France

Affaire Garrido-Corbière : Au tribunal, le procès d’un « accident journalistique lourd »

Au tribunal judiciaire de Paris,

C’est le procès de la faillite du journalisme. Celui d’Aziz Zemouri, un fait-diversier intoxiqué par l’une de ses sources, persuadé de tenir un scoop sur un couple d’élus de gauche, Raquel Garrido et Alexis Corbière. Celui du Point, un magazine prestigieux dirigé par Etienne Gernelle, qui a publié imprudemment un article bancal contenant des informations erronées que son auteur n’avait pas pris soin de vérifier. Les deux hommes devaient comparaître, ce vendredi, devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Représentés par leurs avocats, l’ex grand reporter et son ancien employeur n’ont pas cru bon de venir expliquer à la barre la genèse de cette fake news.

En leur absence, la présidente du tribunal résume le dossier. Le 21 juin 2022, l’hebdomadaire publie sur son site Internet un article portant la mention « Exclusif », intitulé : « L’employée sans papiers de Raquel Garrido et Alexis Corbière ». Le journaliste Aziz Zemouri, qui signe dans le magazine depuis 2007, raconte que le couple de parlementaires exploite une femme de ménage sans papiers d’origine algérienne qu’ils auraient « soumise à des cadences infernales ». L’article relatait également que les députés, résidant à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), scolarisaient leurs enfants à Paris.

Un « accident industriel »

Confrontés à ces accusations, Raquel Garrido et Alexis Corbière publient dans la foulée un communiqué dénonçant « un ramassis de mensonges ». « Tout est faux », soulignaient-ils. A la rédaction du Point, le doute s’installe. Et dès le lendemain, le journal retire l’article en admettant publiquement son caractère « faux » et « mensonger » et présente ses excuses au couple. L’affaire, qui jette l’opprobre sur toute la profession, fait grand bruit. Sur Europe 1, Etienne Gernelle compare cette affaire à un « accident industriel ». Il tente de défendre l’hebdomadaire en faisant porter le chapeau à Aziz Zemouri, un journaliste qui « a perdu la raison, a fait n’importe quoi et a enfumé sa hiérarchie ».

Raquel Garrido et Alexis Corbière déposent une plainte. Aux enquêteurs de la Brigade de répression de la délinquance à la personne de la police judiciaire, Aziz Zemouri raconte avoir été dupé par l’une de ses sources qui lui a donné le tuyau. Il s’agit de Noam Anouar, un ancien policier détaché à la mairie de Drancy (Seine-Saint-Denis), ville dont la maire est Aude Lagarde. Cette dernière n’est autre que l’épouse de Jean-Christophe Lagarde, alors candidat UDI aux élections législatives opposé à Raquel Garrido. Lui, son ex-chauffeur, Rudy Succar, et Noam Anouar ont depuis été mis en examen, notamment pour escroquerie en bande organisée, dans cet autre volet de l’affaire.

Le Point, un « tabloïd »

Mais ce vendredi, seuls Aziz Zemouri et Etienne Gernelle comparaissent pour diffamation. A la barre, toute de beige vêtue, Raquel Garrido raconte cette campagne électorale menée dans « un contexte de très forte adversité ». Elue député LFI de la Seine-Saint-Denis, elle se trouvait à l’Assemblée nationale lorsqu’elle a reçu, sur son téléphone, la notification du Point. « J’aurais chez moi une Algérienne de 36 ans qui serait mon esclave et que je maltraiterais », se souvient-elle. Après avoir lu ce « portrait de quelqu’un de monstrueux », celle qui s’est engagée en politique pour « défendre la situation des personnes vulnérables » est « en état de choc ». « C’était une sorte d’addition de choses qui me détruisait par rapport à tout ce que j’étais à la façon dont j’organise ma vie », résume-t-elle.

Le couple décide de répondre « point par point » à ces accusations en rédigeant un communiqué. Mais leurs adversaires « se sont jetés dessus de façon très rapide ». Trois ans après, l’ancienne députée remarque d’ailleurs que ces informations, pourtant largement démenties, circulent toujours sur les réseaux sociaux. Raquel Garrido se dit « blessée » par l’absence, ce vendredi, des deux prévenus qui doivent lui « rendre des comptes ». Elle en veut à Etienne Gernelle et regrette « que Le Point et son actionnaire continuent de lui faire confiance ». « Normalement, plus personne ne devrait adresser la parole au Point, il devrait être classé dans la catégorie des tabloïds. » Elle en veut à Aziz Zemouri « qui se considère comme victime » alors qu’il s’est laissé manipuler. « Avec gourmandise quand on voit la tonalité de l’article », observe-t-elle.

Zemouri « ne doit plus être journaliste »

Pour rétablir la vérité, Raquel Garrido a invité à son domicile un journaliste du site Mediapart. Photos de classe, certificats de scolarité… « On lui a tout montré, parce qu’on n’avait pas le choix, parce qu’il fallait donner des éléments factuels à cette ignominie publiée sur nous. Mais ça nous a coûté, car même en politique, on a le droit à une vie privée », clame-t-elle en sanglotant. « Ce n’est pas normal, mais je l’ai fait parce que je n’avais pas d’autres issues. »

Veste marine, chemise bleu clair, Alexis Corbière a vécu la publication de cet article mensonger comme « une agression ». Il estime qu’Aziz Zemouri « ne doit plus être journaliste, il ne sait pas faire ce métier ». « Leur travail n’est pas de réceptionner de l’information mais de la vérifier », souligne-t-il. Pour lui, Le Point a vu dans le scoop apporté par son journaliste l’occasion de s’attaquer à des « gens de gauche » qui seraient, pour l’hebdomadaire, « des pourris » de « mauvaise foi ».

« Les vérifications minimales n’ont pas été faites »

Cet article, plaide son avocat, était « du pain béni pour la direction » du magazine car il « vient valider une orientation idéologique », affirme l’avocat du couple, Me Xavier Sauvignet. « Les vérifications minimales n’ont pas été faites », martèle-t-il, ajoutant que Le Point publication « n’a tiré aucune conséquence de ce qui s’est passé et a enterré l’affaire ». Pour chacun de ses clients, il demande 15.000 euros de dommage et intérêts. Il réclame aussi que soit mentionné, dans la version papier du magazine et sur son site Internet, un encart faisant état de sa condamnation dans cette affaire.

« Les faits sont extrêmement clairs », estime pour sa part le procureur. Il pointe « une enquête qui n’était pas suffisamment sérieuse » et « un manquement à la prudence » de la part du magazine qui a publié sur son site « de fausses allégations ».

Une « publication tout à fait catastrophique »

« Il s’est fait avoir ! Tout a été fabriqué pour que ça ressemble à quelque chose qui soit totalement vrai », soutient Me David-Olivier Kaminski, l’avocat d’Aziz Zemouri. Son client, dit-il, est un journaliste « qui est connu de tous pour sa probité professionnelle » bien qu’il ait été condamné cinq fois entre 2014 et 2023 pour diffamation. Il n’y avait « aucune malveillance » lorsqu’il a écrit cet article. « Même les meilleurs se font avoir », conclut Me Kaminski, demandant « purement et simplement » la relaxe de l’ancien grand reporter.

L’avocat du Point, Me Renaud Le Gunehec, préfère faire profil bas. « Depuis deux ans, j’attends cette audience avec une certaine résignation », explique-t-il. « L’information publiée par Le Point était terriblement fausse, personne ne contesterait qu’elle était diffamatoire, elle a été retirée en moins de 24 heures avec des excuses, des explications », ajoute-t-il. Me Renaud Le Gunehec reconnaît qu’il s’agissait d’une « publication tout à fait catastrophique », « un accident journalistique lourd ». « Que puis-je vous dire d’autre ? »

La décision a été mise en délibéré au 12 mai prochain.