Cannabis thérapeutique : « L’Etat français me condamne à mort »… Des malades effrayés par la fin de l’expérimentation
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«Quand j’ai entendu cette annonce, mon monde s’est effondré », confie Sandra. La décision de mettre fin à l’expérimentation du cannabis thérapeutique au 30 juin prochain a fait l’effet d’une bombe chez de nombreux malades y participant. Ce protocole, commencé il y a plus de trois ans, devait s’arrêter au 31 décembre 2024.
Beaucoup espéraient qu’après cette date, le traitement soit généralisé. Mais, fin décembre, le ministère de la Santé a seulement accordé un délai supplémentaire de six mois aux 1.800 patients inclus dans l’expérimentation, afin de « se sevrer ». Une douche froide pour des malades aux douleurs chroniques, réfractaires à tout traitement, chez qui le cannabis médical « a changé la vie ».
« Mes douleurs ont diminué de 80 % »
Amélie, 29 ans, fait partie de ces malades avalant quotidiennement quelques gouttes de cannabis thérapeutique. Sa syringomyélie, une maladie rare de la moelle osseuse, la fait souffrir atrocement, de jour comme de nuit. « C’était invivable. J’ai dû arrêter mon travail. Je ne voyais plus mes amis. Je vivais en fonction de ma douleur. Je souffrais tellement que j’ai déjà pleuré à l’idée de devoir me laver les cheveux. Je ne suis pas suicidaire mais plein de fois, en me couchant, j’ai espéré ne pas me réveiller le lendemain. »
« Shootée » des années aux opiacés, notamment au Tramadol, qui n’avaient que très peu d’effets, elle a vu sa vie changer grâce au cannabis médical. « Mes douleurs ont diminué de 80 %. J’ai de nouveau une vie. » Et Amélie est loin d’être un cas à part.
« Je ne vois pas l’intérêt de me redonner goût à la vie pour me le retirer après »
Véronique*, enseignante de 53 ans, souffre d’une forme de sclérose en plaques « pour laquelle il n’y a aucun traitement de fond ». « La nuit, mon mari était obligé de peser de tout son poids sur mes jambes pour limiter leur raideur tellement j’avais mal. Aujourd’hui, j’ai beaucoup moins de douleurs, je dors mieux, je marche mieux, j’ai repris le travail. Ça a changé ma vie. » Pour Jean-Luc, ayant eu une hernie discale qui s’est mal consolidée et a éclaté ses plateaux vertébraux, « même changer de position dans (s) on lit était un calvaire ». « Avant de commencer le traitement il y a deux ans, j’étais en fauteuil roulant. Ça fait un an et demi que je n’ai plus remis mes fesses dedans. »
« On m’a donné la chance de voir ce que c’était de vivre sans avoir mal, ce n’est pas possible d’accepter de souffrir à nouveau », résume Amélie. Le choc de l’annonce a été d’autant plus brutal que les professionnels de santé ne semblaient pas s’y attendre. « Au tout début, j’ai bien dit à mon médecin : “si ça fonctionne, est-ce qu’on y aura accès à long terme ? Parce ce que sinon, je ne vois pas l’intérêt de me redonner goût à la vie pour me le retirer après”. Il m’avait dit qu’au minimum, les patients ayant eu recours à l’expérimentation auraient une dérogation pour l’avoir à vie. »
« Il faudrait changer le nom de ce médicament »
Véronique angoisse énormément depuis l’annonce de décembre. « Je le vis très mal mais ce qui m’a crucifiée, c’est le vocabulaire utilisé : ils nous laissent six mois pour nous “sevrer”, comme si on était des junkies. Quand j’ai commencé, j’avais justement peur du côté psychotrope et de devenir dépendante mais il n’y a aucun effet de ce type. Zéro. » Sandra, souffrant d’une névralgie pudendale, le confirme : « ça n’a ni l’odeur, ni le goût, ni le dosage du cannabis. » Pour Véronique, « il faudrait changer le nom de ce médicament parce qu’on est dans un pur imaginaire idéologique ».
Amélie est d’autant plus affligée qu’elle a pris pendant des années des opiacés lui ayant ruiné sa santé, notamment ses reins. « La morphine est une drogue mille fois plus forte que le cannabis thérapeutique, pourtant, elle est légale. »
« Les gens nous disent “vous n’avez qu’à acheter du shit” mais nous, on ne veut surtout pas d’effet psychotrope »
Alors, que faire ? Habitant dans le sud de la France, Amélie hésite à se fournir dans un hôpital espagnol, l’un des nombreux pays européens autorisant le cannabis médical. « Mais ça me semble compliqué… il faut qu’ils acceptent et je ne connais pas les produits utilisés là-bas. » De son côté, Véronique s’énerve : « les gens nous disent “vous n’avez qu’à acheter du shit”. Mais nous, on ne veut surtout pas d’effet psychotrope, ni alimenter le narcotrafic. Ce qu’on veut, c’est un médicament. »
Amélie n’envisage pas non plus cette option. « Je ne vais pas troquer ma maladie contre un cancer des poumons. Et puis je ne saurais pas quoi prendre, ni à quelle dose. Et je ne veux pas rester sur un canapé toute la journée à fumer des joints. » Elle ne se voit pas non plus reprendre les opiacés. « Etre shootée toute la journée, ce n’est pas une vie. » Sandra perd peu à peu espoir. « On a tout essayé. Si le cannabis thérapeutique n’est pas autorisé, c’est fini pour nous. Si la décision est confirmée en juin, il me reste deux choix : me fournir dans les cités ou aller en Belgique pour mettre fin à mes jours. L’Etat français me condamne à mort. »