Affaire Bétharram : « Ce n’est pas terminé… » Les victimes partagées entre soulagement et déception après les avancées de l’enquête
«Je suis épuisé par un an de combat… » Lorsqu’on le sollicite pour lui demander une réaction aux dernières avancées judiciaires de l’enquête sur Notre-Dame-de-Bétharram (Pyrénées-Atlantiques), Olivier, 55 ans, nous répond par écrit que la levée de la garde à vue de son « bourreau », vendredi dernier, lui a mis un coup derrière la tête. « Je suis en arrêt maladie depuis lundi matin, pour choc post-traumatique, car mon violeur a été libéré à cause de la prescription… » poursuit-il.

Son « bourreau », c’est le fameux surveillant général surnommé « Cheval » à Bétharram, personnage central de l’affaire, dont le nom est régulièrement évoqué parmi les dizaines de témoignages de victimes. Violence, coups, baisers forcés, et agressions sexuelles, les griefs à son encontre sont nombreux.
Le surveillant « réfute fermement la totalité des faits de nature sexuelle qui lui [sont] reprochés »
Aujourd’hui âgé de 70 ans, ce surveillant général a été placé en garde à vue la semaine dernière des chefs de viol sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité commis entre 1985 et 1989 au préjudice d’une victime, d’agressions sexuelles sur mineurs de quinze ans par personne ayant autorité commis de 1978 à 1989 au préjudice de 18 victimes, et violences volontaires sur mineurs de quinze ans commis de 1985 à 1989 au préjudice de 55 victimes.
« Durant ses auditions, il reconnaissait avoir pu porter des gifles à certains élèves dans le cadre de corrections, indique le procureur de la République de Pau, Rodolphe Jarry. Il contestait en revanche avoir infligé les châtiments décrits par les victimes et réfutait fermement la totalité des faits de nature sexuelle qui lui étaient reprochés. » Au final, « l’ensemble de ces délits étant intégralement prescrits », il a été laissé libre à l’issue de son audition, vendredi dernier.
« Pourquoi a-t-il été libéré ? »
« Depuis samedi je ne suis pas bien, je tremble » nous explique Olivier au téléphone, après avoir accepté de nous rappeler. « Je ne comprends pas, poursuit-il. Je savais qu’il y avait prescription étant donné mon âge, mais la gendarmerie avait fini par m’apprendre que je bénéficiais d’une prescription glissante, de ce fait pourquoi a-t-il été libéré ? Le fait de le savoir dehors, alors qu’il a reconnu la moitié des actes, je n’accepte pas. On a été plus de 75 à avoir été abîmés par ce mec-là. »
Olivier a été scolarisé à Bétharram entre 1981 et 1983, alors qu’il avait entre 11 et 13 ans. « « Cheval » était un des plus tyranniques, nous assure-t-il. Il avait ce surnom à cause de sa mâchoire carrée et de sa démarche. Il sévissait notamment dans l’internat la nuit, à l’abri des regards. C’est lui aussi qui nous punissait durant des heures à genoux sur le perron, nous infligeant des blessures. Puis à l’infirmerie il « réparait » ses méfaits. C’est là qu’il me soignait, et s’adonnait à des actes terribles, à m’embrasser de force le sexe », accuse-t-il. Avant de lâcher : « C’était le plus sadique. »

Patrick M. « aimait regarder la violence »
20 Minutes a également contacté Adrien Honoré, que nous avions rencontré en septembre dernier. Ce Bordelais de 34 ans a fréquenté Bétharram entre 2003 et 2005, et dénonce des faits de violence de la part de surveillants, et d’agressions sexuelles entre élèves. L’un de ses « bourreaux », le surveillant dénommé Patrick M., aujourd’hui âgé de 60 ans, est le seul des trois individus placés en garde à vue, à avoir été mis en examen, des chefs de viol par personne ayant autorité entre 1991 et 1994 et agression sexuelle sur mineur de quinze ans en 2004. Il a depuis été placé en détention provisoire.

« Patrick M. était un de mes agresseurs, nous raconte Adrien Honoré. Il m’a mis de nombreuses baffes, et on se faisait casser la gueule devant lui aussi ; il aimait regarder la violence. Une fois, j’ai voulu jouer à un jeu sur son ordinateur, et il a commencé à me caresser. Je me suis barré tout de suite, et ce n’est pas allé plus loin. J’ai eu de la chance. »
Satisfait que son bourreau « dorme en prison »
Il se dit évidemment satisfait que « Patrick M. dorme aujourd’hui en prison », mais s’interroge sur le cas de « Cheval ». « Effectivement, on peut se poser des questions concernant cette histoire de prescription. Il faut respecter l’état de droit, et je pense que la justice avance de manière prudente sur des faits qui remontent à 20, 30 ou 40 ans, mais c’est malheureux pour les victimes, qui se victimisent encore plus en se disant qu’elles auraient dû se réveiller plus tôt. »
Il estime toutefois que le placement en garde à vue de trois personnes la semaine dernière, représente « une avancée ». « En septembre dernier on ne parlait pas du tout de gardes à vue, et encore moins de mise en examen. Et tout cela n’est pas terminé. Les investigations se poursuivent concernant cet individu, sur ce qu’il aurait pu faire ailleurs, après Bétharram, car on a du mal à penser qu’il se soit arrêté du jour au lendemain. Donc on verra. »
« J’ai recommencé à faire des cauchemars »
« J’ai recommencé à faire des cauchemars, cinquante ans après, confie de son côté Frédéric B.S, 64 ans, arrivé en 1970 à l’âge de neuf ans au pensionnat de Bétharram. On n’a jamais reconnu mon statut de victime, voilà pourquoi cela recommence. » Il a déposé plainte récemment pour agression sexuelle et échange quotidiennement avec les autres anciens pensionnaires victimes de violences qui ont « pris perpète ».
« Avoir vu « Cheval » en garde à vue, ça a soulagé beaucoup de gens, même s’ils ont été forcément déçus qu’il ait été relâché », dit-il. Lui n’a pas été agressé par le surveillant général mais par un ancien aumônier militaire, qui vivait dans la maison de retraite voisine de l’établissement scolaire. Un week-end de mai 1971, on lui demande d’aller lui tenir compagnie. « C’est de la charité chrétienne », lui explique-t-on. Il subit des attouchements dont il ne conserve pas de souvenir clair. « J’ai un voile noir sur ça, encore aujourd’hui », livre-t-il.
Epais brouillard
Nicolas B, 44 ans, n’attend, pour sa part, « pas grand-chose de la justice » mais veut « que l’Etat prenne ses responsabilités ». « Il doit protéger les citoyens et les enfants en sont. » Envoyé à Bétharram à l’âge de 11 ans, il a déposé plainte dimanche pour des violences physiques qu’il a subies de la part d’un surveillant. « Je le fais pour que d’autres gamins ne subissent pas cela », lâche-t-il. Parmi les violences qu’on lui inflige entre 1991 et 1996, des coups de poing sur le crâne, une gifle si violente qu’il s’urine dessus, et des cheveux arrachés au-dessus des oreilles. Le surveillant soufflait alors sur la touffe « comme les cow-boys après un coup de revolver », se souvient le quadragénaire.
Notre dossier sur l’affaire Bétharram
En écoutant des témoignages, il a aussi une douloureuse réminiscence. Une victime raconte qu’un père le faisait asseoir sur ses genoux, et lui donnait une enveloppe contenant un billet, après l’avoir tripoté. « L’enveloppe et le billet, c’est sûr que je les ai eus », confie Nicolas, même s’il n’a pas porté plainte pour ces faits, encore enveloppés d’un épais brouillard. A ce jour, l’enquête fait état de 140 dénonciations pour des violences sur un demi-siècle, dont près de 70 relatives à des faits d’ordre sexuel.