France

Affaire Bétharram : Comment la justice pourrait contourner la prescription

Une course contre la montre et une plongée dans le temps. Tel est le paradoxe de l’affaire Bétharram, cette tentaculaire enquête de violences physiques et sexuelles au sein de cet établissement catholique des Pyrénées-Atlantique. Près d’un an après l’ouverture, par le parquet de Pau, d’une enquête préliminaire, deux hommes, âgés de 59 et 69 ans sont en garde à vue depuis mercredi. Ils sont entendus pour des faits de violences, viols et agressions sexuelles aggravées entre 1957 et 2004.

Un troisième homme, âgé de 93 ans, a été libéré ce jeudi. Une avancée majeure saluée par les familles des victimes qui ne prédit toutefois pas de l’issue du dossier. Car dans cette affaire la question de la prescription est centrale. C’est même l’un des enjeux de l’enquête préliminaire : déterminer si certains faits ne sont pas prescrits et pourraient un jour, s’ils sont suffisamment étayés, donner lieu à des poursuites.

Des faits commis entre les années 1950 et 2010

Le collectif de victimes de Bétharram a recensé à ce jour 132 plaintes – le parquet, lui, évoquait début février le chiffre de 112 – pour des faits qui auraient été commis entre les années 1950 et le début des années 2010. Pour chacun des faits allégués, il convient d’analyser s’il est prescrit ou non. Une tâche titanesque puisque le délai varie en fonction de l’époque des faits. « C’est ce qu’on appelle le principe de non-rétroactivité, une loi ne peut s’appliquer à des faits antérieurs à sa promulgation », précise Me Carine Durrieu Diebolt, membre de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.

Les viols, par exemple, étaient jusqu’en 1989 prescrits au bout de dix ans, que la victime soit ou non majeure. Aujourd’hui, le délai de prescription pour un viol sur mineur est de trente ans à partir de la majorité. Entre-temps, pas moins de six lois sont passées pour étendre ce délai. Pour les agressions sexuelles sur mineur, le délai est désormais de vingt ans à la majorité. Il était de trois ans à partir des faits jusqu’en 1994.

Prescription glissante

Un principe, toutefois, pourrait changer la donne : la « prescription glissante », introduite dans la loi d’avril 2021. Cette notion, qui ne s’applique qu’aux crimes et délits de nature sexuelle visant des mineurs, prévoit une prolongation de la prescription si la même personne récidive dans un délai non prescrit. « Il s’agit d’un allongement de la période de prescription qui permet de mieux prendre en compte la question de la sérialité dans les affaires pédocriminelles », poursuit l’avocate. En clair : si les magistrats parviennent à établir que certains faits de viols ou d’agressions sexuelles n’étaient pas prescrits en 2021 – au moment où la loi a été promulguée – des faits plus anciens impliquant le même auteur pourraient alors être rattachés.

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Quid des violences physiques qui constituent l’immense majorité des plaintes ? Si la prescription glissante ne peut s’appliquer puisqu’il ne s’agit pas d’un crime sexuel, il existe, dans la jurisprudence, un principe de « connexité », souligne Me Durrieu Diebolt. Si des faits prescrits s’inscrivent dans un lien précis avec d’autres faits – notamment s’il s’agit du même auteur, du même mode opératoire – un acte d’enquête, notamment une plainte, peut interrompre la prescription. Conscient des difficultés que pose l’affaire, le collectif de victimes estime qu’une poignée de plaintes ne sont pas prescrites. Si tel est le cas, une information judiciaire, confiée à un juge d’instruction, pourrait alors être ouverte.