Bordeaux : Un système de pilotage de l’éclairage public, pour « sortir du clivage allumé ou éteint »

Eteindre, ou laisser allumé ? La question de l’éclairage public nocturne, devient un casse-tête pour nombre de collectivités à la recherche d’économies sur leurs factures énergétiques en cette rentrée.
Selon l’Ademe, l’éclairage public correspond à 41 % de la consommation d’électricité des communes, et les 11 millions de points lumineux qui constituent le parc d’éclairage public en France, représentent plus de 10 % de la consommation nationale totale d’électricité. Outre la pollution lumineuse du ciel, l’éclairage nocturne pose aussi un enjeu de préservation de la biodiversité, puisqu’il est une des principales sources de disparition des insectes.
Intelligence artificielle
Créée il y a trois ans, et jusqu’ici en phase d’expérimentation, la start-up bordelaise NRGY Box, incubée par Unitech à la cité numérique de Bègles, vient de lever 500.000 euros et va recruter une dizaine de personnes, pour industrialiser son procédé et le commercialiser à grande échelle.
L’entreprise a développé un procédé qui associe un module électronique à un module d’intelligence artificielle pour réguler l’éclairage public. « Concrètement, explique le co-fondateur de l’entreprise Rémi Kupisz, cela fonctionne avec un module IoT (Internet des objets) associé à un réseau bas débit que l’on installe dans le pied du mât du lampadaire, et qui va nous permettre d’en prendre le contrôle à distance pour qu’il effectue des programmes d’éclairage : nous pouvons ainsi allumer, éteindre ou réguler l’éclairage public. Nous avons ensuite un deuxième module qui détermine le programme d’éclairage grâce à une analyse prédictive des flux de populations, sur la base des informations collectées auprès des opérateurs de téléphonie mobile. »
La collectivité peut ainsi fixer à la start-up un objectif d’économie à réaliser, « et en fonction de cela on programme les éclairages pour impacter le plus de monde possible lorsqu’on allume, et à l’inverse pour « pénaliser » le moins de monde possible quand on éteint. »
Une solution qui s’adapte aux contraintes de la ville
La start-up travaille aujourd’hui avec cinq collectivités en Nouvelle-Aquitaine. A Chateaubernard dans la banlieue de Cognac (Charente), où 92 points lumineux d’une zone d’activité ont été équipés, la facture de la collectivité est passée entre avril 2021 et mai 2022 de 9.318 euros à 2.329 euros, soit 75 % d’économies.
Maire de Gradignan, dans la banlieue de Bordeaux, Michel Labardin expérimente également le dispositif dans un quartier de sa ville. « Nous avons équipé tous les poteaux d’éclairage public d’une grande zone d’activité, où la fréquentation baisse nettement à partir de 19-20 heures. Nous avons pu isoler des temporalités où l’éclairage n’est pas nécessaire, et nous le déclenchons uniquement à certaines heures et quand il y a du mouvement. Le résultat est intéressant, surtout au regard de l’investissement qui n’est pas très coûteux. Est-ce que c’est généralisable à l’ensemble de la commune ? C’est moins évident, et pour l’instant nous le réservons aux zones d’activité, où la fréquentation est assez simple à analyser puisqu’elle se cantonne généralement aux heures de bureaux. »
Rémi Kupisz défend de son côté un système qui se veut justement très souple d’utilisation. « Il est évident qu’une zone résidentielle ne fonctionnera pas comme un centre-ville, et notre solution peut précisément s’adapter à des situations particulières, en mettant en place par exemple des « chemins de lumière », c’est-à-dire en laissant seulement les voies les plus passantes d’un quartier éclairées, ou juste un point lumineux sur trois ou quatre, pour garantir la sécurité. Et à tout moment la collectivité peut reprendre la main pour modifier ce paramétrage. »
Dans certaines zones « la question d’éteindre la nuit est plus nuancée »
Le maire de Gradignan reste en tout cas convaincu qu’il faut « sortir du clivage allumé ou éteint. » « Le plus possible, il faut éteindre, bien sûr, mais sans s’interdire de regarder certaines zones où la question est plus nuancée. Je pense aux grands ensembles, aux résidences étudiantes, où tout éteindre la nuit peut poser des difficultés. Dans certains quartiers, on commence à voir apparaître des phénomènes « d’autocensure » sur la question de sortir le soir. C’est un enjeu sur lequel il faut de la pédagogie, et le consentement des habitants. »
Même si « plusieurs études ont montré que l’insécurité ne progresse pas avec l’extinction de la lumière, reconnaît Rémi Kupisz, malgré tout, quand vous vous retrouvez seul la nuit, et que tout est éteint, il reste un sentiment d’insécurité. C’est pourquoi l’idée est d’éteindre au meilleur moment, plutôt que de manière un peu arbitraire entre 22 h et 5 h. »