France

Assumer ou ne rien dire… Faut-il parler de votre augmentation de salaire à vos collègues ?

Depuis que vous êtes sorti(e) de votre entretien annuel avec un sourire triomphant, vous avez éveillé les soupçons de vos collègues. La nouvelle Ferrari avec laquelle vous vous garez au parking a confirmé les doutes. Et que dire de votre soudain projet de vacances à Bali ?…. Un silence gêné règne depuis dans l’open space jusqu’à ce qu’un beau matin, Alexis, votre collègue un poil intrusif, vous prenne entre quatre yeux à la machine à café et vous demande : « Allez, avoue… Tu as eu une augmentation ? ».

Le salaire étant encore tabou dans l’impitoyable monde de l’entreprise, que faire ? Voici les quatre chemins qui s’offrent à vous :

Prendre la fuite (et tant pis pour le café)

Pour Yannick L’Horty, professeur d’économie et chercheur associé au Centre d’études de l’emploi (CEE), il vaut mieux garder le silence. « Généralement, il n’y a pas d’information partagée et pas de transparence sur les salaires. On ne connaît pas le niveau de rémunération de ses collègues, de son N + 1, N + 2 ». Dès lors, pourquoi se mouiller quand personne ne le fait ? Car attention à la noyade : « Il reste plutôt dangereux de mettre en avant une augmentation, il y a toutes les raisons qu’elle soit mal perçue par les autres employés car ils n’auront pas en main toutes les raisons de cette promotion ».

Difficile en plus de plaider votre cause en argumentant que oui, vous avez mieux bossé que les autres. « Ce n’est pas de nature à créer une cohésion de groupe. On peut même voir des employés décider de vous saboter », estime Yannick L’Horty.

Clément*, 31 ans, qui a obtenu le Saint-Graal d’une montée d’échelon, estime : « C’est à la direction de faire de grandes annonces sur les promus. Et s’il y a des mécontents, de rendre des comptes et des explications. Si les gradés ne disent rien, je ne parle pas non plus de mon augmentation. Pourquoi me mouiller ? Ce n’est bon qu’à te revenir dans la tronche, et par tes collègues, et par ta hiérarchie, qui te demandera pourquoi tu as tant ouvert ta gueule. »

Effectivement, il est parfois dangereux pour vos propres fesses de trop parler. « Dans de très rares cas, les entreprises peuvent faire signer des clauses de confidentialité au moment d’accorder une prime ou une augmentation », révèle Sandrine Dorbes, experte en rémunération, conférencière et autrice de La rémunération n’est pas qu’une question d’argent (Dunod, 2025). Plus communément, « certaines revalorisations peuvent être accordées avec la consigne officieuse de se faire discret. Si la direction voit ensuite que vous vous épanchez trop sur la question, cela peut vous retomber dessus, avec une certaine mise à l’écart. »

Appuyer sur des critères uniquement objectifs

Si votre augmentation ne doit rien au bon cœur de votre N + 1, mais est automatique selon des critères appliqués à l’ensemble de la boîte, comme avec une prime d’ancienneté par exemple, il est déjà moins périlleux de révéler votre petit secret aux oreilles inquisitrices d’Alexis. « Des critères purement objectifs sont moins à même de créer des tensions », estime Yannick L’Horty.

Attention toutefois, « même si votre augmentation est automatique, le collègue en face n’est pas forcément au courant de tous les mécanismes mis en place par la direction ou les ressources humaines », nuance Caroline Diard, professeure associée au département droit des affaires et RH de TBS Education. Il peut donc encore une fois mal vivre la situation, voire crier à l’injustice.

D’autant plus que le critère peut laisser sceptique votre confident. Sandrine Dorbes reprend l’exemple de la prime d’ancienneté : « j’ai déjà rencontré dans mes recherches beaucoup de salariés qui la trouvaient totalement injuste.  »On fait exactement le même travail, pourquoi serait-il payé plus que moi ? ». Une fois encore, l’experte interroge : « Pourquoi serait-ce à vous de vous justifier et pas à la direction de s’expliquer ? »

Jauger de votre niveau d’intimité (et faire un pacte de silence)

Vous n’êtes pas forcé de répondre à Alexis sur votre augmentation. Mais si Elise, votre work bestie, vous le demande, il est possible de lui confier votre nouveau statut social. Bonus non négligeable si elle vous jure – sur le petit doigt sacré – qu’elle ne vendra la mèche à personne. Yannick L’Horty admet : « Il faut jauger de votre niveau d’intimité et d’amitié avec vos collègues et adapter vos confidences ».

Romain*, graphiste, confie : « Je n’ai rien dit à la plupart de mes collègues mais par contre, j’ai révélé que j’avais été augmenté à un très bon ami du boulot. Lui-même allait avoir son entretien et cela m’a permis de lui donner quelques clés pour l’aider à obtenir une promotion ».

Jouer la transparence

Et si vous lâchiez le morceau ? « En théorie, on gagnerait tous et toutes à être plus transparents entre collègues. Cela permettrait de mieux se rendre compte de la politique de la direction et de la confronter à des inégalités salariales sans fondement », estime Sandrine Dorbes. « On a tous connu le cas d’une collègue demandant des comptes à sa direction après avoir constaté que tout son service était mieux payé qu’elle, et obtenant gain de cause. »

Pour Antoine*, Che Guevera du service, « dans une logique de rapport de force face à la direction, plus les employés sont au courant entre eux, plus ils peuvent infléchir les tendances. Je crois aux victoires collectives. Si on partage tous nos salaires, on aura de quoi avoir plus de poids dans les négos que si chacun se tait ». Antoine a 27 ans, et ce n’est pas un hasard pour Sandrine Dorbes : « Les jeunes générations sont plus à l’aise pour partager salaire et prime ».

Autre grande évolution à venir : une directive européenne, applicable en 2026 en France, sur la transparence des salaires. Les entreprises auront obligation de montrer les grilles salariales, les moyennes par service – sans toutefois indiquer le salaire de chacun –, de mettre une fourchette salariale dans les offres d’emploi. Il sera également illégal de reprocher à un salarié de parler publiquement de son augmentation ou promotion.

Alors, faut-il attendre 2026 et le sens de l’Histoire pour répondre à Alexis ? Ou être un des pionniers du mouvement ? Sandrine Dorbes conclut : « Le sujet du salaire reste tabou, mais un tabou, ça s’entretient. Moins on parle, plus c’est difficile d’en parler. A certains de briser la glace. » Pourquoi pas vous ?

* Les prénoms ont été modifiés