Attaque au hachoir visant Charlie Hebdo : « J’ai pris mon sac, j’ai sorti mon couteau »… L’ « autre » procès « Charlie »
La foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit. Le terrorisme, si. Le 25 septembre 2020, cinq ans et demi après l’attentat qui a décimé la rédaction de Charlie Hebdo, une seconde attaque a ensanglanté la rue Nicolas Appert, au cœur du 11e arrondissement de Paris. Ce matin-là, peu avant midi, Louise et Pierrick*, alors âgés de 28 et 32 ans, descendent fumer au pied de l’immeuble de Premières Lignes, l’agence de presse dans laquelle ils travaillent. A peine ont-ils allumé leurs cigarettes qu’un inconnu se précipite vers eux et leur assène de violents coups de hachoir au niveau du crâne et de la nuque. Malgré la gravité de ses blessures, la jeune femme parvient à s’enfuir, mais le terroriste s’acharne sur son collègue.
L’assaillant, Zaheer Mahmood, un Pakistanais arrivé en France en 2018, est jugé à partir de ce lundi et pour trois semaines pour « tentatives d’assassinats terroristes » par la cour d’assises des mineurs spécialement composée. Transportées en urgence absolue à l’hôpital, les deux victimes ont survécu à leurs blessures, bien que profondément marqués, tant physiquement que psychologiquement. Leurs avocats n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
Si le terroriste avait 25 ans au moment des faits, trois de ses cinq co-accusés étaient alors mineurs. Jugés pour association de malfaiteurs terroriste, ils sont soupçonnés d’avoir « entretenu, maintenu et décuplé la potentialité violente » de l’assaillant en échangeant des vidéos « d’incitation à la haine contre les ennemis du prophète », selon les juges d’instruction. Comme le principal accusé, tous sont nés au Pakistan et sont arrivés en France en 2018 ou 2019.
L’assaillant « choqué » par les caricatures de Charlie Hebdo
La concomitance du lieu des attaques ne doit rien au hasard. Cet attentat trouve ses racines trois semaines auparavant : le 2 septembre 2020, à l’occasion de l’ouverture du procès des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hypercacher, l’hebdomadaire satirique republie les caricatures de Mahomet qui furent le prétexte de l’attaque. S’ensuit aussitôt une campagne de haine qui dépasse largement les frontières. Du Royaume-Uni au Maghreb, de la Turquie à l’Inde, le journal est la cible de violentes manifestations. Au Pakistan, où le mouvement est massif, un parti radical appelle à tuer les auteurs des caricatures.
Ces contestations anti-Charlie galvanisent Zaheer Mahmood. Lors de sa première audition devant le juge d’instruction, il reconnaît qu’il n’avait jamais entendu parler de l’attentat de 2015 avant la republication des caricatures mais explique avoir été « choqué » par ces images. Dans les jours qui précèdent son passage à l’acte, il regarde compulsivement des vidéos de prédicateurs pakistanais sur les réseaux sociaux. Le discours est de plus en plus violent. Au Pakistan, le blasphème est puni de la peine de mort. Une semaine avant, il commence à faire des repérages devant les ex-locaux de Charlie Hebdo, rue Nicolas Appert. Sans savoir que le journal a déménagé après l’attentat dans une adresse tenue secrète.
« Je vais aller me révolter »
« Ici, en France, ils ont fait des caricatures sur notre pur et grand bien aimé Prophète […] Je vais aller me révolter contre ça », s’emporte-t-il dans une vidéo aux allures de testament, enregistrée le jour de l’attaque, en langue ourdou. Quel était le projet précis de Zaheer Mahmood ? Interrogé trois mois après les faits par le juge d’instruction, le Pakistanais assure qu’il avait seulement l’intention de « commettre des dégradations dans les locaux de Charlie Hebdo », et notamment mettre le feu au journal. Deux bouteilles de white-spirit ont bien été retrouvées dans son sac à dos… mais intactes. « Force est de constater qu’il n’a pas même tenté d’ouvrir l’une des bouteilles », note le magistrat dans son ordonnance de mise en accusation. Son arme, jure-t-il, devait servir « à le protéger ».
Selon son récit, c’est en voyant les victimes « en train de rigoler » qu’il a été « pris de colère », persuadé qu’ils se moquaient de lui. Il pense alors qu’il s’agit de salariés du journal satirique. « J’ai pris mon sac, j’ai sorti le couteau, je suis revenu vers eux et je les ai attaqués sans savoir où je frappais », assure l’accusé, qui a fait deux tentatives de suicide depuis le début de son incarcération. « Je n’avais pas le choix. Je n’ai pas réussi à me calmer, je ne suis pas pour le terrorisme ou terroriser les gens », poursuit-il, jurant regretter son geste. L’homme prend la fuite mais sera interpellé moins de deux heures plus tard, à quelques kilomètres du lieu du crime, place de la Bastille.
Un geste « méticuleusement préparé »
Les contritions de Zaheer Mahmood dénotent, toutefois, avec ses propos en garde à vue. « Ce que j’ai fait, c’est bien. Je me sens mieux. Je considère qu’ils sont bien punis. On ne se moque pas de la religion », avait-il alors déclaré. Quid de sa vidéo diffusée sur les réseaux sociaux le jour des faits ? Ou de cette autre vidéo envoyée la veille à un ami, dans laquelle un imam pakistanais appelle à la décapitation de ceux qui insultent le prophète ?
Dans leur ordonnance de mise en accusation, les magistrats instructeurs considèrent que son « geste a été minutieusement préparé par plusieurs repérages sur les lieux des faits et par l’achat notamment d’armes », dont le hachoir. Contactés, ses avocats réservent leurs déclarations pour la cour. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
* Les prénoms ont été modifiés.