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Cannabis : « De la graine au produit », cette entreprise de Nouvelle-Aquitaine fabrique elle-même ses huiles au CBD

La petite équipe de La Ferme Médicale a troqué les bottes et le sécateur, pour la blouse blanche et les gants. De cultivateurs, Raphaël de Pablo et Alex Mak sont passés à apprenti chimistes, depuis qu’ils peuvent enfin fabriquer eux-mêmes les produits issus de leur culture de cannabis bien-être.

C’est au cœur de la forêt des Landes que La Ferme Médicale inaugure ce lundi son tout nouveau laboratoire. Biolandes, industriel renommé mondialement pour la fabrication de centaines d’extraits naturels à base de plantes, et qui regarde d’un œil intéressé les innovations de la jeune entreprise, lui a réservé une petite place. Mais attention, caché dans un hangar au fond du gigantesque site, et calfeutré derrière deux grandes portes coulissantes, le laboratoire ne s’ouvre qu’après avoir montré patte blanche… « Vu le produit que l’on traite, la sécurité était un élément important dans le choix de notre implantation » indique Raphaël de Pablo, fondateur de La Ferme Médicale.

« De la graine au produit fini »

Tout s’est accéléré au mois de décembre dernier pour La Ferme Médicale. Le Conseil d’Etat décidait en effet d’annuler définitivement l’arrêté du gouvernement interdisant la vente de la fleur et de la feuille de chanvre chargée en CBD, la molécule non psychotrope du cannabis, ouvrant ainsi encore plus la voie au marché du CBD en France.

« Jusqu’à cette décision, nous pouvions cultiver et récolter du cannabis [sans THC (tétrahydrocannabinol) la molécule psychotrope de la plante], mais nous n’avions pas le droit de transformer les fleurs, explique Raphaël de Pablo, c’est pourquoi nous devions partir en Allemagne pour effectuer la transformation avant de revenir en France pour la commercialisation. Cette décision va enfin nous permettre de maîtriser toute la chaîne, de la graine au produit fini. » La plus haute juridiction française s’est basée sur des données scientifiques établissant que le CBD a des « propriétés décontractantes et relaxantes, mais n’a pas d’effet psychotrope et ne provoque pas de dépendance. »

L’extraction au CO2 supercritique, une sorte de purificateur

La Ferme Médicale n’a pas attendu longtemps pour réagir, et investir dans un laboratoire d’extraction au CO2 (dioxyde de carbone), qui va permettre à l’entreprise spécialisée dans le cannabis bien-être, de transformer elle-même sa propre récolte de chanvre, qui s’établit désormais à 8 hectares localisés dans le sud Gironde.

La machine d’extraction au CO2 supercritique (matière à mi-chemin entre le liquide et le gaz, obtenue quand le CO2 est chauffé à plus de 31 °C et soumis à une pression de plus de 73 bars) est un équipement de pointe qui permet d’isoler et retirer une molécule ou un composé avec une grande précision. Il agit comme une sorte de purificateur. « On peut récupérer 99 % des molécules de la plante » assure Raphaël de Pablo. Comment ? « Le CO2 à son état supercritique se comporte comme un solvant, détaille Maryam Rabla, cheffe de projet chez SFE Process, le fabricant de cet extracteur, basé à Nancy. Il peut ainsi capter les différentes molécules qui sont dans les plantes, et en fonction du poids il les déverse dans chacun des séparateurs. »

« C’est comme quand l’eau traverse le café, résume Jérémy Lagrue, président et créateur de SFE : elle solubilise les arômes de café et la caféine. C’est la même chose avec nos machines, sauf qu’elles utilisent du CO2, ce qui nous permet de récupérer des arômes purs. C’est comme si au fond de votre tasse, il n’y avait plus d’eau mais uniquement de l’extrait de café pur. » La technologie du CO2 est déjà utilisée dans le domaine de la parfumerie, des cosmétiques, de la pharmacie…

Coût élevé

Une fois récoltés, le cannabis et sa fleur sont broyés pour être réduits en poussière, et placés dans une chambre d’extraction, dans laquelle le CO2 est envoyé sous pression, « ce qui va permettre de séparer les molécules, comme les cannabinoïdes ou les terpènes, poursuit Raphaël de Pablo. A partir de là, nous pourrons établir des formulations différentes en fonction de nos produits. Ce qui nous intéresse, c’est d’aller chercher le spectre complet des molécules. »

Autre avantage, « le CO2 ne laisse aucune trace de solvant dans l’extrait final, alors que dans les industries de transformation, on utilise des solvants pétroliers parfois cancérigènes, dont il reste toujours d’infimes traces » assure Jérémy Lagrue. Le coût d’investissement est « la seule limite » de cette technologie. Une machine peut en effet coûter plusieurs centaines de milliers d’euros selon sa taille, et pour du chanvre, il faut une tonne de cannabis pour sortir un litre d’extrait de terpènes, et un kilo pour 70 cl de cannabinoïdes. Le coût de production est de l’ordre « d’environ 4.000 euros pour transformer 50 kg » estime Raphaël de Pablo.

125 cultivateurs de cannabis en Nouvelle-Aquitaine

La Ferme Médicale propose à ce jour quatre produits sous forme d’huile, « qui viennent répondre à des besoins concernant des problèmes d’anxiété, d’inflammation, de douleurs et sur les difficultés liées au sommeil » indique Raphaël de Pablo. « Nous sommes présents dans 72 pharmacies, poursuit l’entrepreneur, et notre objectif est de nous diversifier en allant aussi sur le marché des gélules et du cosmétique à base de cannabinoïdes. »

La Ferme Médicale entend aussi devenir un acteur clé de la filière. « Il y a 125 agriculteurs en Nouvelle-Aquitaine qui cultivent du cannabis, dont 89 du chanvre bien-être, le reste étant positionné sur du chanvre alimentaire ou textile. Nous voulons développer la filière du chanvre bien-être dans la région, en proposant la transformation et la distribution, ce que beaucoup d’agriculteurs ne sont pas capables de faire. »

Le laboratoire vise à terme une production de 40 à 50 tonnes

Le laboratoire de La Ferme Médicale souhaite ainsi transformer la récolte d’autres agriculteurs, et espère traiter « 20 tonnes de récolte cette année, dont 2,5 tonnes issues de notre propre production. Dans quelques jours nous aurons une machine de mise en bouteilles qui va nous permettre de faire le remplissage, l’étiquetage et le bouchonnage des fioles, et nous souhaitons acquérir une deuxième machine d’extraction en juin, ce qui pourrait nous permettre de faire gonfler notre volume à 40 voire 50 tonnes. »

Ce n’est pas tout. Raphaël de Pablo souhaite aussi s’ouvrir à de nouveaux produits. « Nous allons également tester la spiruline, les champignons, la propolis (résine végétale)… Le champignon par exemple est un nouveau marché qui est en train de s’ouvrir en France, et nous allons lancer un projet avec une champignonnière basée à Bordeaux. »