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Burkina Faso, Mali… Pourquoi « la France se prend claque sur claque » au Sahel

La France est-elle encore la bienvenue quelque part en Afrique francophone ? Près d’un an après le début du retrait des troupes de l’opération Barkhane du Mali, et quelques mois après un départ de la Centrafrique, c’est désormais le Burkina Faso qui rejette la présence tricolore venue soutenir la lutte contre les groupes djihadistes qui sévissent au Sahel. D’ici un mois, les 400 militaires des forces spéciales françaises, engagées dans une opération baptisée Sabre, ne seront plus qu’un souvenir. L’option privilégiée serait alors de redéployer ces militaires d’élite au Niger voisin. Mais jusqu’à quand ?

Le scénario burkinabé ressemble de plus en plus aux rebondissements qui touchent le Mali avec quelques mois d’écart. Entre le sentiment anti-français, des putschs à répétition, une junte militaire au pouvoir et un rapprochement avec la Russie, le Burkina Faso est-il dans les pas du Mali ? « Ça ne fait aucun doute », tranche Thierry Vircoulon, coordinateur de l’Observatoire de l’Afrique centrale et australe de l’Ifri (Institut français des relations internationales), contacté par 20 Minutes. Toutefois, la présence militaire française au Mali « est incomparable » avec celle au Burkina Faso, nuance Wassim Nasr, spécialiste des mouvements djihadistes et auteur de L’Etat islamique, le fait accompli (Plon).

Une junte militaire au pouvoir

Ce n’est pas un mais deux coups d’Etat qui ont secoué le Burkina Faso en 2022 déclenchés par des attaques meurtrières perpétrées par des djihadistes. Le premier a renversé en janvier le président élu démocratiquement Roch Marc Christian Kaboré remplacé par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Mais ce dernier est à son tour éjecté du siège présidentiel en septembre de la même année. C’est le capitaine Ibrahim Traoré, désigné président de transition jusqu’à une élection présidentielle prévue en 2024, qui lui succède. Un scénario qui n’est pas sans rappeler celui du Mali où deux coups d’Etat ont également éclaté en 2020 et 2021, laissant là aussi la place à une junte militaire.

Depuis leur arrivée au pouvoir en septembre, le capitaine Traoré et son gouvernement ont manifesté leur volonté de diversifier leurs partenariats, notamment en matière de lutte contre le djihadisme. Car les attaques d’al-Qaïda et de Daesh (l’Etat islamique (EI)) sont régulières et meurtrières au Burkina Faso, comme dans le reste du Sahel. Aqmi y sévit sous la bannière du Jnim (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), la branche officielle d’al-Qaïda au Mali. Et Daesh, combat sous le nom du EIGS (l’Etat islamique au grand Sahara). Les groupes djihadistes « contrôlent des zones, tapent aux frontières avec le Togo et le Bénin », précise Wassim Nasr. Al-Qaïda a ainsi revendiqué une attaque en octobre dernier contre la caserne de Djibo, dans le nord du Burkina, faisant dix morts dans les rangs des forces burkinabées.

« Non à la France, voleur de l’Afrique »

Des pancartes « Non à la France, voleur de l’Afrique », « France dégage » et autres slogans appelant au départ de l’ambassadeur français au Burkina Faso, Luc Hallade, fleurissent dans les manifestations à Ouagadougou. Un sentiment anti-français né « d’une opération Barkhane jugée gravement inefficace et vécue comme un échec », explique à 20 Minutes Thierry Vircoulon. Les échecs de l’armée française à repousser le Jnim et l’EI ont été d’autant plus décevants pour la population que les attentes étaient « démesurées », complète Wassim Nasr. « Il y avait une attente irréaliste des capacités françaises, les résultats n’ont pas été au rendez-vous et la population est donc déçue », développe-t-il. Il faut toutefois rappeler que la présence française au Mali et au Burkina Faso est incomparable. Les forces spéciales Sabre sont antérieures à Barkhane et n’avaient pas non plus le même rôle. « Au Burkina, ils opéraient à la demande des autorités et n’étaient visibles que sur certaines opérations épisodiques », précise Wassim Nasr. Une présence plus discrète en somme.

Mais d’une manière générale, « il y a un mécontentement de la politique étrangère de la France en Afrique et cela ne date pas d’hier », souligne Thierry Vircoulon. Et aujourd’hui, il est amplifié, médiatisé fortement « par les trolls russes qui ont réussi à renforcer ce sentiment anti-français », note-t-il. On remarque d’ailleurs des drapeaux russes flotter au-dessous de certaines manifestations rejetant la présence française. Si le Niger voisin est évoqué comme prochaine destination de ces forces spéciales françaises, seront-elles accueillies avec les mêmes slogans ? « La France se prend claque sur claque, elle est en train de se faire rejeter de toute l’Afrique de l’Ouest », résume Thierry Vircoulon.

Vers un rapprochement avec la Russie

Si les autorités assurent en coulisses à Paris ne pas vouloir s’adjoindre les services de Wagner, un rapprochement avec Moscou semble se dessiner. Le Premier ministre Apollinaire Kyélem de Tambèla s’est en effet rendu à Moscou dans le cadre d’une « visite privée » le 7 décembre dernier après une première escale au Mali, selon le site Jeune Afrique. Il avait ensuite déclaré qu’un partenariat avec la Russie était « un choix de raison ».

Par ailleurs, une équipe de liaison du groupe paramilitaire actif au Mali est venue prospecter au Burkina, pays riche en ressources minières, selon plusieurs sources françaises. Et si Ouagadougou suit la voie du Mali, les forces militaires burkinabées pourraient venir appuyer les militaires dans leur lutte contre les djihadistes. Pas sûr en revanche que les résultats soient plus probants avec Wagner qu’avec l’armée française. « Leur seul résultat au Mali, c’est d’avoir dégagé la France, et les Burkinabés le voient », tranche Wassim Nasr qui a par ailleurs analisé la présence de Wagner au Mali depuis un an dans pour le centre de lutte contre le terrorisme de West Point. Il précise par ailleurs que depuis, « les moyens d’action de l’EI ont beaucoup augmenté au Mali ». La présence de Wagner a donc été positive, « mais pour les djihadistes », martèle-t-il. A la fin, c’est tout le contexte sécuritaire qui risque d’empirer au Sahel.