Bardella et Sarkozy : Fayard de Bolloré inonde librairies et fausse marché livre
Le nouveau livre de l’ancien président, Nicolas Sarkozy, a été présenté aux libraires par le distributeur Hachette, propriété de Vincent Bolloré. Hachette distribue 40 % de l’édition française et possède plus de cinquante maisons d’édition, dont Fayard, qui publie en moyenne 200 livres par an.
« En prison, il n’y a rien à voir, et rien à faire. » C’est par ces mots que l’ancien président Nicolas Sarkozy a présenté son nouveau livre aux libraires, il y a quelques mois. Le distributeur Hachette, appartenant à Vincent Bolloré, est en charge de la commercialisation de tous les titres des maisons d’édition du groupe, y compris Fayard, qui édite également les ouvrages de Jordan Bardella, du penseur d’extrême droite Alain de Benoist, d’Éric Zemmour, et prochainement de Marlène Schiappa.
« Fayard est véritablement le véhicule politique de Bolloré. Hachette en est l’instrument financier. Cela participe à une stratégie politique plus large de visibilité », analyse Silvio Abbaz, gérant de la librairie Le Déluge à Sisteron, en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Installé depuis septembre 2025, il a décidé de s’établir « en indépendant » et de refuser une grande partie des livres proposés par Hachette, qu’il considère comme « soumis à une idéologie politique ». Dans sa librairie, il n’y a donc pas le dernier ouvrage de Sarkozy ni un ancien Zemmour. « Tous les livres présents dans ma librairie sont ceux que j’ai choisis. Cependant, je ne peux pas refuser une vente. Si un client demande le livre de Jordan Bardella, même s’il n’est pas en rayon, je suis obligé d’accepter la commande. »
Un levier économique et sociologique puissant
À l’inverse, à la Fnac, plusieurs « best-sellers » de la maison Fayard occupent des emplacements clés. En tête de liste, le dernier livre de Nicolas Sarkozy, tout juste sorti de son carton, est déjà présent dans un « top 5 » dont la provenance demeure floue – enseigne ou ventes nationales. « Grâce à un logiciel utilisé par les libraires, je peux voir quels sont les livres les plus vendus. Et je peux vous assurer que, par exemple, les livres de Jordan Bardella n’ont jamais été dans le top 5 des meilleures ventes en France », affirme Silvio Abbaz.
Cette stratégie, éprouvée, permet de stimuler les ventes de certains livres que d’autres n’atteindront jamais. L’effet d’optique est presque parfait, surtout avec la forte affluence dans les grands points de vente. « En réalité, c’est ce qu’on appelle, dans le milieu de l’édition, des « short-sellers » », explique Hélène Seiler-Juilleret, éditrice et chercheuse en sociohistoire de la culture, qui se concentre sur les métiers du livre. Cela s’oppose aux « long-sellers » portés par les maisons d’édition plus petites et les librairies indépendantes.
Pour la chercheuse, les livres mis en avant par Fayard et largement diffusés par Hachette sont des « livres jetables » qui enrichissent la ligne éditoriale. « La distribution dans le secteur du livre est un levier économique et sociologique extrêmement puissant. Ce n’est pas un hasard si les grands groupes d’édition ont rapidement investi dans la diffusion et la distribution. Cela leur a permis d’étendre leur contrôle sur une partie des librairies et des éditeurs en France », assure-t-elle.
Une domination difficile à contourner
La production à court terme, associée à une rotation rapide et en grande quantité, favorise la visibilité des livres. « Tant pis si cela ne se vend pas puisque ces grands groupes pratiquent le pilonnage, c’est-à-dire la destruction d’invendus à grande échelle. Un non-sens tant sur le plan éditorial qu’écologique », détaille, légèrement agacée, Hélène Seiler-Juilleret.
Le catalogue d’Hachette a considérablement augmenté au fil des années. En dehors de Fayard, qui publie en moyenne 200 livres par an, tandis que les petites et moyennes maisons d’édition en publient à peine quatre, le distributeur abrite des maisons aussi réputées que Grasset, Dunod ou encore Le livre de poche. Au total, Vincent Bolloré possède plus de cinquante maisons d’édition, toutes regroupées sous la marque Hachette Livre, le plus gros éditeur de France, qui distribue 40 % de l’édition française. « C’est une domination difficile à éviter en tant que libraire. Mais il y a tout de même deux ou trois livres du groupe Hachette dont je ne peux pas me passer », confirme Silvio Abbaz.
Dans le secteur du livre, Hachette est également connu pour pratiquer des remises peu avantageuses pour les libraires indépendants. Alors que la remise maximale en France est de 40 %, le distributeur n’en propose jamais plus de 32 % aux petites librairies, les considérant moins capables de vendre en gros volumes. Par ailleurs, un distributeur de même taille accédera à 36 %, comme c’est le cas pour Editis, indique Alexandra Charroin Spangenberg, présidente du Syndicat de la librairie française (SLF) et elle-même libraire. Une autre grande figure du secteur de la distribution, ancienne propriété de Vincent Bolloré.
Un écart de 4 points peut faire la différence pour un petit point de vente. « Je ne connais pas les remises accordées à Amazon ou aux grandes surfaces spécialisées comme la Fnac, qui ont des contrats très spécifiques, mais je sais qu’ils bénéficient de remises largement supérieures aux nôtres », affirme cette dernière.
« Tout le monde est interdépendant »
Dans les contrats passés avec les librairies, il est fréquent d’y trouver une clause obligeant le signataire à mettre en rayon un nombre minimum d’exemplaires des livres expédiés dans de grandes cartons par le groupe d’édition. Ces livres à promouvoir sont rigoureusement choisis par le distributeur lui-même. Pour éviter de gérer trop d’invendus, certains libraires choisissent de les placer en tête de gondole par défaut. L’emprise est totale. Mais, selon la présidente du SLF, les dysfonctionnements du marché du livre ne sont pas uniquement la faute des grands groupes. « Dans le milieu du livre, les problèmes rencontrés par les libraires et les éditeurs face aux diffuseurs et distributeurs ne peuvent être attribués à un seul acteur. Tout le monde est interdépendant », reconnait-elle.
Aujourd’hui, grâce à l’influence de Hachette Livre, les ouvrages des éditions Fayard bénéficient d’emplacements privilégiés dans les grandes enseignes et les boutiques Relay dans les gares de France, également appartenant à Vincent Bolloré. De plus, de petits libraires ne peuvent parfois pas se permettre de faire l’impasse sur des livres à la mode, comme celui de Nicolas Sarkozy, de crainte de perdre des ventes.
Aucune réponse n’a été obtenue de la part de Hachette Livre ni de la Fnac malgré plusieurs sollicitations.

