France

Budget 2025 : « La censure serait un drame pour les agriculteurs », assure la ministre de l’Agriculture à « 20 Minutes »

Une ministre au chevet des agriculteurs. A moins de trois semaines de l’ouverture du Salon de l’Agriculture, Annie Genevard entend rassurer un secteur en crise. « J’ai à renouer le lien de confiance entre les agriculteurs et la Nation », dit-elle. Les sujets d’inquiétudes ne manquent pas : maladies animales, Mercosur, coupes budgétaires, et risque de censure du gouvernement qui pourrait une nouvelle fois bloquer les aides promises. La ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a reçu 20 Minutes à son bureau, vendredi à Paris, pour évoquer ces sujets.

Manifestations, tensions entre syndicats… Le « mal-être paysan » est-il toujours plus important ?

Je ne voudrais pas donner une image unilatéralement négative de la situation des agriculteurs, car certains secteurs agricoles vont bien. Mais le monde paysan a connu une année épouvantable. Toutes les maladies animales ont déferlé sur les cheptels. La fièvre catarrhale ovine, la fièvre hémorragique, et l’influenza aviaire qui menace à nouveau… Ça a pris tout le monde de cours. On a eu une flambée de contamination qui a été vécue très douloureusement par les éleveurs. Certains nous disaient : « je n’ose plus entrer le matin dans mon étable de peur de découvrir des animaux morts ».

Il a fallu vite prendre des décisions pour les épauler. Notamment, l’indemnisation des pertes dans les élevages, la mise à disposition gratuite des vaccins et des prêts de soutien à la trésorerie. Mon travail, pendant ces cinq derniers mois, a été de répondre au mieux à leurs difficultés.

Le salon de l’Agriculture 2024 a connu de nombreux incidents. Avant l’édition 2025, les agriculteurs attendent des actes, notamment sur les mesures fiscales et d’urgence. Que pouvez-vous leur garantir ?

Avant le salon, j’ai à cœur que les engagements pris soient tenus : aides d’urgence, prêts de soutien, simplification des normes… La loi d’orientation agricole arrive aussi au Sénat ce mardi. Je remplis mon contrat méthodiquement pour que tout se passe bien. Avec la censure du gouvernement Barnier, certaines aides n’ont pu être versées. Elles le seront quand le budget sera voté. Le salon doit s’ouvrir de manière apaisée car c’est un grand moment populaire de la vie nationale.

Est-ce possible d’apaiser, alors que le budget agricole sera finalement raboté de 280 millions d’euros ?

Quasiment tous les budgets des ministères sont rabotés. Le budget 2024 de l’agriculture était un budget atypique (7,6 milliards d’euros), avec des sommes hors normes qui n’ont d’ailleurs pas toutes été utilisées… Mais l’agriculture aura un budget supérieur à celui de 2023 (5,9 milliards). Les coupes ne font pas plaisir, mais on est tous appelés à un effort pour éviter une crise financière aux effets cataclysmiques. L’important, c’est de pouvoir honorer les promesses, en matière d’allègement de charges fiscales et sociales, et de pouvoir par exemple aider les éleveurs d’ovins avec le fonds de 75 millions d’euros que Michel Barnier avait décidé d’octroyer.

On a évoqué le salon de l’Agriculture, qui s’ouvre le 22 février. Mais serez-vous encore ministre ?

(rires) Ecoutez, je suis d’un tempérament résolument optimiste. Je l’espère vraiment, vu les risques qu’emporte la censure, le coût que cela représente, la déconsidération dont la France serait l’objet, les conséquences en matière financière sur les marchés mondiaux, la perte de crédibilité de la France. Il faut que chacun ait conscience que la stabilité de notre pays ne peut être l’otage de petits calculs politiciens.

L’accord passé avec les socialistes vous semble assez solide pour résister à la chute du gouvernement ?

Chacun prendra ses responsabilités. Les socialistes sont convoqués à l’esprit de responsabilité. Censurer le gouvernement et l’empêcher d’obtenir un budget, pour les agriculteurs par exemple, ce serait un drame absolu. Car aujourd’hui, je ne peux déclencher aucun appel à projet. Je ne peux pas aller sur le soutien aux filières. Il y a tout un tas de mesures fiscales et sociales qui sont bloquées. La censure serait catastrophique.

Le Sénat a voté le 21 janvier la suppression de l’Agence Bio, chargée de promouvoir la consommation de produits issus de l’agriculture biologique. Une décision que vous aviez approuvée avant de rétropédaler. Pourquoi ?

Bercy avait lancé une grande offensive contre la déperdition de moyens financiers en raison de la multiplication des agences et des opérateurs de l’État. Vous n’imaginez pas le nombre d’organismes qui s’occupent du bio en France. J’ai pensé qu’il était possible de faire travailler tout le monde en synergie. Et ça a été mal reçu. Mais dans mon esprit, il n’a jamais été question d’abandonner les missions exercées par l’Agence Bio. Elle ne sera pas supprimée et le rabot budgétaire ne la touchera pas.

« « J’irai en Italie pour obtenir une minorité de blocage sur le Mercosur » »

Le Plan ambition bio 2027 prévoit un total de 18 % de la surface agricole nationale dans deux ans, contre seulement 10,4 % en 2023… L’objectif est-il atteignable ?

C’est compliqué, car il y a de vraies disparités territoriales. Les 18 % donnent une perspective. Quand on regarde la viabilité économique, je pense que le bio demeure une filière attractive à l’installation. Les jeunes sont tentés par ce type d’agriculture, c’est une bonne chose. Pour soutenir le bio, nous avons d’ailleurs débloqué un budget communication de 5 millions d’euros* pour booster l’intérêt des Français. Il faut aussi qu’on s’occupe du maintien de ce qui existe. Face à l’urbanisation et l’artificialisation, nous devons protéger notre surface agricole comme un trésor.

Le Sénat a aussi ouvert la voie à la réintroduction en France de l’acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes. Ce pesticide, qui tue les abeilles, avait pourtant été interdit en 2018. Comment réagissez-vous ?

Ce néonicotinoïde, interdit en France, est autorisé par la réglementation européenne. Les sénateurs voulaient donc une réintroduction large, accessible à toutes les cultures, tout le temps, mais le gouvernement s’y est opposé. Les sénateurs se sont repliés sur un amendement qui restreint l’usage à des filières qui sont orphelines de traitement et condamnées à mort.

C’est le cas de la filière noisette par exemple. Pour l’instant, il n’y a pas d’alternative, leur rendement a baissé de 70 %. Conserver de la souveraineté est une nécessité, car la France est le 4e consommateur au monde de noisettes. Et on importe énormément de noisettes turques ou italiennes, traitées à l’acétamipride. Le gouvernement a donc opté pour un avis de sagesse, ce sera au Parlement d’arbitrer cette question.

L’accord commercial avec le Mercosur a été scellé par l’UE, malgré le refus de la France. Ou en sont les négociations pour obtenir une minorité de blocage au Conseil européen ?

Ce que j’observe, c’est qu’il n’y a pas une adhésion globale, à part dans quelques pays, comme l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne… mais vous avez les Pays-Bas qui sont réticents, les Belges qui ne veulent pas le voter, la Pologne est vent debout. Dès que je peux, j’irai aussi en Italie pour continuer notre travail d’alerte, de sensibilisation et obtenir cette minorité de blocage.

La Commission européenne a confirmé préparer une réserve d’au moins 1 milliard d’euros pour soutenir les agriculteurs qui seraient perdants avec l’accord. Est-ce suffisant ?

C’est ridicule. Pour les 27 pays, 1 milliard ? Vous imaginez ? C’est absolument dérisoire. C’est un marché de dupes, car c’est le plus gros accord commercial jamais conclu. Et il y a des filières qui vont en souffrir terriblement. Le sucre, la volaille, le bœuf, l’éthanol…. Dans les accords commerciaux de libre-échange, ce sont toujours les mêmes filières qui trinquent.