Au procès des mains rouges, le fugitif a tous les torts
Kiril Milushev, Georgi Filipov et Nikolay Ivanov, âgés respectivement de 28 ans, 36 ans et 42 ans, sont accusés d’avoir réalisé des tags en mai 2024, pendant une recrudescence d’actes antisémites en France. La procureure de Paris, Laure Beccuau, indique que cette affaire des mains rouges fait partie des neuf affaires liées à des ingérences étrangères, principalement russes, visant à déstabiliser la société française.

Au tribunal correctionnel de Paris,
Trois hommes, âgés de 28, 36 et 42 ans, Kiril Milushev, Georgi Filipov et Nikolay Ivanov, sont poursuivis pour avoir été impliqués dans des tags qui ont choqué la France en mai 2024, dans un contexte de recrudescence d’actes antisémites et alors que la guerre à Gaza se poursuivait. Au total, pas moins de 35 mains rouges ont été retrouvées sur le mémorial de la Shoah et plus de 300 dans les rues des 4e et 5e arrondissements de Paris.
Un quatrième homme, actuellement en cavale, devrait également comparaître à leurs côtés, mais ce dernier est jugé par défaut. « Tous s’accordent à dire que c’était l’idée de monsieur Angelov, le « grand absent », insiste Vladimir Ivanov, l’un des avocats de la défense, lors d’une suspension d’audience. Ce quatrième homme n’est en effet pas là pour contredire ces affirmations.
Dès les premières investigations, il apparaît comme le leader présumé de l’opération, étant celui qui recrute, imagine et planifie les actions. « C’est Mircho Angelov qui repérait les lieux en général. Nous utilisions des pochoirs selon ses indications », déclare Georgi Filipov pendant son interrogatoire, vêtu d’un pull gris, avec un visage impassible et des cheveux bien entretenus.
« J’ai plein d’amis juifs »
Angelov aurait même réussi à convaincre le jeune Kiril Milushev de participer à cette opération. Ce dernier, âgé de 28 ans, reconnaît avoir été entraîné dans cette action, affirmant : « On m’a menti pour y participer ». Bien qu’il ait filmé les tags, il soutient qu’il ne pouvait pas y participer en raison d’un bras plâtré.
« Je ne savais même pas que j’allais faire une vidéo ; je pensais venir en France pour apporter des cigarettes. Je connais Mircho [Angelov] depuis mon enfance et c’est cela qui m’a conduit sur le mauvais chemin », justifie-t-il. Il évoque également la signification des mains rouges : « C’est Mircho qui m’a expliqué après que c’était pour la paix », déclare le prévenu, ajoutant : « J’ai plein d’amis juifs ».
Kiril Milushev prétend n’avoir rien vu ni entendu. S’il admet avoir filmé le mur tagué, il assure qu’il ne savait pas de quoi il s’agissait, révélant qu’il était venu à Paris pour se changer les idées après une rupture, « pour visiter la Tour Eiffel, boire des bières ». Il raconte avoir trop bu, avoir perdu de vue les deux autres et avoir somnolé sous une porte cochère. Il ne se souvient pas d’appels passés à Nikolay Ivanov, soupçonné de s’occuper de la logistique. « C’est peut-être Mircho qui a utilisé mon téléphone », avance-t-il, et son récit flou peine à convaincre le tribunal.
Un profil néonazi, une « erreur de jeunesse »
À sa droite, Georgi Filipov, le Bulgare de 36 ans, assure qu’ils ne se connaissaient pas avant cette fameuse nuit de mai. C’est à nouveau Mircho Angelov qui les a mis en contact. Pour tenter d’effacer son passé néonazi, qu’il qualifie d’une simple « erreur de jeunesse », il agit avec gestes et mimiques pour rendre ses propos plus convaincants. Cependant, des photos retrouvées sur son compte Facebook en 2021 et 2024 le montrent avec un tee-shirt à l’effigie d’Hitler et faisant un salut nazi. A-t-il été recruté pour cette idéologie ? Se rend-il compte de l’antisémitisme des pochoirs, notamment ceux qui évoquent le lynchage de soldats israéliens, apposés sur le mur des Justes ? Il assure que non et rejette les accusations d’antisémitisme, affirmant qu’il n’avait pas remarqué les étoiles de David sur le mur du mémorial de la Shoah.
Mircho Angelov lui aurait assuré qu’il s’agissait d’un symbole de paix, destiné aux enfants touchés par toutes les guerres, « en considérant le contexte, pour les enfants de la guerre entre Israël et la Palestine », explique Filipov. Pourtant, sa motivation principale demeure les 1.000 euros promis par Angelov pour sa participation aux dégradations, car il évite les paiements de pension alimentaire, se disant dans une grande précarité financière due à deux opérations ayant compromis son emploi. Il regrette son choix de « gagner de l’argent de manière malhonnête », ce qui lui permet de contester les accusations de « dégradations en réunion et en raison de la prétendue appartenance à une race, ethnie ou religion ».
Un « service » à « un ami »
Nikolay Ivanov, le quarantenaire, affirme également qu’il n’avait aucune idée des intentions de son « ami de longue date ». Il précise avoir seulement « fait une réservation pour lui sur Booking puis des billets pour qu’il retourne en Bulgarie ». Il insiste sur le fait qu’il ne « finance pas », déclarant que c’est simplement un service rendu à un ami, ce qui lui semble normal. « Je n’ai jamais cru que Mircho pourrait me mentir et m’impliquer dans une telle situation », souligne-t-il.
À l’issue de cette journée de procès, aucun des prévenus ne semble réellement coupable. La responsabilité semble se reporter sur Mircho Angelov, chacun d’eux affirmant ne pas savoir ce qu’ils faisaient et n’étant pas responsables des faits qui leur sont reprochés. Néanmoins, le procès aborde des enjeux plus larges que les seules dégradations. Cette affaire des mains rouges révèle des suspicions d’ingérence étrangère. Selon la procureure de Paris, Laure Beccuau, elle fait partie des neuf affaires connexes d’ingérences, notamment russes, visant à déstabiliser la société française. Cela soulève alors la question : pourquoi des Bulgares ont-ils choisi de dénoncer la guerre à Gaza en réalisant des tags à Paris ?

