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Avion : Oubliez Airbus ou Boeing, voici Comac… Volerons-nous tous dans des appareils chinois d’ici vingt ans ?

Février 2045. Suite aux problèmes du 737 MAX 3.6 qui ont cloué les Boeing au sol, mais aussi à la lenteur d’Airbus pour produire de nouveaux appareils, Comac, le constructeur d’avions chinois, a conquis les cieux occidentaux. Désormais, pour aller à Naples, New York ou Londres (privilégiez le train, les loulous), c’est dans le C919, l’appareil le plus populaire de l’avionneur, que les voyageurs se pressent.

Un scénario vraiment farfelu ? Les chiffres de l’aviation en 2024 montrent déjà que le C919 s’est arrogé un quart des commandes des moyens courriers (300, contre 615 appareils A320 commandés et 415 737 Max). Pas mal du tout, surtout pour un avion entré en service en 2023. Mais Comac peut-il vraiment s’immiscer dans le duopole Boeing/Airbus, qui règne sur les nuages depuis des décennies ?

Prophète uniquement dans son pays

Le chemin est encore long, estime Xavier Tyteelman, expert en questions aéronautiques. Pour le moment, le C919 ne brille que dans l’espace aérien chinois. L’avion n’a pas obtenu une certification internationale reconnue, qui vient soit de l’Europe, soit des Etats-Unis. Un sésame indispensable pour voler au-dessus de la plupart des Nations du monde.

Certes, le marché chinois est amplement suffisant pour faire prospérer un constructeur aérien. Le pays comptait 101.536 vols domestiques hebdomadaires en 2024 – un total en hausse de 38 % par rapport à 2019 – et 700 millions de voyageurs internes. Mais entre être prophète dans son pays et conquérir le monde, il y a encore un pas.

Un retard encore très important à combler

Surtout que de « chinois », l’avion n’a presque que le nom, pointe Bertrand Vilmer, expert en aéronautique au cabinet de conseil Icare : « Ce sont des moteurs européens, des systèmes de pilotages américains… même les sièges ne sont pas faits en Chine. Pour l’instant, c’est plus un assemblage de matériels étrangers qu’une innovation nationale. » Et encore, même en n’étant qu’un assemblage, « le modèle est sorti en 2017 et n’a été homologué qu’en 2023. Cela montre à quel point la Chine peine à combler son retard », poursuit l’expert.

« La Chine veut construire ses propres moteurs, mais ils sont très, très loin du compte. C’est un retard qu’il est très difficile de rattraper », explique Xavier Tyteelman, prenant l’exemple de la Russie. En guerre froide quasi continue avec l’Occident, Moscou n’a jamais réussi à faire émerger un avion de ligne civil capable de concurrencer Boeing ou Airbus. Le SuperJet 100, dernier né de Soukhoï en 2011, n’a jamais convaincu à l’étranger, la faute à de nombreux incidents techniques, dont un crash qui a fait 45 morts en Indonésie en 2012.

L’essentielle fiabilité

C’est l’autre grand frein pour Comac face aux avions européen. Pour l’aviation civile, la fiabilité doit être exceptionnelle et le moindre écart se paie cash. « Si les C919 atteignent une fiabilité de 98 % contre 99 % pour l’A320, la différence sera trop importante pour qu’ils puissent le concurrencer », plaide Bertrand Vilmer. Avec les nouvelles directives, chaque vol annulé coûte entre 350 et 700 euros de pénalité par passager. « Avoir deux ou trois vols annulés par flotte entière se chiffre donc en dizaines de milliers d’euros par jour. Un avion coûte tellement cher qu’il doit être surutilisé quotidiennement. On parle d’appareils en vol 16 heures par jour environ, la moindre différence de fiabilité a un coût majeur ». Et rédhibitoire, donc.

D’autant que le pays a d’autres priorités aéronavales : « l’aviation militaire semble aujourd’hui plus importante à développer pour la Chine dans son retard à combler avec l’Occident », achève Xavier Tyteelman.

Qui peut vraiment arrêter la Chine ?

S’il est certain, pour les experts interrogés, que le C919 ne fera pas d’ombre aux deux géants occidentaux sur la décennie à venir, la prudence est de mise en regardant plus loin. Déjà parce que – un peu moins fiable ou non – Comac pourrait devenir indispensable faute d’autres appareils. « Ni Airbus ni Boeing n’arrivent à honorer toutes leurs commandes », rappelle Bertrand Vilmer. Un moyen-courrier commandé peut mettre jusqu’à dix ans à être produit. Airbus a plus de 8.000 avions en carnet de commandes, soit quatre fois le budget de la France.

Mais aussi et surtout parce que la Chine a déjà prouvé sa faculté à briser des gaps technologiques pensés indépassables. « Vous voyez ce qu’il s’est passé pour les voitures électriques ? Les panneaux photovoltaïques ? Il en sera de même pour l’aviation dans un futur proche », prédit Hubert Arnould, directeur de Iaco, société de conseil spécialisée en conformité réglementaire de la sécurité de l’aviation. « La Chine apprend et copie très vite, ils ont les compétences et les moyens de productions » L’expert ne nie pas la plus grande complexité de l’aviation par rapport aux autres domaines évoqués, notamment les moteurs – « plus de cinquante ans d’expertise occidentale », mais « ce n’est qu’une question de temps ». Peut-être même avant 2045.