Affaire Le Scouarnec : le préjudice juvénile est enfin reconnu.
Marlène fait partie des nombreuses victimes de Joël Le Scouarnec, condamné à vingt ans de prison en mai dernier. Le 12 décembre, la juridiction de Vannes a rendu ses premiers arrêts concernant les demandes d’indemnisations des victimes.
On lui a volé son enfance, son adolescence, et sans doute toute sa vie. Marlène* fait partie des nombreuses victimes de Joël Le Scouarnec, condamné à vingt ans de prison en mai dernier. À 13 ans, alors qu’elle n’était qu’une enfant, elle a été violée par l’ancien chirurgien alors qu’elle dormait. Elle n’en garde aucun souvenir. Mais son corps, lui, s’en souvient. Depuis ces événements, elle a sombré dans la dépression, a été hospitalisée et a connu des périodes de privation de nourriture. Adolescente, elle fait des cauchemars constamment, n’arrive pas à mener une vie normale et a même tenté de se suicider. Elle prend de nombreux médicaments « pour tenter de survivre », puis sombre dans la drogue et finit par être placée en foyer.
Lors du procès devant la cour criminelle du Morbihan, Marlène a eu le courage de parler de ses souffrances, mais aussi de son enfance torturée. « Je sais aujourd’hui que je ne suis pas folle. L’accusé ne m’a pas seulement violée, il a aussi volé ma mémoire et brisé ma jeunesse », a-t-elle déclaré. Pourra-t-elle obtenir réparation pour cette enfance perdue ? C’est ce que réclament plusieurs avocates des parties civiles, et la cour criminelle du Morbihan a entendu leurs demandes.
Le 12 décembre, le tribunal de Vannes a rendu ses premiers arrêts concernant les demandes d’indemnisation des victimes. Il a notamment requis que les médecins en charge des expertises analysent le fameux « préjudice juvénile ». « Cela veut dire qu’ils devront évaluer si les victimes ont été privées des plaisirs de leur jeunesse », résume Me Louise Aubret-Lebas.
L’avocate de Vannes, qui défend plusieurs victimes, estime que ses clients ont vécu « quelque chose de particulier » qui dépasse les notions de « souffrances endurées » et de « déficit fonctionnel temporaire » traditionnellement indemnisé. « Ce n’est pas une jeunesse normale. C’est une jeunesse abîmée. Les victimes, qu’elles se souviennent des faits ou non, elles portent en elles quelque chose qui a été détruit. L’enfance est une période d’insouciance, où chacun se construit. Là, tout a été bouleversé. »
La reconnaissance d’un préjudice juvénile ne constituerait pas une première dans l’histoire du droit français. Cette notion avait été évoquée en 1959, mais n’avait pas été abordée depuis une décision du tribunal judiciaire de Béthune en mars 2025, rappelle Me Caroline Derême dans un article sur ce préjudice particulier.
En plaidant pour cette reconnaissance lors d’un procès aussi emblématique que celui de Joël Le Scouarnec, Me Louise Aubret-Lebas espérait qu’il établirait une jurisprudence pour d’autres victimes. C’était aussi l’occasion de rappeler que la parole des plus jeunes n’est pas toujours bien entendue par la justice. « On a plus de mal à bien indemniser les enfants », reconnaît l’avocate spécialisée en droit du dommage corporel. Pour un adulte, il est plus facile d’évaluer une baisse de salaire, une perte d’emploi ou des frais de soins. Mais pour un enfant, c’est différent.
Aux côtés de sa consœur Me Cécile Bigre, l’avocate bretonne avait aussi plaidé pour la reconnaissance d’un préjudice lié à un crime en série, estimant que les victimes de Joël Le Scouarnec avaient souffert du caractère « exceptionnel » de cette procédure. Six mois après le verdict et en attendant d’éventuels autres procès, les victimes continuent de souffrir. La reconnaissance de ces préjudices spécifiques pourrait les apaiser.
* Le prénom a été modifié.

