Angleterre-France : Humidité, manque d’exigence, impatience… Comment les Bleus ont paumé un match imperdable
De notre envoyé spécial chez la perfide Albion,
On a connu des funérailles plus joyeuses que la conf de presse commune d’Antoine Dupont et Fabien Galthié une petite demi-heure après l’impensable. Comment diable les Bleus s’y sont pris pour paumer une victoire qui aurait pu ressembler, de l’aveu même du sélectionneur, à la démonstration de 2022. Aurait pu ? N’exagérons rien, mais il faut quand même se pencher sur tous ces essais laissés en route qui ont permis aux Anglais d’espérer jusqu’au bout avec trois ballons et demi et une motte de beurre pour toute la famille au petit-déjeuner.
Le ballon était-il si glissant que ça ?
27 fautes de main sur un match de rugby de niveau international, il faut se pincer les testicules au coupe-ongle pour éviter de s’en prendre à un chaton innocent dans la campagne anglaise. Antoine Dupont n’avait pas les chiffres, alors il nous a parlé tramontane et taux de précipitation sans y croire lui-même : « On a eu le ballon toute la première mi-temps, au moment où ça glissait le plus. Après, on a déjà fait plein de matchs et d’entraînements avec des ballons qui glissaient, je ne sais pas pourquoi ce coup-ci ça n’a pas fonctionné ».
Nous non plus, Antoine, nous non plus. Mais en face, les Anglais, pourtant pas plus malins que nous, n’en ont égaré que douze, signe que « les conditions étaient humides mais jouables », comme le reconnaissait Fabien Galthié. D’ailleurs, il s’est arrêté de pleuvoir deux bonnes heures avant le match, et pour avoir bien regardé les équipes de jeunes qui s’ébrouaient sur la pelouse dans des petits matchs d’une vie avant le coup d’envoi, tenir le ballon dans leurs grosses papattes ne semblait pas hors de portée des fleurons rugbystiques de ce pays.
Les Bleus ont-ils fait preuve de suffisance sur certains coups ?
Certaines fautes ont été si grossières qu’elles ont ressemblé à un sabordage en règle, du genre à se partager l’argent d’un pari déposé quelque part en Asie sur une victoire anglaise. On pense notamment à Mauvaka et sa prise de balle foutraque à une main sur une offrande de Bielle-Biarrey en début de deuxième mi-temps. Une action particulièrement agaçante parce qu’elle venait après trois essais croqués à cause de passes mal données ou de réceptions cafouillées. Une pointe de suffisance alors que les Anglais semblaient alors loin du compte ? Le sélectionneur rejette l’explication : « cela ne ressemble pas à cette équipe, ce n’est pas son style ».
Alors quoi ? Manque de savoir-faire, manque d’application ? « Quand on échappe le ballon à dix mètres, ce n’est pas de la précipitation, c’est une erreur technique, jugeait Dupont. On a su faire des choses très compliquées à certains moments, et on a raté des choses simples à d’autres ». « Il a manqué peut-être un peu plus d’exigence de notre part, osait Thomas Ramos. Il y a eu beaucoup d’en-avants aujourd’hui, des deux équipes, mais malheureusement les nôtres nous coûtent cher puisque trop souvent à cinq mètres de la ligne adverse, pour des essais pas tout fait mais presque ».
Est-ce que c’est la faute de Galthié ?
Rare moment de détente dans une fin de journée déprimante, la question piquante d’un collègue du Midol, qui y allait franco sur le chambrage au micro : « Fabien, on ne serait pas les champions du monde des expected points ? », en référence à l’interview débrief du sélectionneur sur les raisons de l’élimination en quarts de finale de « notre » Coupe du monde à la maison à l’automne 2023.
Galthié l’a pris avec le sourire, et pour ce qui nous concerne, difficile de le blâmer à la place de ses joueurs. Son équipe n’a pas manqué d’ambition, au cours d’une première mi-temps largement dominée en matière de possession comme d’occupation (55/45), et on a même pensé parfois qu’on ne jouait pas assez au pied, un comble quand on connaît les préceptes du staff tricolore. Les Bleus ont créé des différences énormes après plusieurs combinaisons bien exécutées par Jalibert, et ce n’est quand même pas la faute des coachs en tribunes si les ballons tombent à trois mètres de la ligne comme chez les U8 du Vexin normand. Tout juste Galthié a-t-il regretté que ses troupes n’aient pas « accepté de faire un ruck de plus » plutôt que d’essayer de finir les coups sur chaque trouée d’Arenberg.
Cette maladresse a-t-elle coûté la victoire en fin de match ?
Tous les joueurs étaient d’accord là-dessus : en rentrant dos à dos à la mi-temps alors que le XV de la Rose n’avait pas touché une cahouète en dehors d’une incursion dans les 22 aussitôt transformée d’un essai, la France a mis le doigt dans l’engrenage fatal : le fameux « je laisse l’adversaire dans le match et il finit par y croire, le petit saloupio ». Thomas Ramos : « Quand tu rentres à la mi-temps et que tu te rends compte qu’il y a 7-7 alors qu’il aurait pu avoir trois ou quatre essais pour nous… On les a laissés espérer, ils ont espéré jusqu’au bout et ils arrivent à gagner le match. Bravo à eux, et nous, on va devoir prendre en compte que dans ces moments, il faut savoir tuer l’adversaire ».
A peine moins sévère que son coéquipier, François Cros ciblait lui le début de deuxième mi-temps, quand les Bleus, toujours sûrs de leur affaire, ont sans doute fait la faute de main de trop, celle qui a définitivement fait tilt dans les têtes anglaises, de plus en plus convaincues que le hold-up devenait possible. « On a essayé de bien redémarrer, mais encore une fois on a eu trop de déchets et ça a galvanisé cette équipe anglaise qui a eu la ressource pour aller chercher la victoire en fin de match.
« On peut quand même féliciter notre adversaire qui a su faire beaucoup avec peu, embrayait Galthié. Quand une équipe croit que c’est fini et que finalement elle respire encore, elle respire encore, elle respire encore, on peut penser qu’on lui donne de l’énergie supplémentaire. Ils ont su construire leur victoire sur ces moments où ils résistaient ». Pendant que la France construisait une nouvelle désillusion au moment où elle dominait sans partage, comme une éternelle rengaine.