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Bac : Pourquoi les épreuves de spécialité stressent les élèves comme les profs

Un compte à rebours stressant. Dans une semaine, du 20 au 22 mars, les élèves de terminale devront passer leurs épreuves de spécialité du bac. Une grande première depuis la mise en œuvre de la réforme du bac en 2019. En 2020, ces épreuves avaient été annulées pour cause de Covid et en 2021, la première partie de l’année scolaire ayant été fortement perturbée par l’épidémie, elles avaient été reportées en mai.  

L’enjeu est double pour les élèves car chacune des deux épreuves de spécialité est dotée d’un coefficient 16. Cela représente donc 32 % de la note finale. Et pour la première fois, les notes de ces épreuves seront prises en compte dans le dossier Parcoursup des élèves et pourront donc leur permettre, si elles sont bonnes, de décrocher plus facilement la formation qu’il vise.

« On a l’impression de bachoter pendant six mois »

Or, préparer les élèves au mieux à cette échéance n’a rien d’évident, tant les programmes sont denses, quelle que soit la matière. « Les élèves ne sont pas prêts et ce, dans toutes les disciplines ! On voit les chapitres au pas de charge et on bouclera à coups de dossiers polycopiés. Les professeurs sont pris en étau entre les injonctions institutionnelles et la difficulté de tenir ce rythme », explique Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU. « C’est difficile de finir les sept chapitres dans ma discipline. On a l’impression de bachoter pendant six mois. C’est une absurdité d’avoir placé des épreuves finales en début d’année », abonde Benoît Guyon, coprésident de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (Apses). « Les profs ne peuvent pas préparer les élèves correctement. Impossible de voir tout le programme », constate aussi Reynald Diranzo, secrétaire national du SNFOLC (Syndicat national Force ouvrière des lycées et collèges).

Peu après son arrivée rue de Grenelle, Pap Ndiaye a allégé un peu les programmes de ces spécialités. Mais selon de nombreux profs, cela n’a pas vraiment changé la donne. « En Sciences économiques et sociales (SES), c’est le chapitre sur l’Ecole qui a été enlevé, mais certains collègues l’avaient déjà fait, donc ça n’a rien allégé », constate Sophie Vénétitay. Certains parents d’élèves, comme Marie, dénoncent les inégalités dans la préparation des élèves : « Dans le lycée de ma fille, le proviseur a refusé les journées banalisées consacrées aux révisions. Alors que dans d’autres lycées, c’est prévu. Du coup, je l’ai autorisée à sécher 3 jours, car il n’y a pas de raison qu’elle soit pénalisée. »

La pédagogie mise à mal par ce rythme soutenu

Nombre d’enseignants se plaignent aussi que la pédagogie passe à la trappe : faute de temps, très peu d’exercices, de dissertations ou de commentaires sont faits en classe. Ce qui pose un problème méthodologique pour les élèves. « En mars, les élèves vont devoir effectuer une dissertation de quatre heures mais certains n’en auront jamais fait », déplore Benoît Guyon. « Ce calendrier contraint les enseignants et les élèves à une course aux apprentissages qui ne permet ni d’ancrer les connaissances, ni d’approfondir les notions du programme, et encore moins de développer les capacités d’argumentation et de preuve », estime aussi Claire Piolti-Lamorthe, présidente de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (APMEP).

Pas évident non plus, avec ce rythme, de venir à la rescousse des élèves en difficulté. D’autant que l’accompagnement personnalisé n’existe plus. Ceux qui ont choisi une spécialité très demandée, comme Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques, Mathématique ou SES, payent le plus lourd tribut. Car dans les groupes de 30 ou 35 élèves, la personnalisation des enseignements est impossible. « Cela ajoute des inégalités. Et on ne laisse pas le temps aux élèves d’apprendre de leurs erreurs, de progresser », commente Benoît Guyon.

Impossible aussi avec ce planning de faire des sorties scolaires avec les élèves pour leur permettre de se cultiver et de souffler un peu. Ou d’envisager des projets. La vie de classe s’en trouve amoindrie.

« Cela impose un travail personnel gigantesque après »

Les élèves aussi, disent tirer la langue. « C’est beaucoup plus stressant qu’avec l’ancien système. On doit réviser notre bac en six mois, être très autonome et commencer à bosser dès septembre. Cela impose un travail personnel gigantesque après les cours », estime Eliot Gafanesch, secrétaire général de la Voix lycéenne. Daphné, qui doit passer les spécialités Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques et Humanité, littérature, philosophie, en sait quelque chose. Elle a mis en place une organisation au cordeau : « Deux semaines avant tous mes contrôles, je fais des fiches. Et pendant les vacances, je termine celles que je n’ai pas eu le temps d’écrire. Il y a beaucoup de choses à apprendre », reconnaît-elle.

La peur de se planter à ces épreuves de mars taraude beaucoup d’élèves : « Ils savent que ces notes vont être très regardées sur Parcoursup, surtout s’ils ont choisi une formation sélective », insiste Eliot Gafanesch. Source supplémentaire de stress : ils devaient faire leurs vœux sur Parcoursup avant le 9 mars et ils ont jusqu’au 6 avril pour clore leur dossier sur la plateforme. « J’ai déjà rentré tous mes vœux, mais il faut faire les lettres de motivation et ça, c’est plus stressant », confie Daphné.

Le risque « d’évaporation » des élèves à la fin de l’année scolaire

Les enseignants de spécialité s’inquiètent aussi de la fin de l’année. Car comment maintenir la motivation des élèves après ces épreuves puisqu’ils connaîtront la majorité des notes comptant pour le bac ? « En SES, il nous restera 5 chapitres à voir mais on craint que beaucoup se démobilisent ou accumulent les absences, car ils seront plus préoccupés par la préparation de leur écrit de philo et leur grand oral », déclare Benoît Guyon. Et si les élèves ne continuent pas à travailler sérieusement jusqu’au bout de l’année, ils pourraient arriver dans l’enseignement supérieur avec des lacunes, souligne Reynald Diranzo : « Il leur restera un tiers du programme à voir. Donc si certains viennent en cours et d’autres non, cela va renforcer l’hétérogénéité des étudiants de 1re année. »

Les syndicats ont demandé le report de ces épreuves de spécialité en juin. Des associations de professeurs de spécialité ont également organisé une manifestation fin janvier devant le ministère de l’Education pour réclamer une révision du calendrier des épreuves. En vain. La CGT, FO et SUD évoquent même l’hypothèse d’une grève lors des épreuves de spécialité du bac, la semaine du 20 mars. « On réclame toujours un retour des épreuves terminales fin juin », indique Reynald Diranzo.