Budget 2025 : Les impôts sont-ils redevenus politiquement corrects… parmi les politiques ?
La Cène version politique française. Parfois remise en question, Science Po reste l’une des rares institutions dans le pays à pouvoir faire s’asseoir à la même table Valérie Pécresse (Les Républicains), Boris Vallaud (Parti Socialiste), Eric Coquerel (La France Insoumise), Marine Tondelier (Ecologiste), Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national) et Éric Worth (Ensemble). Et deuxième tour de force, le débat, organisé le 13 novembre, portait sur un thème glissant : les impôts.
Un sujet qui aurait mis le bazar à table il y a encore quelques mois, version affaire Dreyfus fiscal. Mais accrochez-vous bien : tous les convives, ou presque, étaient d’accord. Même la droite, représentée par Valérie Pécresse, « ne s’est pas dite contre une hausse des impôts », du moment « qu’il soit efficace ». L’exemple pris par la patronne de la région Ile-de-France ? Le prix du ticket de métro parisien pendant les Jeux olympiques. Il est passé à 4 euros l’unité le temps des olympiades, et « personne ne s’en est plaint durant la compétition, car les services étaient impeccables ».
Y a-t-il vraiment le choix ?
Devenu quasiment tabou sous les mandats d’Emmanuel Macron, l’Élysée faisant de la non-augmentation des impôts un des piliers de sa doctrine économique, le mot revient donc en force avec le dérapage massif des finances publiques. Face à un déficit au-dessus des 6 %, « il n’y a pas 36 solutions », estime Clément Carbonnier, codirecteur de l’axe de recherche « Politiques socio-fiscales » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publique à Sciences Po, interrogé par 20 Minutes.
Pour Vincent Drezet, ancien secrétaire national du Syndicat National Unifié des Impôts (SNUI) et auteur de 15 idées reçus sur la fiscalité (Les liens qui libèrent, 2012) et Une société sans impôt (même édition, 2014), « la politique fiscale depuis 2017 a montré ses immenses limites, avec beaucoup de concessions d’impôt pour un effet sur l’économie qu’on qualifiera au mieux de faible. Les impôts, mais également la question de l’égalité, sont revenus en force dans le débat politique. Au point que le concept de »justice fiscale » a été évoqué par le Premier ministre lui-même. »
Les impôts, oui, mais combien ?
Mais si Celui-dont-on-ne-devait-pas-prononcer-le-nom a refait surface, son application est loin de faire consensus, reconnaît Vincent Drezet : « Pour résumer, à droite, les impôts redeviennent tolérables, mais l’idée majeure reste que pour régler les problèmes de dette, il faut avant tout baisser la dépense publique ».
Valérie Pécresse, qui parlait mercredi dernier de tailler les dépenses « à la hache » – expression dont elle s’arroge la maternité devant Elon Musk –, ne dira pas l’inverse. Pourtant, cette stratégie aussi commence à montrer d’évidentes limites, poursuit Clément Carbonnier : « On ne peut pas tout faire en freinant les dépenses. Beaucoup de services publics sont déjà à l’os. Les hôpitaux manquent de lits, l’Education nationale a du mal à recruter des professeurs… »
Hors services publics, « la baisse des dépenses commence aussi à avoir de lourdes conséquences. Le budget 2025 propose de moins rembourser les médicaments et les consultations de 5 %, ce qui, en plus d’être forcément une mesure impopulaire, aura des conséquences sur la croissance ».
Les impôts, oui, mais lesquels ?
Au-delà des montants, la cible de l’impôt divise également au sein de la classe politique. Prenons la TVA. Eric Coquerel rappelle qu’il est contre une hausse, jugée injuste (la taxe sur la valeur ajoutée n’est pas progressive avec le revenu, et la part de consommation est plus importante dans le budget des précaires que chez les personnes aisées). Tout comme Jean-Philippe Tanguy, qui dénonce « la gabelle (l’impôt sur le sel) du XXIe siècle, un impôt antidémocratique et celui de la mondialisation ». Valérie Pécresse, elle, veut ressusciter son idée de TVA sociale – une partie de la Sécurité sociale étant, selon ce plan, payée par plus de TVA. Même désaccords profonds sur l’ISF climatique, et à peu près toutes les idées de ce débat.
« Le tabou des impôts est brisé, ce qui est un premier pas, poursuit Clément Carbonnier. Mais dans le nouveau budget, la hausse des recettes fiscales est bien inférieure à la baisse des dépenses publiques [20 milliards contre 40 milliards]. Il y a encore beaucoup de résistance aux impôts en France ». Mais un petit pas pour la fiscalité, c’est peut-être un grand pour la vie politique française. Vincent Drezet : « Evidemment que les sujets d’imposition et de justice fiscale vont être fortement débattus. Mais au moins, ils sont sur la table et le débat politique se fait sur des questions de fond. »