France

Bretagne : « Il y a une véritable attente »… Cette entreprise sert des algues à l’apéro et au resto

Son job est à cheval entre la pêche et la cueillette. Goémonier depuis 2010, David Le Chelard a appris son métier « sur le tas ». Sur un tas de cailloux, pourrait-on dire. Ancien marin, l’homme a eu l’idée de se lancer lorsqu’il est revenu vivre sur les côtes de la mer d’Iroise (Finistère), où il a aperçu une poignée de fêlés s’activer à basse mer. Le dos courbé, couteau ou faucille à la main, ces étranges faucheurs s’activaient à cueillir des algues à chaque fois que la mer se retirait. Étrange activité dans une région où certaines algues de couleur verte ont si mauvaise réputation. Au départ, elles étaient surtout utilisées pour conserver la fraîcheur des huîtres dans leur bourriche. Mais peu à peu, elles sont devenues un véritable met recherché par des cuisiniers du monde entier.

Au point que les goémoniers sont de plus en plus nombreux à travailler dans le coin. « Il y a dix ans, on n’était qu’une poignée mais on voit qu’il y a de plus en plus de monde à venir ramasser. Parfois, on peut être une bonne dizaine sur un même spot. On le sait, c’est un marché en pleine expansion », explique David Le Chelard. La cueillette vient de reprendre après une trêve imposée par les tempêtes hivernales. Elle pourra se poursuivre jusqu’à l’automne, selon les caprices de la météo bretonne.

De plus en plus de goémoniers comme David Le Chelard travaillent à la cueillette d'algues en vue de les transformer en produits alimentaires.
De plus en plus de goémoniers comme David Le Chelard travaillent à la cueillette d’algues en vue de les transformer en produits alimentaires. – GlobeXplore

Comme tous les métiers de mer, celui de goémonier est réputé exigeant, physique. « Il faut être courageux et pas frileux mais ce n’est pas bien compliqué. » Ce qu’il apprécie ? « La liberté, le contact avec la nature, la proximité avec la mer. » Et ce qu’il aime moins ? « Les jours de mauvais temps où il y a de la mer. Ça peut devenir un peu dangereux. » L’activité reste cependant très encadrée et chaque pêcheur doit disposer d’une licence pour chaque zone et chaque espèce. David en cueille trois ou quatre : le haricot de mer, la dulse et le kombu royal. Toutes sont ensuite transportées vers le sud Finistère pour y être lavées puis cuisinées. Cet ancien salarié de l’Ifremer travaille aujourd’hui pour la société GlobeXplore, qui lui prête un bateau.

Basée à Rosporden, à l’est de Quimper, cette entreprise familiale utilise entre 300 et 350 tonnes d’algues par an. D’abord comme décoration pour les ostréiculteurs et poissonneries, avant que l’activité ne se recentre sur les produits alimentaires destinés aux restaurateurs et épiceries. « Nous avons développé des recettes avec de grands chefs. Ce que l’on cherche, c’est à sublimer le produit, à le rendre attractif », explique Antoine Ravenel. Sa société présentera ses dernières innovations à l’occasion du CFIA, très gros salon de l’agroalimentaire qui se tient de ce mardi à jeudi à Rennes.

« Elle était prise pour une illuminée »

L’homme dirige aujourd’hui 35 salariés au sein de l’entreprise bretonne, devenue en 2017 une filiale du Groupe Jean Hénaff, que tout le monde connaît pour son pâté. Au départ confidentielle, l’activité des produits culinaires représente désormais la quasi-totalité du chiffre d’affaires de la société. Et plus d’un tiers des produits partent dans le circuit de la restauration sur des tables souvent étoilées. Depuis dix ans, GlobeXplore s’est aussi lancée dans la grande distribution avec des tartinades très appréciées à l’apéro. « Ce sont les grandes surfaces qui en ont fait la demande. Il y a une véritable attente des consommateurs pour ces produits naturels », poursuit Antoine Ravenel. Les algues sont distribuées sous la marque Algaé ou Christine Le Tennier, du nom de la fondatrice de l’entreprise. « Quand elle s’est lancée en 1986, elle était prise pour une illuminée », concède le dirigeant. Trente ans plus tard, ce marché de niche ultra-dynamique en Asie lui a donné raison et la société GlobeXplore affiche une croissance à deux chiffres. « Et on ne va pas s’arrêter là », promet Antoine Ravenel, qui mise gros sur les « perles de saveur » mises au point par les services recherche et développement.

Aujourd’hui, l’entreprise GlobeXplore utilise une centaine de tonnes d’algues par an pour la fabrication de ses produits culinaires. La multiplication des concurrents sur ce marché peut-elle faire craindre un pillage de la ressource ? Le dirigeant se veut rassurant. « La Bretagne possède le plus grand champ d’algues d’Europe. C’est un peu comme un coin à champignons. Chacun a les siens, même si cela reste très encadré et qu’il y a une réglementation. On ne ramasse que dans les zones considérées comme « bio » où les critères de qualité de l’eau sont les plus élevés. »

La PME bretonne sait pourtant qu’elle devra développer de la culture pour ne pas épuiser le gisement sauvage. « Avec les produits cosmétiques et l’alimentaire, la demande va augmenter. Nous aurons besoin de mettre en place une culture de l’algue pour continuer à nous développer. La filière bretonne y travaille », assume Antoine Ravenel. Aujourd’hui, seul le wakamé est cultivé en Bretagne. L’algue originaire du Japon pourrait bien servir d’exemple à toute la filière, qui cherche à se développer sans piller sa ressource.