Alcool au volant, permis invalide… « C’était open bar sur les infractions », selon un ex-contrôleur de cars des Landes

Que se passe-t-il chez Trans-Landes, cette société des Landes qui transporte des scolaires et des touristes à l’intérieur de cars rouge et blanc, sur les routes du département ? Sa régie, la RRTL, et Trans-Landes ont été mis en examen les 18 février et 19 mars pour harcèlement moral de deux salariés dans un volet pénal, après un procès-verbal de l’Inspection du travail. Et au civil, Florian Deygas, ancien chauffeur de la société victime de harcèlement moral, a remporté sa bataille judiciaire en cassation, le 19 mars 2025.
Mais au-delà de ces affaires, les témoignages d’anciens salariés et de représentants du personnel de cette société qui emploie 344 personnes et possède quinze dépôts sur le département, mettent en avant des problématiques liées à la sécurité.
« Quatre canettes de bière dans l’habitacle »
Jésus Martins est un ancien agent de maîtrise de Trans-Landes pour lequel le comité de reconnaissance des maladies professionnelles a reconnu en septembre 2021 que son invalidité venait du harcèlement de son employeur. Il s’est épuisé à signaler des comportements problématiques et des irrégularités dans l’entreprise, sans être entendu. « J’étais un contrôleur assermenté depuis 1999 mais quand j’ai signalé des conducteurs qui buvaient, une habitude qui était tolérée, je me suis mis à dos des gens », raconte-t-il à 20 Minutes. On met en doute sa parole et on refuse de l’écouter.
Très inquiet de potentiels accidents dont la responsabilité, en tant que contrôleur, pourrait lui être imputée, il demande à un commissaire de police avec lequel il avait sympathisé de réaliser un contrôle inopiné d’un conducteur, en 2010. « Résultat, il conduisait avec 2,5 g d’alcool par litre de sang et on a retrouvé quatre canettes de bière dans l’habitacle », précise-t-il. Mais contre toute attente, c’est Jésus Martins qui se retrouve « blacklisté » car cela finit par se savoir qu’il a provoqué ce contrôle.
Il a aussi vent que certains conducteurs contournent le système d’éthylotest antidémarrage (EAD) en faisant souffler des tiers. Un récit corroboré par Philippe Fin, ancien conducteur puis contrôleur chez Trans-Landes : « J’ai été témoin que le conducteur avait bu et qu’il a fait souffler un client pour démarrer. » Mais là aussi, ses signalements sont ignorés. Pourtant la directrice de la RRTL Sophie Izoulet, contactée par 20 Minutes, assure « que chaque salarié est responsable de la sécurité. Si des salariés ont connaissance de faits pouvant mettre en danger la sécurité de nos collaborateurs et/ou usagers, ils engagent leur responsabilité en ne les dénonçant pas ».
Elle précise aussi que la société réalise régulièrement des campagnes de contrôles alcoolémie et stupéfiants régulièrement. « Sur l’alcool, un contrôle systémique a été fait et aucun cas n’a été repéré », renchérit de son côté Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine, contacté par 20 Minutes.
« On me trouvait trop rigide sur la sécurité »
Les conducteurs sont censés utiliser des chronotachygraphes ou disques qui permettent de contrôler leurs horaires, leurs vitesses, etc. Cela fait partie du rôle de contrôleur de Jésus Martins de compiler leurs données mais, lorsqu’il signale à ses supérieurs des irrégularités, comme des temps de conduite dépassés, il n’y a pas de suite.
« C’est quand il y a eu un contrôle de la DREAL, direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, qui demandait les disques que la direction m’est tombée dessus alors que je les avais réclamés en amont », raconte, dépité, Jésus Martins. Selon lui, le directeur de l’époque se préoccupe alors de faire sauter les amendes en faisant jouer ses relations, plutôt que de prendre le problème à la racine.
Dans les années 2016-2017, les choses ne s’arrangent pas. Les conducteurs de transports en commun doivent passer une visite médicale tous les cinq ans pour mettre à jour leur permis, puis tous les ans à partir de 60 ans. Mais dans l’entreprise, certains ont dépassé depuis six mois l’échéance, sans que la direction ne s’en inquiète, malgré les signalements répétés de Jésus Martins. « C’était vraiment open bar sur les infractions, j’avais beau relancer, rien ne se passait », résume-t-il.
Au bout d’un moment, en 2017, il ne voit plus passer les documents officiels dont il a besoin pour travailler et on ne le convie plus aux réunions d’exploitation. Il est mis au placard, traité de « menteur » et menacé. Il finit par être placé en arrêt de travail par son médecin pour épuisement professionnel à partir de 2018 et jusqu’en 2020, avant son licenciement pour inaptitude.
« Jusqu’en 2020, j’avais encore accès à ma messagerie professionnelle et j’ai constaté que les infractions se poursuivaient, confie-t-il. On incitait par exemple les conducteurs à enlever la sécurité de l’EAD et à se rendre à la gendarmerie pour tester leur alcoolémie après… » Il refait en vain en 2020 un nouveau signalement auprès des dirigeants, sur la base de ces nouveaux documents. Et en 2021, la médecine du travail relève une inaptitude de niveau 2 le concernant, soit une interdiction de travailler.
Il a beau écrire à la police, à la préfecture et au ministère du Travail pour signaler les infractions qui mettent en danger les usagers des transports, personne ne lui répond. « La page je ne la tournerai pas, livre-t-il la voix étranglée, extrêmement affecté d’avoir été empêché de faire son travail correctement. Ils voulaient à tout prix des conducteurs derrière les volants, un point c’est tout. »
« Les mêmes problèmes reviennent »
A écouter le président de région : « L’histoire est ancienne et réglée […] en tout cas toutes les mesures ont été prises pour éviter les rechutes. » Ce n’est pas la version de Frédéric Blaud, l’actuel délégué syndical UNSA chez Trans-Landes. « Il y a beaucoup de cas d’épuisement professionnel chez Trans-Landes, nous livre-t-il. Ici, quand ils veulent se séparer de quelqu’un, ils mettent le paquet. »
Ce représentant syndical est aux premières loges puisqu’il a un rôle d’accompagnement vis-à-vis des employés. Le taux d’absentéisme, proche de 10 %, a provoqué un contrôle de la Sécurité sociale qui relève l’exposition à des risques psychosociaux dans son rapport. « La Carsat suggère de renforcer et d’améliorer les procédures en place, commente Sophie Izoulet, la directrice de la RRTL, auprès de 20 Minutes. L’amélioration de ces procédures se réalise en partenariat avec la psychologue de la Carsat. Le comité de pilotage est en cours de création. »
Une alarme sociale a été déposée le 2 avril dernier et depuis deux ans, il dénonce des problèmes de « management » et de « fonctionnement général de l’entreprise ». Frédéric Blaud énumère des cas récents de burn-out qui concerne « toutes les strates de la société », y compris les agents de maîtrise. « Les conducteurs ne sont pas assez nombreux alors on sollicite d’autant plus ceux qui sont en place, analyse-t-il. Les journées de travail ont une amplitude étendue, de 6 heures à 20 heures avec des coupures entre les deux. » Selon cet élu, « dès qu’il y a un salarié qui a un problème cela devient gênant ».
Philippe Fin en a fait la douloureuse expérience. En 2008, il est victime d’un infarctus « en plein boulot ». On lui pose un premier stent puis un deuxième en 2013. « Je ne me sentais plus capable de conduire sereinement, alors j’ai demandé un poste de contrôleur que j’ai décroché, mais mon chef de secteur m’a affecté à l’imprimante, lâche Philippe Fin. Je ne suis pas sorti pendant trois mois. » Après, il essaye de faire de son mieux, mais sans formation et avec des horaires qui nuisent à sa santé. « Après 26 heures de travail consécutives, j’ai eu un accident », lâche-t-il.
S’ensuit un entretien de rétrogradation avec un supérieur qui l’a détruit. « Il m’a dit : « Je te remets roulant et c’est non négociable ». Il m’a pété dans la tête ce mot-là « non négociable ». J’ai été un peu conducteur, avant d’être arrêté par mon médecin pour dépression. » Il a été licencié pour inaptitude et sera bientôt à la retraite. De guerre lasse, il a renoncé à saisir la justice.
« Ils se savent protégés par les politiques »
La région possède 51 % des actions de Trans-Landes, le reste revenant à des communautés d’agglomérations. C’est une entreprise publique fondée par le socialiste Henri Emmanuelli, avec des contrats de droit privé pour les salariés. Philippe Cazalet qui a été élu délégué du personnel, secrétaire du CE, secrétaire du CHSCT, membre du conseil administration et délégué syndical de la CFDT connaît bien les rouages de l’entreprise.
« J’ai combattu ces gens de 2015 à 2022, raconte-t-il. On a toujours eu l’impression que ce qui se passait c’était « no limit » parce que les gens savent qu’ils sont protégés par les politiques. » Il a accompagné de nombreux salariés en souffrances et organisé le 7 décembre 2016 un CHSCT extraordinaire, qui fait notamment état du cas de Florian Deygas dont le poste n’est pas adapté malgré les consignes de la médecine du travail relatives à sa sclérose en plaques.
« Depuis 2015, je n’ai pas arrêté d’alerter les autorités », se souvient-il. Le directeur de la régie lui promet une réunion qui n’aura jamais lieu et la région lui rétorque qu’elle ne peut pas s’immiscer, sauf pour des raisons de sécurité. « Je lui parle alors des conduites sans permis et des gens qui conduisent bourrés, rapporte Philippe Cazalet. Je fais état du cas d’un conducteur qui part depuis chez lui avec le véhicule, pour économiser le carburant, et qui pour le faire démarrer à 8 heures fait souffler sa femme à l’éthylotest antidémarrage. Et après, il part faire la tournée des écoles… » Mais quand il s’arrête un peu trop longtemps au dépôt de Saint-Vincent-de-Paul pour y prendre un café, ce conducteur ne peut pas redémarrer, car au bout de 30 minutes, il faut souffler de nouveau dans l’éthylotest. C’est un test pratiqué alors avec un éthylomètre portatif qui a montré qu’il était positif.
Il évoque aussi dans des courriers qu’il précise « courtois et circonstanciés » adressés à la région, la consommation de stupéfiants de certains conducteurs ou mécaniciens et les permis invalides, sur lesquels alertait aussi Jésus Martins. « « Si vous continuez à nous écrire, nous allons classer vos mails dans les indésirables », m’a-t-on répondu. C’est du délit d’entrave, j’étais représentant du personnel. »
« Quand j’étais au conseil d’administration de la régie, Frédéric Blaud a demandé une expertise financière de la boîte par une entreprise extérieure, dont la conclusion était qu’il fallait réagir d’ici deux ans, rapporte encore Philippe Cazalet. Ils ont refusé de recapitaliser mais dans le même temps, il y avait des 2.000 euros d’augmentation [par mois] pour les dirigeants… »
Un ancien salarié, qui souhaite garder l’anonymat, parle aussi de « copinage » et de « grande famille » avec des membres « qui se protègent entre eux ». Il confirme les augmentations conséquentes pour les cadres dirigeants « tandis que les ouvriers sont à 1.600 euros ». Il va contester en justice un licenciement qu’il juge abusif, après dix ans passés dans l’entreprise.
Toutes nos infos sur la sécurité routière
Pour l’actuel élu Frédéric Blaud, il n’est pas possible de patienter sans rien faire, le temps que la justice fasse son travail. « On va essayer de régler les problèmes par le dialogue, c’est la seule solution pour les risques psychosociaux, souligne-t-il. Mais il nous faut aussi le soutien d’organismes extérieurs, comme l’a fait la Carsat. »