France

A peine installé, le nouveau feu jaune piéton laisse indifférent

« J’y ai fait attention les premiers jours, par jeux, mais maintenant je ne le vois même plus », explique Céline. Devant, elle, un feu jaune piéton, une nouveauté expérimentée à Strasbourg. « C’est bien, mais ce n’est pas très utile, explique paradoxalement Julien. De toute façon, je regarde s’il n’y a personne et je traverse. » Nouvellement installé sur deux carrefours de la capitale alsacienne et très prochainement sur un troisième, allée de la Robertsau, le feu jaune piéton, autorisé par un décret du 29 avril dernier, est expérimenté pour une période de deux ans dans six villes de France. A savoir Metz, Nancy, Nantes, Nice, Strasbourg, Toulouse. Deux modèles existent : un clignotant et l’autre fixe.

Ce nouveau dispositif, pour qui Strasbourg a poussé fortement à la roue, « vise à réduire les accidents », souligne Yves Laugel, directeur du Service de l’information et de la régulation automatique de la circulation (Sirac), rappelant que « sur Strasbourg en 2022, 57 piétons ont été blessés dont une vingtaine sur une traversée piétonne ».

« J’ai vu quelque chose qui clignotait alors j’ai accéléré »

Cette ville à qui l’on doit déjà l’inscription au Code de la route du cédez le passage cycliste aux feux tricolores, le boîtier décompte temps pour les piétons ou bien encore le coffret mixte piéton vélos est l’une des premières qui a réellement mis en place ce feu jaune piéton dès le décret publié. Cette nouvelle signalisation jaune semble, après dix jours d’exploitation, déjà bien « oubliée » et donc pas souvent respectée, voire pas du tout à ce que nous avons pu constater.

Bon nombre de piétons s’engagent sur le passage alors que la lumière jaune clignote depuis plusieurs secondes, quand elle n’est pas déjà rouge… « J’ai vu quelque chose qui clignotait alors j’ai accéléré, mais c’est pareil que le rouge et vert, ça ne change rien », explique Batoul. « C’est très positif », assure tout de même Halil qui « connaît bien » ce feu jaune pour l’avoir « vu sur des vidéos ». Mais la tendance chez les Strasbourgeois rencontrés par 20 Minutes, c’est surtout que « c’est utile, mais pour les autres qui ne font pas attention », comme l’explique Bruno avant de s’engager alors que le signal est… rouge. « C’est bien pour les enfants, pour leur apprendre à traverser », explique Hakimi, accompagnée de ses trois jeunes enfants. Elle précise tout de même qu’elle aimerait bien avoir un petit panneau explicatif, « pour bien comprendre ».

« On ne comprend pas si l’on doit avancer ou pas »

« Ça me permet de finir de traverser plus tranquille, je sais que j’ai le temps », a quant à lui compris Richard. Quel temps ? Rachida n’en a aucune idée. De toute façon, elle n’a « pas remarqué » que c’était nouveau : « J’ai vu que ça clignotait, alors j’ai traversé en courant, je ne savais pas combien de temps ça allait durer. » De son côté, Samira s’interroge : « On ne comprend pas si l’on doit avancer ou pas. Est-ce que le « jaune », ça veut dire que c’est encore « vert » ? Ce n’est pas bien clair. Faut juste laisser le rouge et le vert, les gens comprennent mieux. » Et les Strasbourgeois sont plusieurs à affirmer qu’ils ne savent pas exactement ce que cela signifie. « C’est toujours au jaune quand je passe, je croyais que le vert ne marchait plus, rigole Cédric. Que l’on est autorisé à traverser à condition d’être vigilant ».

Concrètement, le petit bonhomme vert passe au jaune pendant une dizaine de secondes, un temps calculé pour laisser au piéton déjà engagé de finir de traverser la route en toute sécurité avant le passage au rouge. Loin d’être convaincu, Hugo estime que c’est trompeur : « C’est serré, voire dangereux, estime le trentenaire. Il n’y a pas quelques secondes de rab une fois que c’est rouge piéton, comme sur les passages classiques. Au rouge piéton maintenant, c’est direct vert pour les voitures et ça déboule ». Ce que confirme Léa : « Il ne faut plus traîner au rouge, Je me suis fait surprendre, je n’ai rien compris. »

Strasbourg, qui a investi dans un premier temps près de 5.000 euros pour une dizaine de boîtiers prototypes, justifie cet investissement nécessaire. « Si l’on sauve seulement une vie dans l’année, ce n’est rien cet investissement, illustre Yves Laugel. Depuis des années, on a du mal à faire comprendre aux gens que lorsque le petit bonhomme passe au rouge, ils ont encore le temps de finir de traverser la chaussée sans mettre leur vie en danger. C’est dû à la réglementation, un certain nombre de contraintes et une subtilité du Code de la route peu connue ». Et le directeur détaille : « On sait qu’un piéton marche à la vitesse d’un mètre par seconde. Il y a donc un temps de sécurité qui est calculé, lors du signal rouge piéton, avant le passage au vert du feu tricolore. Mais souvent, les gens qui s’engagent à la dernière seconde se retrouvent en danger au milieu de la chaussée… Ce feu jaune finalement, remplace le temps de sécurité en donnant au piéton une information supplémentaire : il sait qu’il peut finir de traverser en toute sécurité et sans courir ou faire demi-tour. C’est la solution retenue par le ministère. Le but n’est pas qu’il commence à traverser au jaune clignotant, mais qu’il termine sa traversée sans se poser la question de savoir s’il va y arriver. »

De nouvelles enquêtes comportementales, de terrains, vont être faites dans les semaines à venir. La communication sera renforcée, si nécessaire, pour expliquer ce nouveau fonctionnement. « Il y a tout un accompagnement qui reste à faire, conclut Yves Laugel, pour que ce nouveau dispositif fonctionne bien et qu’au bout des deux années d’expérimentation, l’Etat puisse décider s’il doit être maintenu dans le Code de la route ou pas. »