France

« Arrêtez le marketing »… Les quartiers nord de Marseille lassés

On a beau se trouver au milieu d’une ancienne église désacralisée depuis vingt-cinq ans, plantée au cœur du 14e arrondissement de Marseille, dans les quartiers nord, l’heure n’est pas au recueillement, mais plutôt à une colère sourde. Près de l’ancien autel, autour de la table ronde, l’ambiance est désabusée, et l’audience, pétrie de soupirs de désillusions. « C’est la dixième réunion de ce type à laquelle je participe, lance Hachimia Aboubacar, présidente de l’Institut élémentaire, une association qui vient en aide aux jeunes de la cité de la Castellane. Mais la vraie question, c’est qu’est-ce qu’on fait ? On va continuer à parler comme ça longtemps ? » « Pendant ce temps-là, dehors, ça continue », murmure Karima Meziene, du collectif des familles.

Face à elles, stylo à la main, la sénatrice socialiste Marie-Arlette Carloti et son homologue de Saône-et-Loire Jérôme Durain noircissent des feuilles de papier, la mine grave. Depuis le début de l’année, près de 18 personnes sont décédées à Marseille sur fond de trafic de drogue. Une tendance qui s’inscrit dans la durée : l’an dernier déjà, 32 personnes ont été victimes d’homicides en bande organisée, dont 28 à Marseille. Les deux parlementaires ont convié les représentants des collectifs qui œuvrent dans les quartiers nord, avant des rencontres prévus avec la préfète de police, la procureure de la République et des policiers.

« Ce qu’on demande, ce n’est rien d’autre que la paix »

« S’il vous plaît, quand vous venez dans nos quartiers pour être vus, nous, ce qu’on demande, ce n’est rien d’autre que la paix et voir nos enfants grandir, soupire Zali Bakari, présidente d’une autre association dans les quartiers nord. Maintenant, j’ai peur quand je marche devant chez moi ou quand ma fille rentre de l’école. » « Pendant des années, quand on vivait dans ces quartiers, on a été ignorés, abonde une maman qui préfère taire son nom, par peur. J’ai perdu mon fils en 2018 à deux heures du matin. Il venait de manger une glace. Quand sa fiancée m’a appelée, je me suis retrouvée toute seule sur le terrain. »

Assise également autour de la table, une déléguée du préfet prend la parole. Au fil des mots vient poindre une drôle d’impression : celle qu’un fossé se creuse entre des représentants de l’Etat au discours technique parfois hors sol et les principaux concernés, dont l’exaspération et la peur transpirent entre deux phrases. « Il y a beaucoup de choses qui ont été faites et il y a un engagement fort de l’Etat, à travers notamment les dispositifs d’insertion professionnels comme dernièrement, le carrefour de l’entrepreneuriat, ou la cité éducative », fait valoir la déléguée du préfet. « Nous faisons face à ces problématiques depuis des décennies, abonde Camélia Makhloufi, conseillère municipale des 13e et 14e arrondissements. Mais la maire Marion Bareille avait pris un engagement durant son mandat, avec la création d’un commissariat dans le secteur. »

Et la sénatrice Marie-Arlette Carlotti de conclure qu’elle va « essayer d’aider », en demandant notamment aux collectivités locales de reprendre quelques propositions égrenées durant cette réunion. La parlementaire insiste : à son niveau, il est impossible de déclencher une commission parlementaire comme le réclament certains acteurs locaux, son groupe politique ayant écumé le quota en la matière.

« Ce qu’on nous propose, ce n’est pas ce dont on a besoin »

« Il y a un mot qui me choque dans ce que vous nous dites, s’agace Jean-Claude Fosse, membre du comité d’intérêt de quartier (CIQ) de Sainte-Marthe. C’est quand vous dites que vous allez essayer de nous aider. Il faut nous aider. Il faut faire. Les élus ont envie de changer la situation sur le terrain plus souvent quand les élections sont à venir. Il ne faut pas que les élus soit sur le terrain uniquement avant les scrutins… » « J’entends toujours les mêmes discours, peste Hachimia Aboubacar. C’est toujours la même situation. Vous nous dites qu’il existe des dispositifs mis en place par la préfecture. Mais ils sont inefficaces. Dès qu’on naît ici, dans les quartiers, c’est un échec pour nous. Il faut arrêter de faire du marketing quand on nous dit qu’on va nous aider, alors que ce qu’on nous propose, ce n’est pas du tout ce dont on a besoin. »

« A Marseille, les politiques publiques sont faites n’importe comment, se désespère Mohamed Berchiche, président du CIQ de Sainte-Marthe, et ce n’est pas parce qu’on fera le tramway dans les quartiers nord que ça va changer les choses. La mairie a zéro moyen. Là où la mère de famille est morte la semaine dernière, traverse du Vieux-Moulin, les choses ont été super mal faites, et ça fait des années que je dis qu’il faut faire quelque chose, car c’est devenu un espace de non-droit avec des voitures carbonisées. Et la police ne fait rien. »

Au bout d’une heure de réunion, la sénatrice Marie-Arlette Carlotti s’excuse d’écourter le temps d’échange car elle a d’autres réunions prévues, notamment avec la préfète de police. « C’est toujours pareil, soupire Hachimia Aboubacar, alors qu’elle quitte l’ancienne église. Des réunions comme ça, j’en ai déjà fait. Mais au final, ça va donner quoi ? Est-ce qu’il n’y a pas de la récupération ? Je me pose la question. Mais je ne suis pas très optimiste. » Derrière elle, l’acoustique de l’ancienne nef fait résonner la fureur de Karima Meziene, membre du collectif des familles : « On ne croit plus en ces réunions. Le 25 décembre, pendant que d’autres fêtaient Noël, on avait déjà participé à une réunion comme ça, en urgence. Et le nombre d’assassinats a fini record. De cette réunion, il est ressorti rien du tout. Si c’est pour faire des réunions et rien derrière, ça suffit. » Marie-Arlette Carlotti se glisse dans la conversation, et lance dans un sourire : « Il faut que je bosse, c’est ça ? »