Avec ses rendez-vous, Nicolas Sarkozy montre « qu’il pèse toujours dans le jeu politique » de la droite et au-delà

C’est une ombre qui plane sur la droite française, et au-delà. Malgré son retrait officiel de la vie politique depuis son humiliant échec à la primaire de la droite en 2016, Nicolas Sarkozy fait toujours jouer son influence d’ancien président de la République.
Après avoir murmuré à l’oreille d’Emmanuel Macron, avoir apaisé les tensions avec Bruno Retailleau, voilà que l’ancien patron fort des Républicains s’acoquine avec Jordan Bardella en le recevant cette semaine pour un café d’une heure, selon une information du Parisien.
Un pouvoir d’influence… et de nuisance
Une manœuvre qui « renforce le positionnement » du président du Rassemblement national à deux ans d’une nouvelle échéance électorale nationale, « comme éventuel candidat à la présidentielle », et notamment auprès d’un électorat « dans la ligne moins sociale et plus libérale de Jordan Bardella », analyse Jean Garrigues, historien et président de la Commission internationale d’histoire des assemblées. Ça ne fait pourtant pas vraiment les affaires de la famille politique de Nicolas Sarkozy. Lui qui a toujours refusé de recevoir Marine Le Pen semble faire sauter une digue : celle de l’union des droites, prônée notamment par Éric Ciotti, ex-LR et aujourd’hui allié du RN.
Cette démarche « pas anodine » est vécue comme « un piège », par Jacques-Yves Bohbot, conseiller régional LR d’Ile-de-France. Fidèle sarkozyste pendant les années phares de l’ancien maire de Neuilly, il n’a « pas du tout apprécié » ce rendez-vous secret pas si secret. « Rencontrer Jordan Bardella n’est pas du tout une solution, c’est laisser entendre qu’il n’est pas tout à fait l’extrême droite ou que l’on peut discuter avec l’extrême droite, je suis extrêmement déçu », regrette encore l’élu parisien. Et ce, « peu importe le sens de cette rencontre ».
Donner un nouveau statut à Jordan Bardella n’est toutefois peut-être pas l’objectif premier de Nicolas Sarkozy. S’il n’a jamais eu la même ouverture avec Marine Le Pen, « c’est parce qu’elle avait critiqué le prénom de sa fille, Julia, lorsqu’elle est née », assure Etienne Girard, journaliste politique à L’Express et auteur de Le Parrain : Sarko après Sarko : l’enquête (Seuil). Alors quand il reçoit le patron du RN, « c’est surtout pour le remercier de son soutien après le retrait de sa légion d’honneur car chez Nicolas Sarkozy, la grille de lecture personnelle est cruciale », ajoute le journaliste.
Sarko n’a pas dit son dernier mot
Et Jordan Bardella et Nicolas Sarkozy ont ainsi un intérêt à faire fuiter cette rencontre. Chacun en tire un bénéfice. « C’est toujours bien de se montrer avec un ancien président », souligne Etienne Girard. Et pour l’ancien chef de l’Etat, c’est une manière « de montrer qu’il pèse toujours dans le jeu politique telle une puissance occulte », ajoute Jean Garrigues. Difficile de décrocher quand toute sa vie a été guidée par les succès et les échecs d’une carrière politique marquée par l’accession à la fonction suprême : la présidence de la République.
Malgré ses condamnations et ses multiples affaires judiciaires, Nicolas Sarkozy n’est pas devenu une figure radioactive à tenir à l’écart. Au contraire. Il vaut mieux l’avoir dans sa poche pour ne pas risquer « la petite phrase assassine dans la presse, son principal pouvoir de nuisance aujourd’hui », note Etienne Girard. Une aura qui s’explique par sa fonction d’ancien président. Aujourd’hui, ils ne sont que trois (Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron) à pouvoir faire valoir une expérience de chef d’Etat. Un charisme aussi propre à sa personnalité « assez exceptionnelle » et « son histoire qui a beaucoup marqué la droite », salue Jacques-Yves Bohbot.
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L’envie d’un retour ?
Cette influence qu’il ne veut pas lâcher lui permet « de construire sa prospérité, il veut qu’on dise du bien de lui et de sa présidence », complète Etienne Girard. Pour mieux revenir ? « Rien n’est impossible en politique, particulièrement en France où une carrière politique n’est jamais terminée », rappelle Jean Garrigues citant les exemples plus ou moins récents du général de Gaulle, François Hollande ou Dominique de Villepin. « C’est plus fort que lui, même s’il dit qu’il ne fait pas de politique, il en fait quand même beaucoup », juge à son tour Jacques-Yves Bohbot. Selon les proches de Nicolas Sarkozy, c’est « toujours dans un petit coin de sa tête, mais il fait la différence entre un rêve romantique et la réalité qui s’impose », complète Etienne Girard.
Car aujourd’hui, la droite française a repris des forces, notamment grâce aux prises de position radicales de Bruno Retailleau dont la cote de popularité atteint les 39 % selon un récent baromètre. « On n’a plus grand-chose à voir avec Nicolas Sarkozy qui nous a mis en difficulté sur les deux mandats d’Emmanuel Macron », regrette Jacques-Yves Bohbot, satisfait du « formidable potentiel candidat » incarné par l’actuel ministre de l’Intérieur. « Mais Bruno Retailleau n’a jamais été président de la République, et c’est la plus-value de Nicolas Sarkozy », nuance Etienne Girard.