20 ans après la mort de Zyed et Bouna, Clichy-sous-Bois évolue mais reste à faire.
Le 27 octobre 2005, Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, meurent électrocutés dans un transformateur EDF à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Une allée menant de la mairie de Clichy-sous-Bois au collège Robert-Doisneau a été renommée en hommage aux deux jeunes garçons décédés.
Le 27 octobre 2005, Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, trouvent la mort électrocutés dans un transformateur EDF. Ils s’étaient réfugiés à cet endroit alors qu’ils étaient poursuivis par des policiers de la Brigade anticriminalité (BAC) à Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Ce drame se déroule dans un contexte politique et social déjà très tendu : la violence dans les banlieues est un sujet largement médiatisé et le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, contribue à exacerber les tensions. Une partie de la France s’embrase.
Une période de 21 jours d’affrontements s’ouvre alors entre les jeunes de banlieue et les forces de l’ordre. Le bilan est lourd : 3 morts, 224 policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers blessés, 6.056 interpellations, 233 bâtiments publics détruits ou endommagés et 10.346 véhicules incendiés. En particulier, la mort des deux jeunes garçons et la manière dont les événements sont traités laisseront une empreinte durable sur la ville de Seine-Saint-Denis. Vingt ans après, beaucoup de choses ont changé.
Un quartier en partie « nettoyé », pour le meilleur et pour le pire
« Ah oui, ce n’est plus du tout pareil. Les bâtiments sont toujours là mais ça n’a plus rien à voir. » Assis sur une chaise de camping sur le parking face à une barre d’immeubles du quartier du Chêne-Pointu, où les premières révoltes ont débuté, Bakayoko est formel. Bien qu’il ne vive plus dans le quartier, le quadragénaire y passe encore beaucoup de temps. « Je vivais au premier étage, juste là, dit-il en montrant l’immeuble en rénovation. Je peux vous assurer que les choses se sont clairement améliorées. »
Comment cela a-t-il été possible ? Selon lui, le quartier a été « nettoyé des gangsters » qui l’occupaient depuis de nombreuses années. « La police passe tout le temps et a arrêté les gros noms des trafics. Ça a apaisé le quartier. Avant, il y avait beaucoup d’agressions. Mais maintenant, c’est beaucoup plus calme. » Une « bonne chose » qui a toutefois un coût. « Beaucoup de familles ont été relogées, ça a dispersé un peu le petit monde qui existait ici ; les gens se connaissaient, vivaient ensemble. Tout le monde a été éparpillé », ajoute-t-il en observant l’immeuble.
La peur de la gentrification forcée
Cette barre, qui a servi de décor pour le film Les Misérables de Ladj Ly en 2019, disparaîtra avec ses voisines dans son état actuel en raison d’un vaste projet de rénovation lancé par la mairie. Mouna, résidente de la cité du Bois du Temple située à quelques centaines de mètres, connaît bien le lieu pour y avoir des amis. Tous sont partis aujourd’hui. « Oui, Clichy-sous-Bois se transforme. Il y a de gros investissements. La situation est plus apaisée qu’il y a vingt ans, c’est certain. C’est aussi grâce à l’arrivée du train (un embranchement de la ligne T4 du tramway ouvert en 2019 traverse Clichy-sous-Bois et Montfermeil). Cela ouvre des possibilités pour tous. Et pour les jeunes, plus de chances de sortir d’ici, de trouver du travail… », précise-t-elle.
Ces aspects positifs ne suffisent pas à masquer des problèmes de fond. Mouna craint que cette rénovation de la ville n’annonce une gentrification, qu’elle soit encouragée ou non par les autorités. Elle a observé ce qui s’est passé dans la cité des Bosquets à Montfermeil et redoute que cela ne se reproduise à Clichy-sous-Bois.
« Quand on est noir, arabe, on se fait tout le temps arrêter »
De plus, l’accès à l’emploi reste toujours aussi difficile : « C’est particulièrement dur pour les jeunes, ils se sentent exclus. » Ce sentiment est amplifié par des relations, déjà tendues, avec la police. « Les agents font leur travail. C’est nécessaire contre les trafics, les délinquants et surtout les rodéos à moto. Mais leur comportement avec les jeunes… C’est trop dur. Ils sont trop suspicieux. Ils les arrêtent constamment, leur demandent toujours ce qu’ils font là, à traîner, et sont agressifs. C’est comme s’ils les réprimandaient en permanence. Les jeunes le vivent mal », se désole-t-elle.

De nombreux jeunes rencontrés dans la ville confirment. Bien qu’il ne soit pas né en 2005, Idriss*, 15 ans, a souvent entendu parler des événements. « Ils ont même une rue à leur nom », dit-il en référence à l’allée menant de la mairie au collège Robert-Doisneau. « On en parle souvent. Tous les jeunes les connaissent, et puis on a vu ce qui leur était arrivé sur Internet », témoigne-t-il. Pour lui, rien n’a changé depuis 2005 : « Quand on est noir, arabe, on se fait tout le temps arrêter, on est contrôlé tout le temps, on n’a pas le droit de se balader comme on veut. Les policiers nous parlent mal, nous provoquent parfois. » Il évoque les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel en 2023. « C’était pareil en fait. C’était la police contre les quartiers », constate-t-il.
« Il reste tellement à faire »
Ce bilan mitigé est également partagé par Mohamed Mechmache, président du collectif Aclefeu, créé après les événements de 2005. « Il y a eu des progrès. Bon nombre d’infrastructures ont été créées. L’arrivée du T4, des écoles, la piscine… Mais il ne faut pas croire que ça a été gratuit. Nous avons dû nous battre pour cela », raconte celui qui a été un des membres fondateurs du mouvement. Il évoque également l’ouverture d’une agence France Travail et d’un commissariat. « En matière de rénovation urbaine, cela s’améliore aussi et c’est tant mieux. »
Les relations avec la mairie semblent également s’être améliorées. « Dès le lendemain de la mort de Zyed et Bouna, nous avons lancé une grande campagne d’inscription sur les listes électorales. Nous avons également commencé à nous engager en politique. Le groupe Affirmation a été créé et a des élus au conseil municipal », détaille Mohamed Mechmache. Cependant, il rappelle que Clichy-sous-Bois demeure l’une des villes les plus pauvres de France. Une ville qui manque de médecins, de services de santé et de nombreux services publics élémentaires. De plus, la question humaine et sociale reste très en retrait : « Il y a toujours autant de précarité et de chômage. »
La raison ? « Toutes les décisions politiques ont été prises sans l’avis des habitants. Pourtant, ils s’investissent, il suffit de voir au niveau associatif. Ils ont des idées, ils connaissent les problématiques. Nous avançons lorsque nous associons les personnes qui vivent sur place. »
Le président d’Aclefeu appelle à davantage d’efforts plutôt qu’à des lois répressives. Il réclame de continuer à dédoubler les classes pour éviter le décrochage scolaire, d’arrêter de mettre à l’écart les entreprises locales sur les chantiers de rénovation urbaine, et d’investir dans des commerces locaux pour créer des emplois sur place. « Il reste tellement à faire ».
* Le prénom a été modifié

