France

Borne, une « cheffe de service » sabotée par Macron ?

Elle s’est offert une coupure à près de 10.000 kilomètres des tourments parisiens. Pour son premier déplacement en outre-mer depuis sa nomination à Matignon, Élisabeth Borne a opté pour l’île de la Réunion, de jeudi à samedi. Petit-déjeuner de travail, visite d’usine, rencontre avec des acteurs locaux… Si le programme ne ressemble pas vraiment à une escapade touristique, il a offert une respiration à la pensionnaire de Matignon, au terme d’une séquence politique éprouvante.

Car, depuis le passage en force du 49-3 sur la réforme des retraites, le ressentiment d’Emmanuel Macron à son égard ne cesse de croître. Avec une conséquence palpable : la parole de la cheffe du gouvernement a été désavouée au sommet de l’Etat. Un exemple, marquant. Élisabeth Borne soutient qu’elle n’utilisera plus le 49-3 hors texte budgétaire. « Je ne suis pas responsable des interviews à l’AFP de la Première ministre », cingle le président.

Une situation politique, certes, mais similaire aux péripéties de la vie d’entreprise, lorsque votre supérieur hiérarchique torpille votre présentation. Ça peut-être terrible pour la personne qui se fait recadrer par son supérieur, surtout en public, il faut beaucoup de résilience pour tenir, analyse Françoise Briel, fondatrice d’un cabinet de conseil dans le recrutement. Le supérieur qui décide de tout, tout seul, c’est un grand classique du management, c’est juste ce qu’il ne faut pas faire ».

Une question de « marge » de manœuvre

Alors, quelle attitude adopter quand votre « supérieur » est président de la République ? Ancien locataire de Matignon (2012-2014), Jean-Marc Ayrault a vécu de l’intérieur cette drôle de relation entre les deux têtes de l’exécutif. « Dans mon esprit, le président doit être porteur des grandes orientations, des grandes lignes politiques. Le Premier ministre, c’est celui qui fait tourner la machine. Il faut que le président laisse à son chef de gouvernement suffisamment de marge, mais ce n’est pas toujours le cas. Dans mon expérience personnelle, j’ai vécu les deux scénarios ».

Le premier Premier ministre de François Hollande livre deux exemples. La confiance, d’abord, lors d’une réforme des retraites en 2013. Puis, la défiance, après une idée de réforme de la fiscalité, pas appuyée par l’Elysée. Articles de presse, échanges de SMS, problèmes de communication… L’épisode met un froid entre Matignon et François Hollande, comme l’évoque Brigitte Ayrault, son épouse, dans Un chemin de femme (2021).

« Qu’il y ait des tensions et des approches différentes, ce n’est pas anormal, il ne faut pas forcément s’en offusquer, tempère l’ex-édile de Nantes. Mais, quand il y a tension, il faut évoquer le sujet en toute transparence. Sans ça, il n’y a plus de confiance. Après, ça reste de la politique, ce n’est pas personnel ».

Une cheffe de service à Matignon

La politique, justement, Élisabeth Borne n’est pas réputée pour en être une fervente partisane. Plus technicienne qu’instinctive, l’ex-dirigeante de la RATP jouit d’une réputation de bosseuse, « femme de dossier plus que de communication », dépeint Françoise Briel, avant de préciser : « un vrai manager s’entoure de gens plus compétents que lui et leur laisse de l’espace. Il s’appuie sur eux et leur fait confiance. Là, on a l’impression que Macron s’entoure de façon à être le seul dans la lumière ».

Le tandem exécutif de la Ve République a connu des bouleversements dans sa manière de fonctionner. Comme le rappelle Michel Lascombe, spécialiste de droit constitutionnel, le deuxième mandat de Jacques Chirac marque un tournant, avec la concomitance de l’élection présidentielle et législative. « Depuis, les Premiers ministres sont devenus des collaborateurs comme disait Sarkozy à propos de Fillon. C’est même pire. Ils sont uniquement chargés de domestiquer le Parlement. Quand il n’y a pas de possibilité de le domestiquer, comme maintenant, ça tourne mal », décrypte notre expert.

« Je ne suis pas là simplement pour administrer le pays », avait pourtant déclaré au Monde la Première ministre, lors d’une de ses rares tentatives d’émancipation envers l’Elysée. « C’est une très bonne technicienne, mais elle n’a aucune marge de manœuvre, elle ne peut pas se débarrasser d’un ministre, par exemple. Ne pas avoir de marge de manœuvre, ça a été souvent le cas des deuxièmes Premiers ministres des mandats, nommés pour ne pas faire de l’ombre à un président en vue d’une réélection. Sauf que là, Borne a été choisie dès le début, rappelle Michel Lascombe. C’est une cheffe de service, elle est là pour travailler, c’est presque plus ingrat qu’être une collaboratrice. Une collaboratrice, vous travaillez avec elle, on lui demande son avis ». De son propre aveu, Élisabeth Borne considère qu’elle est en « CDD » à Matignon. Reste à savoir s’il sera à nouveau renouvelé.