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« Bien sûr que les poissons ont froid » : Fanny Ruwet, ou l’art subtil de transformer ses traumas en histoires

« Ils n’ont pas ri, ils étaient tous sur leur téléphone, ça m’a saoulé. » Après avoir traversé la frontière puis dépassé les montagnes de poubelles qui juchent les trottoirs parisiens en sortant des studio France Inter, Fanny Ruwet fait le bilan de sa chronique hebdomadaire. Comme tous les mercredi, elle a tenté de faire rire Nagui et ses chroniqueurs de La bande originale sur France Inter après avoir passé dans le Thalys l’heure et demie qui sépare Paris de Bruxellles.

Depuis près de deux ans, l’humoriste de 28 ans vit d’allers et retours entre capitales. Mais pas question de tourner le dos à Bruxelles, où elle vit une vie « beaucoup plus chill » depuis qu’elle y a emménagé à 18 ans. Car Paris « sent beaucoup trop le pipi » et l’oppresserait aussi de « beaucoup trop d’opportunités ».

C’est pourtant une maison d’édition littéraire française qui lui tend à nouveau les bras alors qu’elle s’apprête à dévoiler Bien sûr que les poissons ont froid, son premier roman aux éditions de l’Iconoclaste. Animatrice radio puis podcasteuse devenue humoriste avant de s’essayer à une expérience de réalisatrice puis d’autrice. Fanny Ruwet semble poursuivre son exploration de la carte des possibilités qui s’offrent à elle.

« BonZour les Zens »

Les yeux rougis par l’écran pixellisé de son vieil ordinateur, la petite Fanny, 12 ans, s’échappe d’une enfance solitaire en cumulant les Skyblogs où elle construit différents univers et échange avec ses amis 2.0. Quand sa mère l’invite à sortir de leur maison pour rencontrer d’autres enfants de son âge, elle répond : « Non, j’ai pas envie, j’ai MSN. » « Je parlais de groupes de musique que j’aimais bien. J’avais déjà ce truc de relations publiques où j’aimais accorder de la visibilité à des choses qui me plaisaient », rembobine-t-elle pour 20 Minutes. Une façon de conjurer l’anxiété sociale causée par le procès Dutroux qui traverse ses souvenirs d’enfance. « Encore aujourd’hui, je ne passe pas à côté d’une voiture qui a les portes ouvertes. »

Née dans la campagne profonde belge, à mi-chemin entre les villes de Liège et Namur, « je n’étais pas du tout souhaitée, j’étais totalement un accident », raconte-t-elle planquée derrière ses lunettes. Sa mère a dix-neuf ans lorsqu’elle vient au monde. Cette proximité générationelle favorise encore aujourd’hui la relation « très fusionnelle » entre les deux femmes. « Si je voulais des enfants j’aurais voulu les avoir jeune. Je trouve ça trop chouette d’avoir une mère qui est à moitié ta pote. »

De son enfance, Fanny Ruwet se souvient de journée où « il ne se passait rien » et où tout était à créer. C’est d’abord sur les prémices du web qu’elle dessine son refuge comme elle l’entend. « J’avais un skyblog où je zozotais par écrit, rit-elle une décennie plus tard. J’écrivais genre : « BonZour les Zens » et je mettais les « z » en rose, l’adolescence quoi… » Et toutes ces rencontres que cet univers infini rendaient possibles.

Joyeux bordel

Dans sa chambre, les posters qui décorent les murs trahissent son rêve de devenir un personnage hybride. À mi-chemin entre la chanteuse Lorie dont elle scrute les clips pour connaître le nombre de danseurs qu’elle devra embaucher – « six c’est l’idéal » – et le dresseur de Pokémon Sacha de Bourg Palette. « Il y avait aussi un poster A4 de David Charvet sur lequel je m’entrainais à embrasser et puis à côté de ça, tu avais un énorme poster de l’équipe de foot d’Anderlecht sur la porte », retrace-t-elle dans sa mémoire.

Pourquoi choisir quand toutes ces choses peuvent cohabiter ? De cette enfance, il reste à Fanny Ruwet l’envie d’être partout à la fois, de tout essayer sans se mettre de barrière. « Un joyeux bordel, à 100 % comme ma personnalité d’aujourd’hui », résume encore la Bruxelloise.

Comme ce jour de 2018 où, elle claque la porte de son métier d’attachée presse malgré cinq ans d’études. « J’ai tout claqué et j’ai passé quelques semaines chez moi avec les rideaux fermés à écouter du Julien Baker. Je me suis dit : « OK, ça va pas ». »

« Payer un appart en blagues »

Pour conjurer le sort, comme par dépit, elle s’essaye à quelques blagues sur la scène du Kings of Comedy Club, à Bruxelles. Elle évoque une part d’ego qui la pousse à se jeter à l’eau pour tenter quelque chose de nouveau.

« La première fois, ça a fonctionné sans être incroyable et puis de fil en aiguille j’ai fait plein de scènes ouvertes. Au bout d’un an, ça payait mon loyer, j’ai pu arrêter mes jobs alimentaires et je me suis dit : « Payer un appart en blagues, c’est stylé quoi ». » Sa carrière d’humoriste est lancée, son premier spectacle suivra jusqu’à la mener parmi les auteurs de la série Drôle, réalisée par Fanny Herrero pour Netflix.

En même temps, Fanny Ruwet enterre Cuistax, sont podcast musical et lance Les gens qui doutent, où elle rencontre des personnalités qui lui expliquent « comment ils et elles créent des trucs ». Aujourd’hui encore, ces conversations sont un vestige des réflexions et des envies qui la traversent. « Je projette mes insécurités du moment sur les gens et je vois ce qu’ils en font. C’est totalement intéressé comme projet », rit-elle.

« Aller gratter ce qui dérange »

Son parcours est guidé par une insatiable envie de créer. Elle sait aujourd’hui le privilège qu’elle a d’avoir autant d’oreille à l’écoute lorsqu’une idée lui vient en tête. « Quand j’ai eu l’idée de ce roman, inspiré d’une histoire qui m’est vraiment arrivée, la maison d’édition m’a dit : « Vas-y, on le publie. » C’est assez simple et les gens me font confiance, j’ai de la chance. »

Pour écrire, elle passe deux étés chez l’autrice belge Adeline Dieudonné pour écrire et « tenter de lui voler son génie ». « J’ai mis énormément de moi-même là-dedans. Ce bouquin évoque plein de sujets qui sont un peu honteux, j’essaye d’aller gratter ce qui dérange », assure-t-elle fièrement.

Sa santé psychologique défaillante est au coeur de tout ce qu’elle fait. « Deux ou trois jours par mois, je suis au fond tu trous, je reste au lit et je n’ai envie de rien », confesse-t-elle. Les médicaments l’aident à aller de l’avant. « J’ai appris à accepter que les médocs, ce n’est pas Satan. »

« Je ne fête pas les anniversaires »

Son humour, ses idées mais aussi son livre sont traversés par ses traumas. « Avec ma mère, on dit souvent que dans notre famille tu dois être soit gay, soit cocu, soit mort. » Sa bisexualité ? Un non-sujet, elle l’aborde car elle fait partie de sa vie, principale inspiration de ses blagues.

Des vannes qu’elle peaufine lors de « blagues camp » dans les Ardennes belges avec ses amis humoriste, sans pour autant y sentir un quelconque retour à sa campagne natale. « Je n’aimerais pas y retourner, j’ai un peu honte de la personne que j’étais. Dans la vie, une fois qu’un truc est passé, je passe à autre chose. Je ne fête pas non plus les anniversaire, ça me fout le seum », assume-t-elle dans un ultime pied-de-nez à son spectacle, Bon Anniversaire Jean, qui sera diffusé prochainement sur Canal+.

Désormais libre pour d’autres projets, elle se laisse à rêver. « Un de mes gros kiffs serait de commenter du foot », conclut-elle.