Affaire Kevin et Leslie : Pas d’encre dans le fax, faute de frappe ou délais dépassés… La hantise du vice de procédure

De la colère, bien évidemment, mais aussi beaucoup d’incompréhension. Mardi, les proches de Kevin et Leslie ont appris que l’un des principaux suspects du double assassinat, Nathan B., s’apprêtait à être remis en liberté à la faveur d’un vice de procédure. Son avocate n’a, en effet, pas reçu de convocation pour un débat devant le juge des libertés et de la détention qui devait statuer sur le renouvellement du mandat de dépôt. Conséquence directe de cette erreur administrative : il a été relâché peu après et placé sous contrôle judiciaire jusqu’à son procès. « Il n’est pas impossible qu’il retourne en détention avant. Au moindre écart de son contrôle judiciaire, il peut être réincarcéré », anticipe une source judiciaire.
Un vice de procédure, c’est tout acte qui n’est pas conforme au code de procédure pénale. Cela peut être une garde à vue ou une perquisition qui n’a pas été menée dans les règles. Une erreur de date. Un délai non respecté. Cet été, par exemple, un homme soupçonné d’avoir participé à l’importation près de deux tonnes de cocaïne a été libéré sous contrôle judiciaire car sa demande de remise en liberté n’avait pas été traitée dans les vingt jours, comme le veut la procédure. Parfois, tout part d’une une faute d’inattention. En 2008, un violeur multirécidiviste a été remis en liberté à cause d’une faute de frappe dans l’arrêt de la cour d’appel : au lieu d’écrire que la cour confirmait la décision, il était écrit qu’elle « l’infirmait ». Dans certains cas, la raison semble plus absurde encore. En 2014, le principal suspect d’un meurtre a été remis en liberté car un fax envoyé n’est jamais arrivé dans le bureau du juge des libertés et de la détention. En cause : il n’y avait plus d’encre dans la machine.
« Une justice rigoureuse et non-arbitraire »
Dans ces affaires, c’est souvent le sentiment de disproportion entre l’erreur commise et sa conséquence qui choque. Pour autant, le respect de la procédure est indispensable au bon fonctionnement de la justice. « Ces règles sont nécessaires car elles garantissent les libertés fondamentales, la présomption d’innocence et le respect des droits de la défense », insiste Judith Allenbach, présidente du Syndicat de la magistrature. Et d’insister : « le fait qu’une garde à vue ne puisse pas se faire dans n’importe quelle condition, qu’une personne doive recevoir sa convocation dans les délais pour préparer sa défense ou qu’elle sache qu’elle peut garder le silence… tout cela permet de garantir une justice rigoureuse et soucieuse d’éviter l’arbitraire. »
Les erreurs de procédure n’entraînent d’ailleurs pas systématiquement des conséquences importantes. Il arrive régulièrement qu’une pièce soit considérée comme nulle sans que cela fasse vaciller la procédure. Mais lorsqu’une liberté fondamentale est en jeu, alors les conséquences peuvent être importantes. Cela peut être, comme ici, un mis en examen qui retrouve la liberté jusqu’à son procès. Parfois, c’est toute une partie de la procédure qui « tombe », au grand dam des parties civiles. Parmi les cas les plus emblématiques, l’affaire Grégory. En 2018, trois mises en examen – celles des époux Jacob et de Murielle Bolle – ont été annulées car la juge d’instruction n’était pas habilitée pour cela. « Forcément, tous les magistrats, les greffiers savent qu’une erreur peut avoir des conséquences importantes. On pense toujours aux victimes, aux familles. On sait bien que pour elles, c’est inaudible », insiste un magistrat.
Procès annulé
Dans certains cas, il peut arriver qu’un procès soit tout bonnement annulé. Parce que l’arrêt rédigé par le président de la cour n’est pas conforme. En janvier, par exemple, la Cour de cassation a estimé que Guerri Jehannon, un homme condamné en appel à trente ans de réclusion pour le meurtre d’une jeune femme, devait être rejugé car il manque un mot dans les infractions retenues par le président. Plus récemment encore, le 26 février, c’est le procès de Nicolas Zepeda, condamné en appel à vingt-huit ans de réclusion criminelle pour l’assassinat de sa petite-amie japonaise qui a été annulé à cause de la déposition d’un enquêteur pendant l’audience, considérée comme un nouvel acte d’enquête. Certes, l’homme reste en prison, mais pour la famille de victime, la perspective d’un troisième procès – et donc d’un nouveau face-à-face – est difficile à supporter.
« Faire respecter la procédure, ce n’est pas une pression, c’est notre cœur de métier », tient toutefois à préciser un magistrat. S’il reconnaît que faire une erreur aux conséquences dommageables est une hantise, il rappelle que la complémentarité entre les magistrats et les greffiers permet justement de les limiter. « La pression, elle ne vient pas du code de procédure pénale, mais plutôt de nos conditions de travail et d’une accélération du rythme », abonde Judith Allenbach. Et de pointer le manque d’effectifs qui entraîne une surcharge de travail, et donc un risque d’erreur accru. « C’est valable pour nous, mais également pour les policiers touchés de plein fouet par la casse de la PJ ».