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Autisme : « Avoir un enfant Asperger, c’est être prêt à gravir le Mont Everest à chaque instant »

« Un jour, tout serait possible, Sam irait mieux ». Dans Sam, l’envol d’un enfant Asperger *, qui paraît ce vendredi, sa mère, Alexia Belleville, décrit le long chemin qu’elle a suivi auprès de son fils pour qu’il trouve la voie de l’épanouissement. Un enfant qui était coupé du monde, refusait tout contact physique, ne tenait pas en place et avait du mal à maintenir son attention. 

A force de l’observer et de consulter des spécialistes, Alexia a vu son enfant évoluer positivement, développer des liens avec les autres et découvrir ses nombreux talents. « L’important est de vivre heureux avec ce que l’on est, pas de devenir ce que la société attend de vous », écrit-elle. Pour 20 Minutes, elle revient sur cet itinéraire familial riche.

Votre livre est une leçon d’optimisme pour tous les proches d’un enfant Asperger. L’avez-vous écrit pour aider les autres parents ?

Oui, car il me semblait important de partager mon expérience face à un enfant présentant des singularités et des attitudes décalées. S’il a l’air absent, n’arrive pas à être lui-même, il faut écouter son instinct et ne pas attendre. Si on a un doute, il faut consulter. Et surtout ne pas se laisser pétrifier par la peur, car tant qu’elle est là, on ne fait rien.

A quel âge vous êtes-vous rendu compte que votre fils avait des comportements décalés ?

Lorsqu’il est entré en deuxième année de maternelle, il ne prononçait toujours pas de mots mais s’exprimait en émettant des sons. Et dans sa classe, où il y avait beaucoup de bruit, il s’isolait de manière excessive pour faire des jeux de construction et ne répondait pas aux consignes de la maîtresse.

Vous avez dû vous battre pour que Sam reste à l’école. Malgré la loi de 2005 sur le handicap, comment expliquer la difficulté de l’Education nationale à prendre en charge la différence ?

La réaction première de sa maîtresse a été de me dire que l’école ne pourrait pas le garder, que ce serait mieux pour lui d’intégrer une petite classe d’un hôpital. Des propos d’autant plus durs à recevoir qu’ils ont été dits entre deux portes. Ils témoignaient de la peur et de la difficulté de l’enseignante face à un enfant différent. J’ai insisté auprès d’elle, en disant que son pédopsychiatre avait préconisé une scolarisation dans une école classique. Et elle a accepté de tenter une autre approche avec lui. 

Il faudrait décharger les enseignants du poids moral de suivre le programme à la lettre avec les enfants décalés afin qu’ils puissent apprendre à leur rythme.

Vous écrivez : « Je voyais bien que pour lui, le monde était un tourment ». Aviez-vous l’impression que Sam était malheureux lors de sa petite enfance ?

J’avais l’impression que la présence des autres créait un bouleversement intérieur chez lui. Qu’il avait besoin de s’en protéger en se mettant à l’écart. Seules ses constructions en Lego ou en Kapla lui procuraient une paix intérieure. Il s’exprimait à travers elles et manifestait, par leur intermédiaire, sa grande intelligence.

Vous avez pris la décision que son temps scolaire soit diminué. N’avez-vous pas eu peur qu’il perde vite le fil ?

Quand on a un enfant Asperger, on ne se fixe pas de cap, on fait des ajustements tout le temps. On est prêt à gravir le mont Everest à chaque instant. Comme Sam était en souffrance, notamment pendant la cantine et les récréations, nous avons décidé de limiter son temps à l’école dès la maternelle et ce, jusqu’au CM1. Car l’apprentissage scolaire n’était pas le sujet prioritaire. Il fallait accepter de lâcher ça, le plus important était de laisser Sam se construire et apprendre à tisser des liens. Et en CE1, il n’a plus eu besoin d’AVS (auxiliaire de vie scolaire) et a repris le rythme normal de la classe.

Vous décrivez votre propre désarroi : « Je souffrais de le voir souffrir ». Mais vous avez toujours semblé combative. Où avez-vous tiré une telle force ?

On ne peut pas être une mère seule face à cette situation, il faut s’appuyer sur les autres. J’ai réussi à avancer grâce à la magie des rencontres. Comme avec Laurence, une orthophoniste formidable qui a compris que pour qu’il parle, il fallait lui donner envie de le faire. Nous avons aussi trouvé, dans les voyages à l’étranger, l’occasion pour Sam d’aller vers les autres.

Pourquoi était-il si difficile de parler de la situation de votre fils à des proches ?

J’avais besoin d’être concentré sur Sam et je ne voulais pas que mes choix soient contestés en permanence. Car si on les avait trop questionnés, j’aurais cultivé le doute et j’aurais fini par tomber. Je devais me raccrocher à mon intuition.

Orthophoniste, psychiatre, neuropédiatre, psychologue… Vous avez consulté moult spécialistes avec plus ou moins de succès. Pourquoi la prise en charge des enfants autistes est-elle si complexe en France ?

Parce que le premier repérage du trouble autistique est difficile. Par ailleurs, il y a peu de spécialistes en France. Et notre pays manque aussi de professionnels formés à la rééducation de ces enfants.

Vous décrivez la difficulté pour un parent à voir poser un diagnostic pour son enfant…

Un diagnostic, ça peut faire peur et enfermer l’enfant dans une étiquette. Dans le cas de Sam, il y a d’abord eu une erreur de diagnostic. Le mot « autisme » n’a été prononcé que lorsqu’il avait 17 ans. Ce diagnostic n’était pas une finalité en soi, car nous nous étions mis en mouvement avant et qu’il était accompagné par une orthophoniste, une psychomotricienne, un pédopsychiatre. Et ces rencontres ont changé le destin de Sam.

Quelles sont les difficultés rencontrées par les frères et sœurs d’enfants autistes ?

Sam a un frère, Paul. Ce dernier a été parfois dérangé par les comportements décalés de son frère et il nous trouvait plus exigeant avec lui qu’avec Sam. Mais il existe un dialogue fort entre eux. Particulièrement lorsqu’ils font quelque chose ensemble, comme une randonnée à ski, par exemple.

Votre enfant a eu des séances d’équithérapie, des cours de piano. Est-ce important de multiplier les activités extrascolaires pour aider un enfant autiste à développer ses talents ?

Oui car grâce à l’art, l’enfant va trouver un mode de communication qui ne passe pas par les mots. Sam a trouvé dans le piano une forme d’épanouissement.

Comment va-t-il aujourd’hui ?

Bien, il m’a d’ailleurs donné l’autorisation d’écrire ce livre. Il a eu son bac scientifique avec mention très bien et est étudiant. Il faut dire que Sam a toujours eu une volonté hors norme, a été résilient à l’hostilité qu’il a subie. Il a beaucoup d’humour et sait trouver les bonnes personnes pour s’entourer. Il est passionné de politique, de sciences et de musique. Et l’avenir s’ouvre à lui.