Cauchemar au Nouvel An : Le meurtre en 2001 de Jeanette O’Keefe, l’étudiante australienne « paumée » dans Paris
Vingt-quatre années se sont écoulées depuis la découverte du corps de Jeanette O’Keefe. « Mais je m’en souviens très bien », souffle Jean-Marc Bloch, l’ancien patron de la police judiciaire de Versailles. « C’est une affaire marquante, comme le sont souvent les affaires d’homicide. » C’était le 2 janvier 2001. Ce matin-là, deux gamins d’une douzaine d’années, habitant la cité des Musiciens aux Mureaux (Yvelines), partent promener le chien. Étrangement, l’animal se dirige vers un petit parking abandonné, jonché de détritus. Il fonce vers un sac de couchage dans lequel semble se trouver un corps.
Les garçons paniquent. Ils courent prévenir le père de l’un d’eux, qui alerte les secours. Sur place, les pompiers coupent le cordon du duvet qui était noué autour du cou de la victime. Ils ne peuvent que constater le décès de cette femme âgée d’une vingtaine d’années.
Le parquet saisit la brigade criminelle de la PJ de Versailles. Les investigations s’annoncent compliquées. « On n’avait rien », raconte l’ancien policier. Les enquêteurs ne trouvent ni papiers d’identité, ni effets personnels appartenant à la jeune femme. Ils consultent le fichier des personnes recherchées, le FPR, mais n’établissent aucun lien avec une autre affaire de disparition récente. Ils montrent sa photo aux habitants du quartier, personne ne la reconnaît. Les cinq caméras de surveillance installées dans la cité ne l’ont pas filmée.
Un ADN inconnu retrouvé
Le visage marqué de coups, la victime est vêtue d’un tee-shirt, d’une chemise à carreaux trop grande et d’un bas de survêtement. L’autopsie révèle qu’elle a été étranglée à deux reprises, dont une avec un cordon. En revanche, la jeune femme, qui avait ses menstruations, ne semble pas avoir eu de rapports sexuels avant sa mort. Elle n’avait consommé ni alcool, ni stupéfiant. Elle a le foie éclaté. Sous ses ongles, sont découvertes des cellules de peau. Elles appartiennent sans doute à son agresseur, tout comme les poils retrouvés dans le sac de couchage. Mais l’ADN qui en est extrait ne correspond à aucun de ceux fichés dans les bases de données de la police.
Qui est-elle ? Et que faisait-elle ici ? Seule certitude pour les enquêteurs, la victime n’a pas été tuée à l’endroit où elle a été découverte. Les policiers n’ont constaté aucune trace de lutte à proximité. Et le duvet est sec alors qu’il a plu les jours précédents. Conclusion : le cadavre a probablement été déposé dans ce lieu discret, dans la nuit du 1er au 2 janvier, par un meurtrier qui semble bien connaître les lieux.
Au même moment, à l’autre bout du monde, Kevin et Susan O’Keefe sont dans tous leurs états. Leur fille Jeanette, 28 ans, ne leur a pas donné de nouvelles depuis trois jours. Cette étudiante australienne, passionnée par la culture française, a passé deux mois à Paris. Le 2 janvier, elle devait s’envoler pour New York où l’attendaient un ami et sa sœur, Denise. Mais la jeune femme n’est jamais montée dans l’avion. Sa mère a bien tenté de la joindre au foyer où elle a habité, à Savigny-sur-Orge. Mais Jeanette l’avait quitté avec toutes ses affaires. Le 9 janvier, elle déclare sa disparition à la police australienne, qui transmet l’information à leurs homologues français.
« Complètement paumée dans Paris »
Le corps découvert aux Mureaux a désormais un nom : Jeanette O’Keefe. Jean-Marc Bloch reçoit dans son bureau la sœur de la victime, son beau-frère et le consul d’Australie. « Je leur ai promis qu’on mettra tout en œuvre pour essayer de découvrir ce qu’il s’était passé. » Les policiers tentent de retracer les derniers jours de la jeune Australienne en France. La tâche est compliquée. Timide et peu fêtarde, la jeune femme n’a noué que très de contacts avec les autres étudiants.
Ils apprennent qu’elle donnait des cours d’anglais à Elise, une jeune fille qui lui a proposé de passer le réveillon avec elle et des amis, et de s’installer chez ses parents jusqu’à son départ aux Etats-Unis. Le 31 décembre, la même Elise lui donne rendez-vous à la station Mairie de Clichy. Elle l’attend durant une heure. Mais Jeanette ne vient pas. La jeune australienne s’est probablement perdue en chemin. « Elle était complètement paumée dans Paris », explique Jean-Marc Bloch.
Les policiers apprennent que Jeanette a ensuite contacté Anthony, un Néo-Zélandais de 40 ans qui, comme elle, prenait des cours de français dans le 19e arrondissement. Au téléphone, elle lui demande s’il peut l’héberger deux nuits. Le quadragénaire, qui n’en a pas très envie, n’ose pas refuser. Il fait alors exprès d’arriver très en retard au rendez-vous qu’il lui a fixé sur les Champs-Elysées, noirs de monde. Ne le voyant pas venir, Jeanette appelle les parents d’Elise et leur demande comment se rendre chez eux, à Herblay, dans le Val-d’Oise, en train. Sa trace s’arrête ici.
« Il était sur notre liste de mecs qu’on ciblait »
Et si, pour y aller, Jeanette n’avait finalement pas pris le RER ? « On ne savait pas comment cette femme était arrivée ici. On ne comprenait pas ce qu’elle foutait là, il n’y avait aucun lien, poursuit Jean-Marc Bloch. A un moment donné, on s’est demandé si le meurtrier ne pouvait pas être un chauffeur de taxi. » Une piste d’autant plus intéressante qu’à l’époque, une autre affaire défraie la chronique. Celle de la mort de Susanna Zetterberg, une étudiante suédoise de 19 ans enlevée en avril 2008 à la sortie d’une boîte de nuit de la rue de Rivoli. Elle était montée dans le faux taxi que conduisait son meurtrier, Bruno Cholet. Mais ce criminel multirécidiviste était déjà derrière les barreaux au moment du meurtre de Jeanette.
Plus leur enquête avance, plus les policiers sont convaincus que Jeanette n’avait aucun lien avec son tueur. « Dans une enquête pour meurtre, on commence toujours par travailler sur la victime, ses relations. Tu peux gratter tout ce que tu veux, tu ne trouveras rien si elle est tombée par hasard sur son meurtrier », analyse l’ancien policier. Les enquêteurs vont avoir l’idée de convoquer tous les célibataires de la cité des Musiciens, aux Mureaux, pour prélever leur ADN afin de le comparer avec celui du criminel retrouvé sous les ongles de la victime. Sur les 120 hommes ciblés, six ne répondent pas aux convocations. Sans le savoir, les policiers sont sur la bonne piste.
Un contrôle routier, puis l’ADN
En février 2008, Adriano Araujo da Silva refuse de se soumettre à un contrôle routier. Habitant la cité des Musiciens, ce père de trois enfants, qui conduit sans permis, est interpellé et condamné à un mois de prison. A cette occasion, son ADN est prélevé et ajouté au Fnaeg, le fichier national automatisé des empreintes génétiques. Il est comparé aux ADN inconnus prélevés sur différentes scènes de crime. « Et ça a matché », se remémore Jean-Marc Bloch.
Désormais suspecté d’avoir tué Jeanette, Adriano Araujo da Silva n’est pas inconnu des enquêteurs : il fait parti des six hommes célibataires n’ayant pas répondu aux convocations. « Il était sur notre liste de mecs qu’on ciblait dans la cité, on l’avait sous la main, souligne l’ancien commissaire. C’est une affaire qu’on a mis du temps à résoudre alors qu’on était tout près du but assez rapidement. »
Etranglée avec une rallonge électrique
L’homme, un Français originaire du Brésil, est interpellé en février 2009. Après avoir nié les faits, il apprend par les policiers que son ADN a été découvert sur la victime. Il leur explique alors qu’il a vu la jeune femme se faire agresser par des jeunes dans la rue. Il se serait approché d’elle pour l’aider, mais elle aurait paniqué et l’aurait griffé. Acculé, il finit par passer aux aveux. Il raconte avoir rencontré et dragué la victime sur les Champs-Elysées, le soir de la Saint-Sylvestre. Après l’avoir abordée, il lui aurait proposé de l’emmener chez lui, où ils auraient eu une relation sexuelle. Mais l’étudiante australienne aurait refusé d’en avoir une autre. Alors il l’aurait frappée à la tête avec une barre de fer. Et pour la faire taire, il l’aurait étranglée avec une rallonge électrique.
Ne sachant quoi faire de son corps, il l’aurait habillée avec ses vêtements avant de la mettre dans ce sac de couchage qu’il a jeté par le balcon, du 4e étage. « On comprenait mieux pourquoi, à l’autopsie, on voyait que le corps était fracassé mais avec très peu de saignements », confie l’ancien patron de la PJ versaillaise. Il a ensuite abandonné le corps sur le parking où il a été découvert.
Adriano Araujo da Silva réitère ses aveux devant le juge d’instruction avant de se rétracter, deux mois plus tard. A son procès, en janvier 2012, il continue de proclamer son innocence, expliquant que Jeanette avait quitté son domicile avec son sac de couchage car ils s’étaient disputés. Elle a sans doute, selon lui, fait ensuite une mauvaise rencontre. Il accuse aussi les policiers de l’avoir manipulé pour lui extirper ses aveux. Ses explications peinent à convaincre la cour d’assises des Yvelines, qui le condamne à trente ans de réclusion criminelle assortis d’une peine de sûreté des deux tiers. Une peine confirmée en appel, en avril 2013, par la cour d’assises des Hauts-de-Seine.