l’emprise de cet homme, qui trouvait des types pour avoir des rapports avec elle, ça l’excitait. Il est en prison aujourd’hui. » Si Sébastien n’a pas été inquiété et se dit « plutôt victime de cette histoire », il a depuis tiré un trait sur les couples hétérosexuels.

Des risques de MST

Un autre risque est omniprésent : celui des maladies sexuellement transmissibles (MST). « Beaucoup de donneurs sont récusés du parcours d’AMP pour raison médicale, qu’ils aient une MST, une maladie génétique ou que la qualité de leur sperme ne soit pas assez bonne », explique à 20 Minutes l’Agence de la biomédecine. A contrario, le sperme donné pour une insémination artisanale n’est pas analysé.

Simon assure qu’aucune demandeuse ne lui a demandé ses résultats biologiques. « Les gens ne sont pas trop regardants, pourtant ça me semble primordial. » Sophie, elle, avait exigé de voir les derniers bilans sanguins de son donneur, tout en ayant conscience « qu’ils n’avaient de valeur qu’à l’instant T où il avait été prélevé. » Et cela sans compter les falsifications. « En cas de transmission d’une MST, on ne peut pas se retourner contre son donneur car l’insémination artisanale étant illégale, la faute est partagée », souligne Sophie Paricard, professeur de droit à l’Institut national universitaire d’Albi.

Reconnaissance de paternité et pension alimentaire

Les dangers concernent aussi la filiation. « La loi sur l’assistance médicale à la procréation (AMP) par don de gamètes protège beaucoup les donneurs », explique Valérie Depadt, maître de conférences à l’Université Paris-13. Si un enfant issu d’une AMP peut, depuis 2022, demander à sa majorité la levée de l’anonymat de son donneur, il ne peut en revanche lui en demander davantage. « La loi dit bien que le donneur n’a aucune obligation envers l’enfant, ni de lui répondre, ni de le voir, et évidemment l’enfant ne peut pas demander une reconnaissance de paternité », précise Sophie Paricard.

Si la loi protège le donneur agréé, il n’en est pas de même pour le clandestin, considéré par la loi comme le père. Concrètement, l’enfant pourra à tout moment réclamer une reconnaissance de paternité « qui lui sera accordée », affirme Valérie Depadt, membre de la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation (Capadd).

Aucune protection juridique possible

« La femme peut aussi exercer une action en recherche de paternité et demander le versement d’une pension alimentaire. De la même façon, si le donneur décide de reconnaître l’enfant, même des années après sa naissance, cela fonctionnera », assure Valérie Depadt. En cas de décès de son géniteur, l’enfant issu du don pourrait également réclamer sa part d’héritage. « Personne ne peut renoncer à sa paternité, donc la justice peut obliger le donneur à prendre ses responsabilités », ajoute Sophie Paricard.

Pour se protéger, certains duos décident de signer un contrat : le donneur ne pourra pas reconnaître l’enfant et la receveuse ne pourra rien lui demander, hormis d’éventuelles questions médicales. Mais cette paperasse n’a aucune valeur juridique. « On ne peut pas contracter sur l’état civil d’un enfant car c’est de l’ordre public », insiste Valérie Depadt.

Cacher sa véritable identité

Alors pour éviter d’être retrouvés, donneurs et receveuses se donnent souvent peu d’informations sur leurs identités respectives, voire de fausses informations. « Des femmes à qui j’ai fait un don ne voulaient pas me donner leur nom de famille ou leur adresse pour éviter qu’on les retrouve, explique Christophe, donneur de 43 ans. Je connais juste leur prénom, mais je ne cherche pas à en savoir davantage. » Sophie, mère solo d’une enfant de 5 ans issue d’une insémination artisanale, a longtemps eu peur que son donneur demande la reconnaissance de sa fille. « Lorsque l’on entre dans ce type de processus, c’est un risque qu’il faut être prête à prendre car il existe. Mais plus le temps passe, moins j’ai peur, car je ne vois pas ce qu’il pourrait en tirer. »

Marjolaine, elle, a choisi comme donneur un homme marié et père de trois enfants. « Le fait qu’il ait sa famille nous faisait dire qu’il ne s’immiscerait pas dans la nôtre. » Une conviction qui s’est renforcée après avoir rencontré sa femme et leurs enfants. De son côté, Sophie a fait un autre choix pour se sentir protégée : celui d’un « serial donneur ». « Je me suis dit qu’étant géniteur de plus d’une centaine d’enfants en France, le risque qu’il vienne m’embêter était quasiment nul. » Mais elle a tout de même brouillé les pistes. « Il ne connaît pas le prénom de la petite ni la date précise de sa naissance car je ne lui ai pas envoyé la nouvelle le jour de l’accouchement. Quand on a peur, on fait ce qu’on peut. »

« Si elles se mettent toutes à me demander des sous, ça va commencer à être compliqué »

Même son de cloche côté donneurs. Sébastien, qui a réalisé plus d’une cinquantaine de dons, se sent « obligé de faire confiance ». « A priori les femmes que j’aide, notamment les couples de lesbiennes ayant une peur bleue que le géniteur réclame la garde, ne viendront pas me demander de l’argent. Franchement, on n’est pas là pour donner 200 balles par mois, on est déjà assez généreux. » Puis, il s’entend réfléchir à voix haute : « Mais c’est vrai que si elles se mettent toutes à me demander des sous, ça va commencer à être compliqué. » Sébastien a aussi peur que la dernière femme à qui il a donné son sperme, « plutôt jolie », « commence à s’attacher ». « Je lui plais bien, on a bu un verre et on a pris une nuit à l’hôtel. » Elle est tombée enceinte à la suite du don, réalisé de manière naturelle. « Je n’ai pas l’intention de fonder une famille, ni avec elle, ni tout de suite. »

De son côté, Marjolaine stresse d’autant plus que son statut de parent est en jeu. Dans le cadre d’une AMP, le statut de la mère n’ayant pas porté l’enfant est reconnu dès sa naissance si le couple a effectué une reconnaissance conjointe anticipée. Dans le cadre d’une insémination artisanale, il faut attendre six mois avant de déposer la demande d’adoption. « On doit ensuite passer devant le juge et expliquer pourquoi on veut adopter notre propre enfant », se désole Marjolaine. Leur petit garçon a 1 an et demi, mais elle n’en est toujours pas officiellement la mère, le jugement n’ayant pas encore eu lieu. « En attendant, je ne me sens pas en sécurité, pour eux, pour moi. »

« Trop risquée »

Pour toutes ces raisons, Erica**, mère de 37 ans qui avait tenté, en vain, une AMP solo, a abandonné son projet d’avoir un enfant par insémination à la maison. « Je comprends celles qui y ont recours, mais je la trouve trop risquée pour moi. »

Malgré tous les risques qu’il comporte, Sophie ne regrette pas son choix. « Quand elle sera plus grande, j’expliquerai à ma fille que j’ai demandé à un monsieur de me donner la graine. Il était d’accord pour que je lui montre sa photo et que je lui donne quelques informations basiques ». Avant d’ajouter, mi-amusée, mi-apeurée : « cela dit, si ça se trouve, il a fait comme moi et elles sont fausses ».

* Cet article est le second des trois chapitres qui composent notre enquête sur l’insémination artisanale.

** Le prénom a été modifié.