Bordeaux : Qui est Reachy, le robot qui a raflé deux millions de dollars lors d’un prestigieux concours ?

C’est assis à une table, revêtu de sa marinière bleu foncée, que Reachy nous attend, ce vendredi. Il va nous montrer comment il réussit à empiler des cubes en bois. Agé d’un peu plus de deux ans seulement, le robot humanoïde de Pollen Robotics ne maîtrise pas encore l’ensemble de la motricité fine, et doit se faire aider d’un humain pour l’exécution de certains gestes.

Une collaboratrice de Pollen Robotics enfile un casque de réalité virtuelle et à l’aide de poignets, manipule à distance les bras articulés de Reachy. Après avoir laissé s’échapper à deux ou trois reprises les cubes, le robot réussit une jolie pile de cinq. Cela ne veut peut-être rien dire pour vous, mais pour lui c’est beaucoup. « Reachy n’arriverait pas, par exemple, à attraper un stylo posé sur la table, l’excuse presque Matthieu Lapeyre, l’un de ses deux concepteurs qui a cofondé avec Pierre Rouanet la pépite bordelaise Pollen Robotics en 2016. En revanche, il sait faire un rond parfait, ce qui est difficile pour l’humain. »

Face à des concurrents dix fois plus chers

Les deux anciens chercheurs de l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) ne tarissent pas d’éloge sur leur progéniture, qui vient de leur faire gagner deux millions de dollars en terminant second du prestigieux concours international ANA Avatar XPrize, il y a quelques semaines. Même s’il est vrai que Reachy avait été un peu « pimpé » pour l’occasion.

« Pour ce concours, il fallait soulever des objets de 3 kg, or le bras de Reachy était jusqu’ici limité à des poids de 300 grammes, on a donc accéléré le développement du bras qui équipera la deuxième génération de Reachy », explique Matthieu Lapeyre. Télépilotés par des juges indépendants, les 17 robots finalistes du X-Prize devaient réaliser une succession d’épreuves, le plus rapidement possible. « Il fallait ouvrir une porte, naviguer, soupeser une gourde et la déposer à un endroit précis, puis attraper une visseuse et démonter une porte, puis se saisir de cailloux rugueux », énumère Matthieu Lapeyre.

Face à des concurrents du monde entier, commercialisés au minimum à 250.000 dollars quand Reachy est proposé à partir de 25.000 euros, le robot bordelais a épaté la galerie, obtenant la note maximale de 15/15. Plus lent que NimBro, le vainqueur, il termine à la deuxième place. Une sacrée performance pour ce nouveau prototype, qui avait fini d’être assemblé quinze jours plus tôt.

« Créer des robots capables de s’ajuster à l’inconnu »

A la base, Reachy n’était qu’un bras, « et petit à petit on a construit tout le corps autour », poursuit le chercheur. Montée sur roulettes, la V1 de Reachy a vu le jour juste avant le CES de Las Vegas de 2020, où il a été officiellement présenté pour la première fois. Et où un formidable accueil lui a été réservé. « Cela a véritablement lancé Pollen, et nous avons commencé à le commercialiser un peu partout dans le monde, à des labos de recherche ou de grosses entreprises qui cherchent à intégrer de la robotique dans leur activité. »

Dans l’univers de la robotique, il faut bien distinguer les robots évoluant dans des environnements industriels et logistiques, « qui sont des environnements très structurés avec des chaînes de montage faites pour les robots », des robots pouvant évoluer « dans des univers ouverts, sociaux et non structurés. » En gros, dans un univers domestique pour effectuer des tâches du quotidien.

Ce qui n’a rien à voir, car dès que l’on sort un robot d’un environnement structuré pour lui, « cela devient tout de suite beaucoup plus complexe, car il doit se déplacer sur un sol qui n’est pas forcément droit, manipuler des objets qui sont faits pour l’humain, croiser une personne… Il faut donc pouvoir créer des robots capables de s’ajuster à l’inconnu, et pour ce faire intégrer beaucoup plus d’intelligence artificielle et d’analyse de l’environnement. »

« La téléopération nourrit l’autonomie »

Même s’il est programmé pour effectuer quelques gestes en autonomie, la première étape en vue d’intégrer des robots comme Reachy dans des environnements sociaux, et leur permettre d’effectuer des tâches complexes comme ouvrir un tiroir, se saisir d’un ustensile et refermer le tiroir, passe par la téléopération, c’est-à-dire le contrôle du robot à distance. « C’est déjà très utile, car cela permet d’économiser la présence d’un humain sur place, il peut ainsi effectuer à distance telle ou telle tâche, commente Mathhieu Lapeyre. Je comparerais un peu cela à de la visioconférence. Mais cela permet surtout de récupérer de l’information qui va permettre au robot d’apprendre. On va pouvoir analyser tous les gestes effectués pour le rendre de plus en plus autonome. La téléopération nourrit l’autonomie. »

Progressivement, l’intelligence artificielle remplacera l’humain pour le contrôler, et permettra à Reachy et ses congénères d’évoluer de plus en plus seuls, « même ci ce n’est pas pour tout de suite », prévient l’ingénieur. Mais pour faire quoi au juste ? « Les champs d’application sont nombreux, assure Matthieu Lapeyre, cela va de l’assistance aux personnes handicapées ou âgées, à de la mise en rayon en supermarché en passant par de l’accompagnement dans des gares, par exemple. La manipulation est vraiment le cœur de ce qui rendra un robot utile, c’est la brique la plus fondamentale, et c’est ce sur quoi on travaille. »

Pollen Robotics concentre effectivement ses efforts « sur la structure du bras, pour créer des bras légers et agiles, ce qui est important pour s’adapter à des environnements qui changent, et attraper certains objets. » Et comme Reachy a la fibre locale et écologique, le bras est essentiellement produit en France, et relativement sobre en matière et en consommation énergétique. « La nouvelle version du bras pèse 4 kg, et peut soulever autant, quand les bras industriels font 20 kg pour soulever la même chose », insiste Matthieu Lapeyre.

Bref, on attend de Reachy qu’il puisse remplacer l’humain pour certaines tâches du quotidien. Et après l’étape des cubes en bois, qui sait s’il saura un jour enfiler les perles…