France

Au 1er janvier 2024, tous les Français devront avoir une solution pour trier leurs biodéchets… Vaste chantier

Il faut un peu tourner autour du marché couvert de l’Olive, dans le 18e arrondissement de Paris, pour tomber sur ces trois bennes alignées contre le bâtiment. Ce mercredi-là, les abords sont plutôt sales et n’invitent guère à actionner la manivelle pour y glisser nos déchets. « Ici, vous pouvez déposer vos déchets alimentaires », est-il rappelé sur chacune d’elles, en lettres capitales. Soit les préparations et restes de repas, mais aussi les produits périmés, retirés de leur emballage.

Sur l’heure passée dans les parages ce midi-là, seule Antonia, retraitée habitant le quartier, déposera un sac d’épluchures. « Comme tous les deux-ou trois jours », raconte-t-elle avant d’aller faire son marché. Mais c’était en semaine et en fin de matinée, quand l’espoir de Colombe Brossel, adjointe à la mairie de Paris chargée du tri et de la réduction des déchets, est que les Parisiens s’arrêtent à ces points d’apports volontaires « sur le chemin du travail ou en emmenant les enfants à l’école ».

Le point d'apport volontaire de biodéchets adossée au marché permanent de l'Olive, dans le 18e arrondissement de Paris. La ville de Paris maille la capitale de ces bornes fixes pour être dans les clous de la loi Agec au 1er janvier 2024.
Le point d’apport volontaire de biodéchets adossée au marché permanent de l’Olive, dans le 18e arrondissement de Paris. La ville de Paris maille la capitale de ces bornes fixes pour être dans les clous de la loi Agec au 1er janvier 2024. – F. Pouliquen/20 Minutes

« Un immense gâchis » actuellement

Quoi qu’il en soit, la loi Antigaspillage pour une économie circulaire (Agec), dont on vient de fêter les 3 ans, ne laisse pas le choix. A partir du 1er janvier 2024, les Français devront disposer à proximité de chez eux d’une solution pratique de tri de leurs biodéchets. Le gisement n’est pas anodin. Nicolas Garnier, délégué général d’Amorce, association de collectivités qui ont la compétence déchets sur leur territoire, l’évalue à 80 kg par an et par habitant*, pour nos seuls déchets alimentaires. Soit un gisement total d’environ 5,4 millions de tonnes en France.

Actuellement, ces biodéchets finissent le plus souvent dans les poubelles grises avec le reste des ordures ménagères résiduelles, soit tout ce qui reste de nos déchets quand on a retiré ce qui se recycle. Ensuite, ils sont enfouis ou incinérés.  « Dans le premier cas, ces biodéchets vont se dégrader en relâchant du méthane, un puissant gaz à effet de serre. Dans le deuxième, on brûle une matière composée à 85 % d’eau, ce qui n’a pas beaucoup de sens », pointe Alexandre Guilluy. Bref : « un immense gâchis », qualifie le cofondateur des Alchimistes, entreprise spécialisée dans la collecte et le compostage des biodéchets.

La promesse de les collecter séparément est alors de trouver une meilleure valorisation à nos déchets alimentaires. « Soit le compostage, soit la méthanisation, qui permettent tous deux un retour à la terre et contribueraient ainsi à leur redonner vie, reprend Alexandre Guilluy. L’enjeu n’a jamais été aussi grand alors que nous prenons peu à peu conscience de la dégradation de nos sols et des conséquences que cela a. »

Un vaste chantier pour les collectivités

Nicolas Garnier reconnaît que cette mesure de la loi Agec « va dans le sens de l’histoire ». Reste à mettre en place ces solutions de tri, pas une mince affaire pour les collectivités locales. Comme les autres, Paris tâtonne. « Depuis plusieurs années déjà, nous livrons gratuitement des lombricomposteurs et installons aussi des composteurs collectifs dans les cours d’immeubles où à l’échelle de quartiers, là où des Parisiens se montrent intéressés, commence Colombre Brossel. Nous les formons et les accompagnons. » A plus grande échelle, Paris a surtout lancé des collectes en porte à porte dans les 2e, 12e et 19e arrondissements. L’option classique donc, avec un camion benne qui collecte ces poubelles marrons sorties, ce jour-là, au pied des immeubles. Sans grand succès ? « Les quantités récupérées sont plutôt faibles au regard du coût de ces collectes, glisse Colombe Brossel. Par ailleurs, peu d’immeubles parisiens ont la place pour accueillir une nouvelle poubelle. Seuls 40 % de ceux du 12e ont pu le faire par exemple. »

Il n’est à ce jour plus prévu d’étendre ces collectes en porte à porte aux autres arrondissements de la capitale. En parallèle, la ville accélère sur l’installation de points d’apports volontaires. « On a commencé en 2020 en mettant à disposition des bornes sur les marchés les jours d’ouverture, reprend l’élue. Ils ont permis de collecter 500 tonnes de biodéchets en 2021. C’est encourageant. » De temporaires, ces bornes deviennent peu à peu fixes, accessibles 24h/24 et 7j/7, comme au marché de l’Olive. « Nous ne le faisons pas seulement sur nos 70 marchés mais aussi sur nos 400 stations trilib [où les Parisiens peuvent déjà déposer leurs déchets recyclables] », précise l’adjointe à la Ville de Paris.

Jamais prêt au 1er janvier ?

L’objectif est d’« apporter une solution de tri à chaque Parisien à moins de 300 mètres de son domicile ». Et si les points d’apports volontaires semblent être la colonne vertébrale de cette stratégie désormais, Colombe Brossel insiste « sur la nécessité de ne pas miser sur une seule solution, mais de les conjuguer toutes ** ». « C’est le constat que dressent bon nombre de collectivités qui ont commencé à se pencher sur le sujet, confirme Nicolas Garnier, en pointant tout de même de grandes tendances. « En zone rurale, le compostage au fond du jardin suffit bien souvent, ce n’est pas la peine de faire plus sophistiqué, commence-t-il. Dans les zones urbaines, la collecte en porte à porte est souvent la plus pertinente, même si c’est cher. Ou alors le compostage collectif, à l’échelle du quartier, quand on est sûr de l’implication des habitants. Enfin, dans l’urbain dense, au regard des contraintes, la collecte en point d’apport volontaire s’impose généralement. »

Le délégué général d’Amorce invite toutefois à ne pas se faire trop d’illusions. « Les collectivités ne seront jamais toutes prêtes au 1er janvier, prévient-il. Que chacune ait au moins réalisé son étude de faisabilité serait déjà un bel objectif. » Surtout, le tri et la collecte de ces biodéchets ont un coût. « De l’ordre de 10 euros par an et par habitant, évalue-t-il. Pas rien alors que le coût de la gestion de nos déchets – et donc de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères payée par les Français – a augmenté depuis l’envolée des prix de l’énergie. Ce sera le cas encore en 2023. »

Enfin, cette loi Agec ne demande aux collectivités que de mettre à disposition des solutions. Rien ne dit que les Français s’en empareront. « Là où ça a déjà commencé, les collectivités récupèrent une petite moitié de la quantité qu’elles sont censées collecter », pointe Nicolas Garnier. Signe que ce nouveau geste des tris est encore loin d’être un réflexe en France. Ça viendra, espère Alexandre Guilluy, qui voit cette échéance du 1er janvier 2024 comme « un point de départ ».

* Nos biodéchets représentent un tiers de nos ordures ménagères résiduelles, évalue l’Ademe. Soit 180 kg, en moyenne, par an et par habitants. « Dans le lot, un peu plus de la moitié est constituée de déchets verts (tonte de jardins, branches taillées), détaille Nicolas Garnier. Pour eux, il n’y a guère de sujet : il faut les valoriser le plus possible dans son jardin. » Le reste de nos biodéchets – les 80 kg – sont composés de nos déchets alimentaires.

** D’autant plus qu’au 1er janvier 2024, les professionnels générant des biodéchets, quelle que soit la quantité, devront eux aussi les trier et les collecter. Autrement dit, « Nous devons nous mettre aussi en ordre de bataille pour collecter les déchets alimentaires des 300 crèches, 650 écoles, 110 collèges… de la capitale, énumère Colombe Brossel. Ce qui invite à trouver des synergies dans les solutions mises en place. »