France

À 34 ans, elle apprend qu’elle est née d’un don de sperme.

Laure, illustratrice de 41 ans, a découvert en 2018 que son père, décédé des suites d’un lymphome dix ans auparavant, était devenu stérile en raison de sa maladie et qu’elle et son petit frère avaient été conçus grâce à un don de sperme. Depuis la loi bioéthique de 2021, les enfants nés grâce à un don de gamètes peuvent demander à leur majorité l’accès à des données sur leur donneur, comme son nom, sa situation familiale, son état de santé, ses motivations, voire une lettre qui leur serait adressée.


« J’ai l’impression d’avoir vécu une histoire de film », confie Laure, illustratrice de 41 ans. En 2018, alors qu’elle est avec ses deux frères dans la maison familiale, leur mère les interpelle : « J’ai quelque chose à vous dire. » Laure s’attend à une discussion sur l’héritage de la maison. Sa mère les fait s’asseoir pour annoncer que leur père, décédé d’un lymphome dix ans plus tôt, était devenu stérile à cause de sa maladie ; son petit frère et elle ont donc été conçus grâce à un don de sperme.

Cette révélation a été pour Laure une « déflagration ». Après la surprise, les questions surgissent. « D’un côté, cela ne changeait rien car je restais moi-même. Mais de l’autre, cela changeait tout, toute mon histoire et une partie de mon identité », raconte-t-elle, souvent tiraillée par cette dualité. Dans sa bande dessinée *La meuf en paillettes*, publiée le 10 septembre aux Éditions du Rocher, Laure aborde les conséquences de cette annonce : son identité, ses relations avec sa mère et ses frères, ainsi que son rapport avec son géniteur. Ces thèmes sont particulièrement pertinents alors qu’en décembre 2024, plus de 10 000 Françaises étaient sur la liste d’attente pour une assistance médicale à la procréation avec don de spermatozoïdes.

« Jamais je n’aurais pu imaginer une telle histoire », déclare Laure. En tant qu’illustratrice, elle a toujours aimé dessiner, une passion que son père, avant sa mort, attribuait à la famille. En apprenant qu’elle n’a aucun lien génétique avec lui, elle se questionne sur les traits transmis. « Il ne nous a pas transmis sa génétique mais beaucoup d’autres choses. Cela m’a fait réaliser que notre histoire n’est pas inscrite d’avance, dans nos gènes ou notre ADN. »

Son frère, lui, a souvent repensé à leur histoire, voyant leur différence de groupe sanguin comme un indice du secret. Laure se dit qu’elle aurait pu « retourner les choses dans tous les sens, jamais [elle] n’aurait pu imaginer une telle histoire. » Au lieu de les séparer, cette révélation a renforcé leurs liens. « On s’est vus plusieurs fois tous les trois, sans les conjoints et enfants, pour en discuter. On a traversé cela ensemble, comme le cancer de notre père. Notre histoire a changé, pas notre relation. »

Concernant sa mère, Laure ne lui en a jamais voulu. Elle comprend comment ce secret a pu perdurer plus de trente ans. « À l’époque, on conseillait de ne pas le dire aux enfants. Ma mère savait qu’il faudrait nous en parler un jour, mais quand ? Comment ? » Le lymphome de son père et son décès ont compliqué la situation. « Ma mère a dû faire un long chemin, notamment avec un psychologue, avant de parvenir à nous en parler. » Devenue mère, Laure sait « qu’en tant que parent, on fait comme on peut. »

L’illustratrice se considère chanceuse. « C’est arrivé tard, mais ma mère a plutôt bien fait les choses. » Après sa découverte, Laure a rejoint l’association PMAnonyme et a rencontré d’autres personnes ayant vécu des situations similaires, « pas toujours dans de bonnes conditions. » Elle se souvient d’un témoignage marquant : une femme ayant appris la vérité lors du divorce de ses parents, quand sa mère lui a lancé, « et puis d’abord, ton père n’est pas ton père ! ». D’autres, quant à eux, l’ont découvert après le décès de leurs parents en triant leurs affaires. Certains réalisent que tout le village est au courant, sauf eux, déplore Laure, aux yeux bleus.

Si elle ne reproche rien à ses parents, Laure est en revanche en colère contre le système. « On trouve une solution à l’infertilité mais on n’en parle pas. On a institutionnalisé le secret. À ma naissance, les Cecos * cachaient tout ce qui concernait le donneur et ne nous en donnaient pas accès. Je trouve cela irrespectueux pour nous, ne serait-ce que pour des questions médicales. Je sais qu’il y a des personnes nées d’un don autour de moi qui ne le savent toujours pas. Il y a des tas de personnes comme moi qui s’ignorent. »

Depuis la loi bioéthique de 2021, les enfants nés grâce à un don de gamètes peuvent demander, à leur majorité, l’accès à des informations sur leur donneur, telles que son nom, sa situation familiale, son état de santé, ses motivations, voire une lettre adressée à eux. Cependant, cela n’est possible que si l’on sait que l’on est issu d’un don.

En parallèle, Laure a acheté un test ADN en ligne, qui a abouti à un « match » avec une demi-sœur ayant déjà effectué des recherches sur leur géniteur commun. L’homme est en vie et ne présente pas de maladie grave déclarée. Laure, ayant toujours vécu avec la crainte des problèmes de santé héréditaires liés à son père, ironise : « J’ai peut-être gagné au change, tout en étant consciente que d’autres auront moins de chance en apprenant que leur géniteur a des problèmes de santé. » Contrairement à sa demi-sœur qui l’a rencontrée, Laure hésite encore à rencontrer son géniteur. « J’ai eu les informations que je voulais. La boucle a été bouclée. »

* Les Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain.