France

Bretagne : Quand Belle-Ile-en-Mer, petit coin de paradis, était un bagne pour enfants

Un peu plus de 5.500 habitants à l’année et 40.000 en été. Plus grande île bretonne, Belle-Ile-en-Mer est une destination très courue des vacanciers. Portant son nom à merveille, cette île de 85 km² située au large de la presqu’île de Quiberon (Morbihan) jouit d’un cadre naturel exceptionnel. On y compte pas moins de 58 plages, de grandes plages de sable fin mais aussi de petites criques secrètes aux eaux turquoises. Sa côte sauvage recèle aussi de trésors comme les « diaboliques mais superbes » aiguilles de Port-Coton, ces roches dentelées maintes fois peintes par Claude Monet, ou la pointe des Poulains, refuge de l’actrice Sarah Bernhardt, qui y passa tous ses étés pendant trente ans dans un ancien fort militaire qu’elle avait acheté et réhabilité.

En débarquant dans les ports du Palais et de Sauzon, quasiment aucun touriste n’a pourtant idée que cette perle du littoral Atlantique a été un bien sinistre endroit. Un passé douloureux et largement méconnu de l’île que l’historien Julien Hillion met en lumière dans son documentaire Théret n°487 qui vient de sortir en salles (lire encadré). Ce film raconte l’histoire vraie de François-Henri Théret, un gamin de Paris brisé par les cachots de Belle-Ile-en-Mer. Car avant d’être un paradis pour les promeneurs, l’île bretonne a aussi été synonyme d’enfer.

Punir les petits voyous et les rééduquer par le travail

A partir de 1848, le site de Haute-Boulogne, construit sur les hauteurs de Palais, la « capitale » de l’île, servit ainsi de prison politique, accueillant dans ses geôles de nombreux détenus, dont certains célèbres comme Armand Barbès ou Auguste Blanqui, puis des vagues de communards. En 1880, la prison change de vocation pour devenir une colonie pénitentiaire pour mineurs. « C’est une époque où l’État a voulu se réapproprier le droit de punir sa jeunesse et de s’occuper des jeunes délinquants, une chose qui était gérée par le privé jusqu’alors », raconte Julien Hillion.

Au sein de la colonie pénitentiaire, les enfants devaient subir la violence et la cruauté des gardiens.
Au sein de la colonie pénitentiaire, les enfants devaient subir la violence et la cruauté des gardiens.  - Fonds Henri Manuel / Médiathèque de l’ENPJJ

Partout sur le territoire, des dizaines de bagnes pour enfants voient le jour pour accueillir des mendiants, des vagabonds, des orphelins ou des petits voleurs, venus pour beaucoup de Paris ou des grandes villes. « Il y avait l’idée de les éloigner de leur milieu d’origine en les envoyant à la campagne et de les rééduquer par le travail en leur faisant apprendre un métier », souligne l’historien.

La violence et la brutalité des gardiens

Tout sauf des vacances donc pour des dizaines de milliers de gamins des classes populaires, dont les plus jeunes n’avaient que huit ans, comme François-Henri Théret, enfermé une dizaine d’années à Belle-Ile avec le 487 comme numéro d’écrou. Un titi parisien dont le réalisateur a fait le personnage central de son documentaire en découvrant un peu par hasard son nom sur les murs du cachot. « Il a gravé ça il y a 140 ans pour faire de nous les témoins de son martyr », assure Julien Hillion.

Les jeunes bagnards de Belle-Ile-en-Mer étaient forcés de travailler de longues heures.
Les jeunes bagnards de Belle-Ile-en-Mer étaient forcés de travailler de longues heures.  - Fonds Henri Manuel / Médiathèque de l’ENPJJ

Car sur l’île, comme dans toutes les autres colonies pénitentiaires, les enfants étaient soumis à une sévère discipline militaire avec un dur labeur qui les attendait dans les champs, les ateliers ou en mer pour pallier le manque de main-d’œuvre. Avec aussi et surtout la violence et la brutalité des gardiens, toujours prompts à « faire trimer et à mâter cette mauvaise graine » en les frappant et en les tuant à la tâche.

Epidémie de typhoïde et tentatives d’évasion

Tombant de fatigue et réveillés à 5 heures du matin, ces pupilles passaient la nuit dans « des cages à poules » minuscules et grillagées d’à peine 3 m² dans lesquelles les conditions d’hygiène étaient déplorables. Plusieurs d’entre eux décéderont ainsi d’une épidémie de typhoïde, poussant certains à tenter de s’évader pour échapper à la mort. En vain bien sûr, avec une féroce répression pour les fuyards.

En août 1934, une mutinerie éclatera aussi au sein de la colonie pénitentiaire, cinquante-six garçons en profitant pour s’échapper avant d’être poursuivis par tous les habitants de l’île. Un épisode qui choquera profondément Jacques Prévert qui l’évoquera dans son poème La chasse à l’enfant. Transformé au fil du temps en maison d’éducation surveillée puis en institution publique d’éducation surveillée, le bagne pour enfants de Belle-Ile-en-Mer fermera finalement ses portes en 1977 après avoir emprisonné pendant un siècle des petits gamins délinquants.

L’ouverture d’un musée prévue en 2026

Il n’en reste aujourd’hui que des vestiges, à deux pas de la citadelle Vauban, que l’on peut visiter gratuitement. Depuis 2018, une association se mobilise d’ailleurs pour en faire un musée. « Pour raconter l’histoire de ces milliers d’enfants qui a été occultée mais aussi montrer comment la justice française prenait en charge sa jeunesse à cette époque », souligne Sylvaine Villeneuve, cofondatrice de l’association La Colonie, qui espère une ouverture des lieux « courant 2026 ».