Bretagne : La modernisation du phare mythique du Créac’h va-t-elle éteindre une lumière « unique au monde » ?
C’est un bout de caillou planté à environ vingt kilomètres de la pointe nord du Finistère. Une île balayée par les vents qui représente la terre la plus occidentale de la France métropolitaine. A Ouessant, il y a presque autant de phares que de bistrots. Alors c’est peu dire que les quelque 800 habitants de l’île tiennent à leurs vigies. Célèbres dans le monde entier, la Jument, le Nividic ou le Créac’h sont littéralement vénérés par les locaux. Et depuis quelques semaines, ça gronde sévère autour des travaux envisagés dans le phare du Créac’h, mis en service en 1863. Une pétition s’opposant à cette rénovation a été lancée par l’association Ouessant Vent de Bout et a déjà recueilli plus de 8.000 signatures.
Le gros du problème réside dans le choix de la technologie choisie par l’État pour remplacer l’optique de Fresnel. Cet outil redoutable de robustesse et de précision présente un problème de taille : il doit nécessairement flotter dans un bain de mercure pour fonctionner. Sauf que le mercure, la France a promis de s’en séparer d’ici 2030. La Direction interrégionale de la mer Nord Atlantique-Manche Ouest (Dirm Namo) a donc envisagé de retirer cette matière jugée dangereuse pour « adopter des technologies alternatives », précise la préfecture du Finistère. Et c’est là que ça râle.
Réunis au sein de leur association, des anciens marins et amoureux du patrimoine réclament « une solution pérenne permettant de conserver fonctionnel le feu à lentilles actuel ». Ils dénoncent le projet d’installation « d’un feu industriel de portée réduite ». Impensable pour eux qui vénèrent ce signal à huit rayons à rotation lente. « Un feu unique au monde, véritable patrimoine lumineux », précise l’association Ouessant Vent de Bout.
Si ses membres s’inquiètent du « déclassement du phare du Créac’h », ils s’alarment aussi d’un risque pour la sécurité des bateaux navigant au large des côtes d’Ouessant et dénoncent une réduction de la portée du feu à 19 milles (30 km) au lieu de 30 « et à seulement 2 milles en temps de brume ». Le rail d’Ouessant est un espace réputé dangereux et fréquenté par plus de 150 bateaux par jour, qui voit passer 70 % du trafic maritime mondial en tonnage. « Nous exigeons le retrait de ce projet précipité, immature, régressif en termes de sécurité maritime, portant une atteinte définitive et sans nécessité au patrimoine national dont l’île d’Ouessant est dépositaire », martèle l’association.
La préfecture du Finistère promet qu’une concertation aura lieu mais rappelle que « l’usage du mercure doit être banni ». L’administration a déjà conduit des travaux similaires dans plusieurs phares emblématiques comme la Jument, les Pierres Noires ou Ar Men. La Commission nautique locale doit rendre un avis sur ce dossier. « Une concertation sera engagée avec les populations et associations locales, notamment sur la prise en compte des aspects patrimoniaux de l’ouvrage », a fait savoir la préfecture.