À Lyon, 80 jeunes migrants dorment dans une église : « On n’a pas le choix, c’est une question de survie »
Camara Youssouf, âgé de 16 ans, a déclaré : « C’était vraiment une urgence, on ne pouvait pas faire autrement » lorsqu’il est entré dans l’église Saint-Polycarpe à Lyon, où jusqu’à 80 personnes ont pu dormir « dans la maison de Dieu » lors des deux dernières nuits. Depuis dimanche, l’église est fermée au public même pendant la journée pour éviter que des personnes mal intentionnées ne viennent, et la préfecture a rappelé qu’elle finance « 27.000 places d’hébergement d’urgence par an, pour 110 millions d’euros, soit + 150 % en dix ans ».
« C’était vraiment une urgence, on ne pouvait pas faire autrement », déclare Camara Youssouf. Il est 18h01 ce mardi soir, et ce jeune guinéen de 16 ans vient d’entrer dans l’église Saint-Polycarpe, située dans le 1er arrondissement de Lyon. « C’est notre maison depuis deux nuits », ajoute-t-il, à la fois soulagé et gêné.
Dimanche, après la messe, plus de 60 mineurs non accompagnés – la majorité étant en recours pour faire reconnaître leur âge et dormant depuis le 16 janvier 2025 dans le jardin des Chartreux, à proximité de l’église – se sont installés dans ce lieu de culte, avec l’aide du collectif Soutiens/migrants Croix Rousse. « On a décidé d’investir les lieux car il faisait -3 °C et vu l’état de santé des jeunes, il fallait agir », explique Albane, membre du collectif.
Après avoir dialogué avec le curé de la paroisse, l’archevêque Olivier de Germay a « décidé de ne pas demander l’intervention des forces de l’ordre », imposant des conditions d’accueil, comme l’accès à l’intérieur de l’église à partir de 18 heures. « Tout le monde doit être parti et tout doit être rangé et nettoyé à 9 heures », précise une bénévole. Au cours des deux dernières nuits, jusqu’à 80 personnes ont pu dormir « dans la maison de Dieu ».
Un toit, sans rats ni coupure d’électricité
« Moi, je m’installe là », dit Camara Youssouf en montrant un mur de l’église, près des bancs de prière, sous les coursives. Son « lit » consiste en des couvertures, rangées dans un sac de course. « Vers 22 heures, on place les matelas ou les couvertures, les uns à côté des autres », précise-t-il.
« Pour moi, en tant que chrétien, c’est un peu étrange de dormir dans une église… », confie Christ Jean, 17 ans, en prenant ses affaires au bas d’une chaire. Il poursuit : « Mais au moins ici, il n’y a pas de pluie, pas de rats, il fait un peu moins froid et il y a de l’électricité. Il n’y a pas de chauffage ni de toilettes, mais c’est toujours mieux que le campement. Même si c’est provisoire, on a l’impression qu’ici, on peut être en sécurité. » Il assure qu’il « n’a pas peur de mourir », mais qu’il s’inquiète « des maladies ».
La désillusion des jeunes mineurs non accompagnés
Junior, 15 ans, et Pedro, 17 ans, partagent les mêmes craintes que Christ Jean et Camara Youssouf. Il est 19h15 et ils reviennent tout juste de leurs cours au lycée de Pierre-Bénite, situé à près d’une heure de transport de l’église.
Quand on leur demande d’expliquer leur situation, ils baissent la tête en cherchant « les mots les plus justes ». « On n’habite pas dans l’église, c’est que pour la nuit. C’est compliqué, on ne peut pas manger, pas se laver, pas étudier, nos affaires sont au campement… On ne peut pas dire qu’on soit soulagés. Et d’un autre côté, on n’a pas le choix. Là, c’était vraiment une question de survie », s’exclament Junior et Pedro.
Avant de continuer : « Vous savez, depuis des mois, notre quotidien, c’est la rue. Quand nous sommes à l’école, nous ne pensons qu’à l’endroit où nous allons nous retrouver le soir. C’est très difficile de vivre dans ces conditions, surtout l’hiver… »
Éloignés de leur famille, que ce soit en Europe ou en Afrique, ces deux jeunes se demandent « s’ils arriveront à surmonter cette épreuve » lorsqu’on leur demande leurs espoirs pour l’avenir. « C’est terrible, mais je ne sais pas si un jour je vais être heureux après tout ça. Je n’arrive même plus à rêver, je veux juste un logement », murmure Pedro en glissant ses mains dans ses poches. Cela fait près d’un an qu’il attend une décision concernant sa demande de reconnaissance de statut. Chaque jeune a son propre parcours, mais tous ont fuie leur pays en quête d’une vie meilleure.
Une église fermée pour se protéger des personnes mal intentionnées
D’après le collectif, les jeunes pourront rester « jusqu’à ce qu’une solution pérenne d’hébergement soit trouvée ». En attendant, les paroissiens et les voisins témoignent d’une « belle solidarité », selon leurs dires. Toutefois, cette hospitalité n’est pas partagée par tous.
Ce mardi soir, un homme d’origine caucasienne s’est introduit dans l’église alors que des journalistes discutaient avec des jeunes, prétendant vouloir prier. Autorisé à entrer, il a filmé des personnes migrantes sans leur accord. L’un d’eux a alors pris son téléphone, lui demandant de supprimer les vidéos. Le ton est monté, et des bénévoles ont dû intervenir.
L’individu a finalement consenti à effacer les images. Avant de partir en faisant le signe de croix, il s’est adressé à Axelle Saint-Paul, responsable des solidarités du diocèse présente sur place : « Vous trouvez ça normal ? Ils [les jeunes] n’ont rien à faire là, ils n’ont qu’à rentrer chez eux s’ils ne supportent pas le froid. »
Depuis dimanche, l’église est fermée au public même pendant la journée. « C’est pour cette raison que l’église est fermée même entre 9 heures et 18 heures. On veut éviter que des personnes mal intentionnées et agressives ne viennent », a déclaré un membre de la paroisse. Pour Axelle Saint-Paul, « c’est l’ADN de l’Eglise d’accueillir les plus vulnérables et d’ouvrir ses portes aux plus pauvres de façon inconditionnelle ». L’archevêque souligne cependant que « cet accueil n’entend pas se substituer aux décisions des responsables politiques de notre pays ».
Pas de commentaire du côté des autorités
Pour l’heure, aucune mesure n’a été adoptée par les autorités. La préfecture n’a « aucun commentaire à faire à ce stade », tout en rappelant qu’elle finance « 27 000 places d’hébergement d’urgence par an, pour 110 millions d’euros, soit + 150 % en dix ans ». Concernant le campement des Chartreux, elle précise que « plusieurs équipes mobiles interviennent sur site » et qu’« un accueil de jour est financé par l’Etat pour recevoir ces jeunes, établir un diagnostic social et éventuellement les orienter vers la Station », le dispositif d’hébergement pour jeunes en recours, financé par l’État et la métropole.
La métropole affirme que cela ne relève pas de sa compétence, étant donné que les jeunes ne sont pas reconnus comme mineurs. Néanmoins, elle assure qu’elle agit déjà « bien au-delà » de ce qu’elle devrait depuis 2020, en déployant « une politique d’hospitalité ambitieuse fondée sur le principe du logement d’abord », complétée par « des dispositifs d’urgence pour les plus vulnérables ».
En décembre 2023, une quarantaine de migrants avaient déjà trouvé refuge dans une église pendant un mois avant que la ville de Lyon ne mette à disposition 140 places dans un gymnase.

