France

Antisémitisme : Près d’un élève sur six refuserait d’être l’ami d’un juif

«Des fois, ils me disent que je suis un train », se plaint Ilan, 13 ans. Si la référence n’est pas explicite, il s’agit d’un train pour Auschwitz. Cette remarque particulièrement violente adressée à un adolescent juif fait partie des témoignages recueillis par la sociologue Valérie Boussard pour le compte du Conseil représentatif des instituions juives de France (Crif).

Elle accompagne un baromètre mené par l’institut de sondage Ifop pour la même institution, dont les chiffres sont tout aussi effrayants*. Environ 16 % des élèves refuseraient de nouer certaines relations amicales ou sentimentales avec des élèves de religion juive, note par exemple l’étude, et quasiment autant réagiraient mal si leur frère ou sœur se mettait en couple avec une personne juive.

Menée sur un échantillon national représentatif de 2.000 collégiens et lycéens, l’enquête explore le ressenti et le vécu des élèves confrontés à l’antisémitisme, qu’ils soient de confession juive ou non. On y apprend que 51 % des élèves ont déjà entendu dire du mal des juifs de la part d’élèves de leur établissement. Et que 21 % des élèves ont vu des élèves juifs dissimuler leur origine ou religion juive dans leur collège ou lycée.

Augmentation massive

Des chiffres qui confirment la présence massive de l’antisémitisme dans les établissements scolaires, déjà remarquée par les services de l’Education nationale eux-mêmes. Selon le dernier bilan du ministère, 477 actes antisémites ont été remontés pour le premier trimestre de l’année scolaire 2024-2025, et 1.670 pour l’année 2023-2024, soit quatre fois plus que l’année précédente. Une augmentation massive liée aux massacres du 7-Octobre et à la guerre déclenchée contre Gaza, qui a fait 1.218 morts côté israélien, selon un décompte de l’AFP, et 48.405 morts côté palestinien.

La sociologue Valérie Boussard note l’existence de quatre formes d’hostilité antijuive : un antisémitisme franc, une hostilité déplacée sur Israël, une hostilité ordinaire et euphémisée « sous la forme de moqueries et blagues » et enfin une « hostilité sourde » qui se passe de mots. Mais selon la chercheuse, « l’hostilité déplacée sur Israël, mais reportée sur les juifs, vus comme collectivement coupables, est la forme qui absorbe toutes les autres depuis le 7-Octobre ».

Des élèves poussés à prendre position sur le conflit

« On me pose des questions et ça me met un peu mal à l’aise parce que soit je ne sais pas y répondre, soit je me dis comment ils peuvent penser ça. À un moment, il y a quelqu’un qui me demande « Pourquoi vous faites un génocide ? » », rapporte par exemple Léa, 15 ans. Près de 10 % des élèves qui ont des camarades juifs affirment avoir déjà vu leurs amis « poussés par d’autres élèves à prendre position sur le conflit israélo-palestinien » durant l’année scolaire actuelle.

Cette hostilité ne peut pas toujours être qualifiée d’antisémite, et l’étude mélange parfois des notions qui n’ont rien à voir, mettant côte à côte les 37 % des élèves qui affirment qu’ils refuseraient de nouer certaines relations amicales ou sentimentales auprès des élèves de religion juive affichant leur soutien à Israël et les 16 % qui en feraient de même en raison de la simple judéité des élèves concernés.

Moqueries et violences physiques

Il n’empêche qu’elle coexiste avec un vieil antisémitisme qui n’a, pour le coup, rien d’ambigu, et qui paraît particulièrement élevé. Un quart des élèves considère par exemple comme « acceptable » au moins l’un des propos suivants et près de la moitié des élèves les ont déjà entendus : « Ne fais pas ton feuj » (à propos d’un élève qui ne veut pas prêter, payer ou partager), « un juif, c’est riche », « sale feuj », « les juifs, on les reconnaît » (en faisant référence au nez d’un élève), « Hitler, il aurait pu finir le travail », ou encore « sale sioniste ». Le résultat, c’est que les élèves juifs sont particulièrement stigmatisés : 23 % des élèves ont par exemple déjà été témoins durant leur scolarité de moqueries envers un élève « parce qu’il était juif » et 14 % de violences physiques.

Une seule consolation face à constat, les élèves sont tout de même moins imprégnés de préjugés antisémites que leurs aînés, si l’on en croit l’étude du Crif. Interrogés sur un certain nombre d’opinions antisémites, comme « les juifs disposent de lobbies très puissants qui interviennent au plus haut niveau », les enfants affichent des pourcentages d’adhésion systématiquement inférieurs à ceux des adultes. Pour le préjugé sur les lobbys, ils sont 39 % à adhérer à ce type d’affirmation, contre 49 % pour les adultes. Et ils sont par exemple 22 % à penser que « les juifs aiment plus l’argent que les autres Français » contre 32 % des plus de 18 ans interrogés dans une étude du Crif en septembre 2024.

De plus en plus jeunes

Mais il n’en reste pas moins que l’école n’est pas, ou n’est « plus » un sanctuaire face à l’antisémitisme, comme le commente dans un communiqué du Crif joint à l’étude Yonathan Arfi, le président de l’institution. « J’ai été saisi de cas d’antisémitisme en CE1 ! Le 7-Octobre a accéléré un grand basculement : les auteurs d’actes ou de propos antisémites sont de plus en plus jeunes. Dans ce combat, les enseignants doivent être formés et soutenus pour faire face au phénomène », affirme-t-il.

Le rapport de la sociologue Valérie Boussard et l’enquête de l’Ifop doivent être présentés demain lors d’un colloque au Sénat, en présence d’Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale.

* Étude Ifop pour le Conseil représentatif des instituions juives de France réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 7 au 12 février 2025 auprès d’un échantillon de 2.000 personnes, représentatif de la population des élèves du second degré (collège et lycée).